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Le Grenier Fort

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texte tiré de "L'héritage de la terre Franc-Comtoise" par Bernadette Maréchal


grenier fort

C'est dans la seconde moitié du XVIIIe siècle que débuta la construction d'innombrables nouvelles maisons dont les millésimes sont souvent gravés sur les linteaux de portes accompagnés des initiales du paysan constructeur et de symboles religieux. Ce sont souvent d'énormes fermes devant abriter hommes, bêtes et fourrage durant les longs hivers montagnards. Elles sont en pierres bien que certaines aient un étage en bois. Le mortier utilisé que l'on appelait "gy" était fait d'argile grasse et de sable. ces fermes ont un "pont de grange", typique des fermes burgondes, quelques-unes possèdent un "tué", énorme cheminée munie de volets en son sommet, dans laquelle on fume les salaisons, d'autres s'enrichissent d'un grenier fort et d'un four à pain indépendant. Les maisons à toiture à quatre pans étaient appelées "châteaux" à partir de l'altitude de sept cent mètres. Ainsi le légendaire "château" de Sièges, ne pourrait bien être qu'une de ces maisons.

La zone d'apparition du grenier fort se limite à la partie la plus élevée du Haut-Jura sud. Curieusement, il ne retrouve son semblable qu'à l'extrémité nord de la chaîne jurassienne, de part et d'autre de la frontière suisse et en Savoie d'où il semble avoir été introduit chez nous par l'immigration savoyarde provoquée par l'appel des abbés de Saint-Claude qui cherchaient à repeupler les pays désertés après la terrible guerre de conquête. En 1667, la Franche-Comté recensait soixante trois mille étrangers. Certes les savoyards étaient depuis le XIIe siècle, les émigrants prédestinés au Jura, mais peu de greniers avaient survécuà la guerre, c'est pourquoi les millésimes antérieurs sont inexistants.

Le grenier fort jurassien est de deux types suivant qu'il fut construit dans la région de Septmoncel ou de Longchaumois. Ces différences de conception se superposent curieusement au tracé des anciennes paroisses. Certains possèdent une cave voûtée accessible de l'intérieur du grenier. Véritable cache à trésor, il a souvent trois portes et double ou triple cloisons.On y trouvait en premier lieu, le grain récolté, orge, avoine et aux bonnes années, le froment, les céréales acclimatées se cultivaient alors jusque sur la pointe du crêt de Chalam. Dans le grenier, on tient les comptes de la maison, on inscrit les mesures récoltées au-dessus des enchâtres (casiers qui reçoivent les grains) et on y trouve même le calendrier des vêlages.

balance romaine

Il garde la farine rapportée du moulin, les légumes secs, les bolons (pains secs d'orge que l'on cuit tous les 18 à 21 jours), les pots de confitures, les eaux de vie, les toupines de beurre fondu, de saindoux, de lard salé, les pains de sucre, le sel, les biscuits dans leurs boites de fer, les oignons sont pendus avec les jambons. On y trouve aussi la balance romaine, le harnachement du cheval, le nécessaire à fromager, les cloches des bêtes dépâturées, les outils, les habits du dimanche. Les pommes de terre étalées sur des "daisses" (planches de sapin) vont à la cave avec les navets, les carottes et les choux que l'on pend. Sur les rayons, la cave accueille les serras ou serrés (fromages maigre fabriqué avec du petit lait), un coffre à papier, le fusil et sa poudre, la cire et le suif , le moule à bougies, les cardes pour la laine et le couteau à chanvre, une multitude de petites fioles, sachets, boîtes de conserves refermant la poussière de plomb recueillie sur l'établi du lapidaire, les éclats de pierres fines ou les cristaux bruts.

Le grenier est si bien isolé que sa température varie très peu en été comme en hiver, il est si bien conçu qu'il peut durer des siècles, il est si bien placé qu'il est sec et sain, son orientation est judicieusement réfléchie en tenant compte de l'enneigement et du vent. Le grenier est si bien rempli qu'il sent bon les bois secs, les épices et les salaisons. Ses serrures sont si lourdes que peu d'entre elles furent forcées. La destruction même totale de la maison par incendie n'avait pas ainsi, de conséquences trop tragiques, quand le grenier gardait l'essentiel. Les plus fortunés l'habillaient de tavaillons, les autres d'ancelles. On en compte encore aujourd'hui près de cent quatre vingt dix sur le seul territoire du Jura sud.

Pour en revenir à la maison proprement dit, sa toiture était en laves (pierres plates), ou en tuiles de bois aussi appelées ancelles, elle était souvent tronquée en quatre pans. Peu de fenêtres dans ces maisons qui sont assez basses, la façade est protégée du nord par une avancée de mur.

Les tavaillons couvrent les façades exposées aux intempéries. Ces tavaillons fabriqués en épicéa durant l'hiver, sont des bardeaux de bois que l'on voit encore sur certaines maisons. De bons tavaillons durent soixante ans, ils sont posés en trois épaisseurs sur une armature de bois (la bataillée); ainsi le haut-jurassien a inventé l'isolation extérieure. Ce qui était le plus cher dans la pose n'était pas le tavaillon lui-même, fabriqué à la maison, mais les clous. Le nombre de clous nécessaire était si grand que bien des montagnons n'en plantaient qu'un quand il en fallait mettre deux.


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