L'habitation, le mobilier et l'habillement de nos ancêtres |
extrait
des recherches sur Chapelle des Bois, en 1894, de l'abbé Léon
Bourgeois-Moine
voir également : les tuyés, vus par Lequinio
Il est à présumer qu'à l'origine, les habitations que l'on vit dans l'endroit qui fut plus tard Chapelle des Bois, durent être des chalets à l'architecture rudimentaire. Ces chalets étaient habités pendant l'été seulement par les colons de la terre de Chatelblanc, à qui les seigneurs avaient acensé des terrains dans ces régions incultes. Tout en s'occupant du soin de leurs troupeaux, ils consacraient leurs loisirs à défricher le sol, à agrandir les terres arables, et quand arrivaient les froids d'octobre, ils rentraient dans leur village pour y passer la mauvaise saison. Au printemps suivant, ils regagnaient leurs chalets. Leurs bras vigoureux et actifs abattaient les forêts, comblaient les ravins, aplanissaient les défectuosités et entassaient ces énormes et nombreux amas de pierres qui font encore l'étonnement de ceux qui visitent le pays pour la première fois (1). A mesure que s'étendirent les terrains cultivables, les propriétaires dont les familles étaient généralement nombreuses, y fixèrent quelques-uns de leurs enfants, et nos montagnes ne tardèrent guère à être habitées en toute saison. N'ayant guère d'autre industrie pour s'occuper pendant l'hiver, que la fabrication des fromages, les habitants travaillèrent à rendre plus confortable leurs chalets; l'architecture primitive se perfectionne et c'est alors qu'apparurent les premières maisons proprement dites. On y distinguait l'hébergeage et le grangeage séparé l'un de l'autre par le long corridor appelé Nouva (2). La pièce principale était l'afu (ad forum) ou la cuisine qui fut d'abord la pièce commune; c'était là qu'on se réunissait, qu'on fabriquait le fromage, qu'on travaillait durant l'hiver et que l'on prenait les repas. Au centre de cette cuisine à peine éclairée et sans fenêtres nulle part, se trouvait cette vaste cheminée de bois; elle avait pour base la cuisine entière, et elle allait se rétrécissant jusqu'à un mètre environ au dessus du toit, à cette extrémité étaient reliées deux portes mobiles que l'on fermait depuis l'afu au moyen de longues chaînes ou cordes quand arrivait la nuit et le mauvais temps; ces portes étaient les manteaux de la cheminée, il existe encore à Chapelle des Bois quelques unes de ces cheminées de bois. Outre le Nouva et l'afu, il y avait encore la chambre borgne et l'etta. La chambre borgne (bas lat. bouna=grotte) remplaçait la cave qui n'existait guère, et où l'on renfermait les légumes et les fromages; elle n'était éclairée que par la pâle lumière de l'afu. L'etta, qu'il ne faut pas confondre avec la ta (3), était la chambre des époux ou des parents. Une fois fiancée, la jeune fille devait d'après l'usage, visiter une fois l'etta qui allait devenir la chambre nuptiale. Ce n'est que plus tard que fut construit le pélou (latin pensile = suspension, parcequ'on y suspendait à une crémaillère la marmite où l'on faisait les aliments); le pélou, ou poêle, devint dès lors la chambre commune et c'est là qu'on prit ses repas. Les fenêtres étaient petites, étroites et rares; à la lumière, au renouvellement d'air, nos ancêtres qui ne connaissaient guère l'hygiène d'aujourd'hui, semblaient préférer la chaleur et l'intimité de la famille. Il y a une centaine d'années, les fourneaux n'existaient pas encore à Chapelle des Bois, ou du moins étaient fort rares; une longue crémaillère supportait une énorme marmite chauffée à outrance et dans laquelle se cuisaient tous les aliments destinés à la nourriture du bétail, même les légumes de mauvaise qualité; sur les braises ou suspendue à une autre crémaillère étaient une ou deux autres marmites ou casseroles de fonte qui contenaient les vivres que l'on cuisait pour la famille; la vapeur qui s'exhalait jointe au défaut de renouvellement d'air et à la chaleur excessive qu'on entretenait dans cette salle commune, causait des maladies fréquentes, et l'on dut transporter la crémaillère à l'afu où elle était auparavant. Quand fut répandu l'usage des fourneaux, on continua la cuisson des aliments pour les bestiaux dans cette chambre surnommée poêle; les mêmes inconvénients se présentèrent; la chaleur devint parfois intolérable, comme la position, surtout lorsque la tourbe servait de combustible. Depuis on agrandit les pièces, les fenêtres furent élargies et des vasistas permirent le renouvellement d'air et l'évacuation d'une atmosphère par trop épaisse et méphitique. Ce n'est peut-être qu'au 18e siècle qu'on commença à construire des étages; en 1749 sept maisons au village avaient des chambre hautes; jadis les toits bas et plus aplatis qu'aujourd'hui, étaient couverts de gros bardeaux, retenus par de longues pierres, afin d'offrir plus de résistance à l'impétuosité des vents. L'auvent du toit était protégé par la chape et les murailles tournées au sud, par les tallevanes. Le grangeage se composait de la grange, des greniers, en patois soullé (latin solarium = lieu sous le soleil) et de l'écurie ou budze. Il y avait aussi le hangar appelé rau (mot espagnol qui a la même signification) et dans lequel étaient rangés les voitures, les traîneaux, les douves, le merrinage. Attenant à la maison et presque toujours au sud, se trouvait le jardin, ou couvi (étal, curtile, petite cour) enclos dans des murs ou palissades et dans lequel croissaient les différents légumes.; les pommes de terre étaient plantées ailleurs que dans cet enclos. Auprès de l'habitation, on voyait un puits ou une citerne, la tena (latin tenere = contenir) et l'auge où l'on abreuvait le bétail. 1) ces murgers qui ont disparu en partie lorsqu'il s'est agit de la construction des routes, étaient quelquefois énormes; le murger dit "de la Claudine", à Combe des Cives, devait bien contenir plusieurs milliers de voitures de pierres. Un de ces amas, au hameau des Murgers, sur le sentier de la Chaux-Moz, offrit dans l'hiver 1855, un phénomène assez curieux, une douce chaleur qui permettaient aux enfants se rendant à l'école, de s'y arrêter un instant pour se réchauffer, empêche durant ce rude hiver la neige d'y prendre pied. 2) en patois, Noël se dit Nouvé; par la même analogie Nouva signifierait le Noal ou Natalitia des anciens, le lieu où on repose. 3) ce mot vient certainement du latin hospitum (hôtel); la terminaison des mots féminins en "a" est particulier aux gens de Chapelle des Bois, partout ailleurs, excepté dans le val de Miège et dans le Sauget où elle est en "o", d'où la To, et plus orthographiquement l'Hataud. Nous pensons que comme l'etta était l'appartement d'honneur, ce mot vient du latin atrium (âtre) car l'"a" du latin se change fréquemment en "e", pour former le patois et l'élision de l'"a" se rencontre à chaque instant. Deux abbés italiens de Condat, Pierre Morelli, mort en 1443 et Augustin d'Ost de Lugano, dont le règne a cessé en 1479, firent venir quelques-uns de leurs compatriotes, pour apprendre à leurs sujets l'art de fabriquer la toile et le droguet; c'était avec le poil de chèvres qu'on fabriquait le droguet, dont s'habillaient les colons des terres de Saint-Claude et de Chatelblanc; ce droguet était sans doute grossier mais c'était déjà un progrès dans un pays où l'on se revêtait auparavant de la peau des bêtes sauvages, surtout de celles du loup, animal si commun dans les forêts du Jura (1). L'usage de s'habiller de peaux de bêtes dans nos montagnes était général et en quelque sorte indispensable, car les droguets étaient encore très rares (2) et cette coutume s'est conservée longtemps encore puisqu'aujourd'hui même les tailleurs et tailleurs d'habits portent encore, quoi que cela tende à disparaître, les noms de pelletiers et de pelletières (latin pellis = peau). Une fabrique de toiles et de droguet s'établit au hameau de la Chevry (capa = chèvre) à Foncine le Haut, vers 1500; en 1554 Claude Broccard (3) en fonda une aux Mortes; il est donc à croire que ce fut vers cette époque que l'usage des toiles et du droguet commença à se répandre dans le pays; aux peaux de bêtes on substitua peu à peu des étoffes de chanvres, puis de lin, dont on fit des draps de lit ou lanceux (latin lintrolum = linge) des essuie-mains ou panne à maus (lain panna = peluche, d'où le mot patois panner = essuyer), des nappés ou nippes, des mantils (latin mantile = serviette), des robes, des pantalons ou gargasses (latin tarcassia = étui), des jupes ou goeudets (latins guttus = vase), des blouses ou roulières (latin rotularium = blouse du roulier (4)). Vers 1650 parurent les premières étoffes de laine, nommées ratines, dont on fit des vêtements qui suivaient un peu les modes de l'époque, mais qui n'étaient portés que le dimanche et aux jours de fêtes. Jusqu'en 1825 environ, les hommes portèrent la blouse de toile blanche pendant la semaine, la culotte également de toile ou de ratine grossière, le bonnet de Ségovie, puis le bonnet de coton; leurs chaussures étaient lourdes, grossières mais solides. Le dimanche, le costume variait un peu, ils portèrent longtemps encore le bonnet de Ségovie, puis le bonnet de coton bariolé et la blouse de toile blanche; puis vinrent le chapeau aplati (5), le long paletot surnommé l'incroyable et qui descendait jusque derrière les talons, puis la blouse bleue; les hommes avaient aussi la culotte quelques fois de peau, mais élégante; les bas de laine et les souliers assez bas, surmontés de boucles d'argent ou argentées, fait avec le cuir tannée des boeufs, de vaches de leur étable; ce n'est que plus tard que parurent les brodequins ou bottes.
Il y a longtemps que pour les femmes, comme pour les hommes on fait de grandes guêtres pour voyager dans les neiges. Pendant l'hiver, les hommes, pour voyager avaient un manteau court, à plusieurs doubles qui retombaient sur les épaules; c'était le carrik ou pèlerine. Le costume primitif de nos femmes de nos montagnes, fut comme celui des hommes, fait avec des peaux de bêtes, puis vinrent les vêtements de toile qui servaient à confectionner les robes, les gourdets et les tabliers appelés devantis, parcequ'elles les liaient devant elles. Plus tard, pendant la semaine, elles avaient à la tête une petite caline, une robe d'indienne, ou de serge, avec un petit mouchoir de calicot par dessus, un tablier de toile et des bas de grosse laine avec des souliers presque informes. Le dimanche, leurs vêtements étaient plus beaux, et à certaines époques presque luxueux; vers le milieu du XVIIIème siècle, les femmes portaient comme coiffure un bonnet frangé de laine ou de soie, derrière comme dans certains cantons suisses, était une broche d'argent qui retenait les cheveux et qui se terminait par deux boules de même métal dont l'une pouvait se dévisser. Puis vint le Guignolet, coiffe plutôt blanche que noire, avec franges comme la précédente et sur laquelle les femmes mettaient une caline en soie noire; par dessus ces deux bonnets se trouvait une sorte de voile blanc à gros carreaux rouges. A l'époque du Guignolet, la jupe était de calamandre (grec xaloros omes, fil de roseau), étoffe forte et grossière, bariolée en lignes droites de couleurs vives et inaltérables; le corsage et le tablier étaient de drap noir ou de soie violette, c'était aussi l'époque de la bavette frangée, retenue sur la poitrine par des épingles et des chaînes d'or ou d'argent. Après la révolution, la coiffure en vogue était la lizbeth, coiffe garnie de ruches énormes, la robe en toile d'Orange, c'est à dire fond bleu pointillé de blanc, avait une jupe qui montait jusque sous les bras; un petit mouchoir d'indienne couvrait les épaules et se croisait sur la poitrine. Cette mode fut assez vite remplacée par les robes à gigot, dont les manches très larges sur le haut étaient soutenues par des baleines ou par une espèce de petit ballon rempli de duvet. Vers 1830 apparut la bique à l'aise, bonnet garni de deux rangs de dentelle qui se terminaient sur les deux oreilles par des ruches énormes; Les manteaux d'hiver étaient les domines (3),avec ou sans capuchon; la chaussure se faisait à domicile et consistait en souliers bas retenus aux pieds par des rubans de soie noire. 1) Saint-Lupicin se rendit à la cour de Chilpéric, vêtu de peaux mal apprêtées et grossièrement cousues. 2) aussi est-ce à cette rareté que l'on attribue l'usage de ne se marier qu'avec les habits de noces de son père, en sorte que le même habit servit à plusieurs générations successives pour cet acte si important de la vie. 3) nom que portait autrefois le camail avec capuchon, dont les prêtres se servaient jadis pour se garantir du froid, ce mot vient du latin Dominus (dom, nom donné à certains prêtres religieux) 3) en général le brocart est une étoffe tissée d'or et de soie; mais si elle existe aujourd'hui chez les hauts personnages, elle ne se rencontrait que très rarement au XVIe siècle, et ce qu'alors on désignait sous ce nom n'était qu'une étoffe un peu moins grossière que les étoffes communes, et celui qui les fabriquait était le "brocard". Telle doit être l'origine de ce nom. 4) Il est à croire que la blouse appelée roulière, prit naissance dans le Grandvaux, car maintenant encore dans le Canton de Pontarlier, elle n'est connue que sous le nom de Grandvalière. 5) en 1849, Eugène Bourgeois-Philippet, portait encore le chapeau à claque. Théodore Poux-Landry porta la culotte et les souliers à boucles d'argent jusqu'à sa mort, en 1862. Pierre Ambroise Blondeau-Piroulet mort en 1828, conserva toujours sa perruque à longue queue. |