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Montbeliardes en contrebande


"Paysan Comtois" de septembre 1995 consacre dix pages à la race montbéliarde. Ce titre existe depuis 1872, mais il reste longtemps pratiquement inconnu. Les vaches sont "de Morteau, de Maiche ... ". Mais en 1954, c’est le début d’une épopée. Et ce début se passe près de chez nous.


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le taureau Océano

L’origine de cette race est lointaine. Aux seizième siècle des protestants chassés des pays-Bas s’étaient réfugiés chez leurs coreligionnaires de la Principauté de Montbéliard. Ils étaient de bons cultivateurs et d’excellents éleveurs. Aidés par les princes, ils sélectionnaient leurs bêtes privilégiant la robe rouge et les qualités laitières.

En 1872 un éleveur les présente dans les concours sous le nom "race d’Alsace"; mais depuis un an, l’Alsace n’est plus française. Un conseil de famille choisit le nom de "Montbéliarde". Ce nom sera officialisé par le Herd-Book le 2 décembre 1889, mais il restera peu connu jusqu’à 1954.

Cette année, Georges Charton de Grande Rivière acquiert un taureau montbéliard pour le syndicat local. C’est le début d’une épopée. Emile Richème jeune ingénieur agricole, passionné d’élevage et de génétique expérimente une méthode révolutionnaire. Il a fait acquisition en 1952 de taureaux dont "Océano" qui bien que vilain, deviendra célèbre et sera demandé partout. Il impose une sélection linéaire et met en place l’insémination artificielle. Des foules de paysans portent aux nues "Océano", "Hardy" et "Néron", produits de Richème, la production laitière s’envole.

Cette méthode porte les germes de la rébellion. Les barons de l’administration, en sont encore à la "tachetée de l’est". On refuse une subvention à Georges Charton. Malgré cela c’est la renommée, et cette renommée passe la frontière.
Les paysans vaudois sont alléchés. Mais les autorités de Berne se moquent bien de cette bande de paysans romands et refusent l’importation des montbéliardes. Tout ce qui est interdit étant d’avantage convoité, les suisses n’y tiennent plus et foncent à Crançot, nouvelle Mecque de l’élevage là où est installé Richème et son équipe.

 

Berne interdit l’importation, mais Paris autorise l’exportation. On passe des veaux par tous les temps, même quand la neige est haute.
Un certain 14 juillet où un orage épouvantable ne rassure pas plus l’éleveur que sa bête, Pierre Longchamp, cultivateur à Fort du Plasne, pris par les douaniers, est condamné à 20 jours de prison au poste de police de Locle.

Un éleveur suisse passe sur ses épaules près de 500 veaux. Une balle de douanier lui brûle la tempe et il est arrêté.
Un grandvallier vend près de 2500 bêtes. Son camion sert souvent pour le transport. Une nuit, sous les sapins, après une erreur de parcours, les vaches se sont enlisées dans un marais. Il y eut du bruit.

Tous les veaux ne passent pas. Les bêtes prises sont remises aux douanes françaises. Richème alerte Edgar Faure qui obtient du directeur des douanes une vente groupée du lot. La vente est arrangée. Pour chaque bête la première enchère est à mille francs (soit 10 francs de 1995). Le président de Jura-bétail lève son bras et aussitôt le commissaire abat le sien, et lance "adjugé vendu". Il n’y a donc pas d’enchère.

Le plus grand des contrebandiers de l’époque et le directeur des douanes se retrouveront face à face autour d’une table. La "valse à 1000 francs" de Brel devient la " vache à 1000 francs".

250 suisses se sont organisés pour faire passer des bêtes à Vallorbe. Les gardes frontières donnent l’assaut. Crosses contre bâtons, le choc est rude. Les bêtes sont récupérées dans la nuit par les gendarmes déguisés en vachers et abattues au matin.
L’organisateur de cette affaire a payé de lourdes amendes, sa ferme a été incendiée; mas le coup de force est payant. Le 13 juin 1967, les éleveurs suisses reçoivent enfin l’autorisation d’importer les montbéliardes; La corrida était finie.


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