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La société féodale

 

Voir également : Jeanne de Bourgogne

texte tiré des "Recherches historiques sur les Foncines" de Jean-Baptiste MUNIER


A la fin du Xe siècle, la société féodale est définitivement formée; au XIIIe siècle elle a atteint la plénitude de son existence. La terreur des souvenirs et la crainte de nouvelles invasions avaient, dès la fin du siècle précédent, suggéré aux seigneurs bourguignons l'idée de se construire sur les montagnes des forteresses où ils pussent se mettre à l'abri eux et leurs familles. La guerre était partout à cette époque, partout devait être aussi les instruments de guerre, les moyens de la faire et de la repousser. Non seulement on construisait des châteaux forts, mais de toutes choses on se faisait des fortifications, des repaires et des habitations défensives, chaque escarpement, chaque colline, chaque rocher eut sa tour crénelée; on fortifia les métairies, les villes, les manoirs, les abbayes.

Quoique nos montagnes, par leurs reliefs orographiques, se prêtaient merveilleusement à la destination des châteaux forts, nulle contrée ne posséda moins de ces forteresses, en effet on ne compte que celles de Château-Vilain, Chaux-des-Crotenay et Châtel-Blanc. Quelques personnes pensent que c'est l'âpreté du climat qui s'opposa à leur construction; mais nous pensons que c'est à la promesse que Gaucher de Commerçy fit en 1240 à Jean, Comte de Bourgogne, de ne point construire de nouvelles forteresses, que le canton des Planches a dû de ne pas voir les crêtes de ses montagnes couvertes de nouveaux donjons. La charte du 12 août 1301 avait déjà imposé cette condition à Jean de Châlons-Arlay; voici les termes : quod in illis juribus novo datis, non debet, nec potest forta licium seu castrum construere vel etiam oedificare.

Château-Vilain

Bien que Dunod (page 111) mentionne parmi les châteaux que possédait l'abbaye de Saint-Claude, celui de Châtel-Blanc; quelques personnes doutent qu'il ait jamais existé, car on n'en trouve aucune trace aujourd'hui.

Mais les archives d'Arlay renferment un titre important et qui doit dissiper les doutes; en effet, le 22 mai 1499, des commissaires furent envoyés à Châtel-Blanc, pour reconnaître l'état de cette seigneurie, et ces commissaire observent dans leur rapport, que la ville de Châtel-Blanc n'était point et n'avait point été fermée de murailles comme on devait le supposer d'après une des clauses des franchises qui met à la charge du seigneur les réparations des murs, leur construction, l'ouverture et l'entretien des fossés. La charte du 2 mai 1303 dit en termes formels : Dominus autem dicli debet in clausula murorum et fossatis firmatum reddere, et manu tenere dictum burgum.

Les commissaires ajoutent "qu'à l'endroit de sa dernière maison, du côté du vent à Jurant, avons vu une montagne ronde assez haute, sur laquelle on voit bien loin, tant du côté de Mouthe que du côté de vers Foncine, et au-dessus de laquelle on dit communément qu'il voulait avoir un chatéal, et au-dessous il y a des cicatrices, enseignes et apparences de franchis et édifices; pour raison de quoy ladite ville de Châtel-Blanc a pris son nom, comme on le voit et croit communément", les commissaires déclarent en outre "que ladite ville est assise en assez haut lieu (dans la vallée) dont environ la moitié prend contre bise : l'eau qui vient d'un côté tire au Doubs et celle qui tombe de l'autre se rend à la rivière d'Ain".

Si les châteaux étaient rares dans nos montagnes ainsi qu'on vient de le voir, dans l'intérieur de la province chacun voulut avoir sur la crête des rochers ou sur la cime des monts son épais et sombre manoir où il put se protéger.

Mais les manoirs féodaux n'étaient pas seulement des retraites pour la sûreté personnelle; ils devenaient des repaires pour le brigandage. Les châtelains protégés par leurs donjons, et depuis là, habitués à ne craindre ni lois, ni justice, s'abandonnaient audacieusement à toutes les violences, ils descendaient à main armée sur les routes, dévalisaient les voyageurs, enlevaient hommes, femmes, bestiaux, marchandises, et comme les oiseaux de proie ils remontaient avec leur butin sur la cime où ils avaient bâti leur aire. C'était des guerres journalières, le brigandage à l'état permanent, la violence et l'anarchie en tout et partout. Il n'existait plus ni sécurité ni protection pour les personnes comme pour les propriétés. On n'osait ni voyager, ni se rapprocher, et la conséquence inévitable de cette situation était la ruine du commerce, de l'industrie, de l'agriculture, il n'y avait aucune unité dans le gouvernement général de l'état; le gouvernement se divisait en autant de membres qu'il y avait de provinces. Le roi était cependant reconnu comme le chef suprême, mais sa puissance était illusoire.

Les seigneurs châtelains n'avaient donc rien à craindre de l'autorité royale. Toute la puissance se trouvait entre les mains des deux aristocraties de l'époque : les seigneurs et les prélats. A eux les propriétés, les châteaux-forts, les armes, à eux l'indépendance, les privilèges, le droit de justice, et pourtant un pareil système était basé sur la fidélité. L'inférieur se nommait vassal et le supérieur suzerain ou seigneur. Le roi, comme roi, n'était le vassal de personne, si ce n'est de Dieu, et ses vassaux avaient sous eux d'autres vassaux dont ils étaient les seigneurs; ces subdivisions s'étendaient à l'infini, le fief était une sorte d'usufruit; le seigneur donnait le fief au vassal, et en retour il lui garantissait sécurité et protection.

Sa force sociale résidait toute entière dans les possesseurs de fiefs, qui seuls avaient des libertés, des pouvoirs, des jouissances. Chaque seigneur était maître absolu de ses terres, c'est à dire qu'une foule de petits despotes pouvaient ériger en lois leurs intérêts, leurs passions, leurs fantaisies les plus iniques, même les plus absurdes, et il n'y manquaient pas. On vit surgir de toutes parts ces redevances arbitraires qui réduisaient le peuple à la plus douloureuse misère, ces droits humiliants et infâmes, qui outrageaient la moralité et la dignité humaine. Qui se rappelle que quand les seigneurs de Maîche étaient à la chasse en hiver, ils avaient le droit de "faire éventrer deux de leurs sergs pour se réchauffer les pieds dans leurs entrailles fumantes". Car hélas ! au pied de cette échelle de gens nobles et libres, il y avait les degrés des humiliations, des labeurs et des souffrances; c'étaient ceux des hommes libres, non possesseurs de fiefs, des vilains et des serfs.

Les premiers attachés aux domaines seigneuriaux, étaient presque des esclaves; à peine jouissaient-ils du droit de se marier et de disposer de leurs biens; ils étaient accablés de charges intolérables, soumis à des obligations vexatoires, et aucun pouvoir ne les protégeait.

Les vilains (du mot villa, ferme), campagnards étaient attachés à la glèbe, c'est à dire à la terre, comme un immeuble est fixé au sol, et le seigneur auquel ils appartenaient, les taillait, les imposait à son gré. Comme souverain, comme propriétaire, il pouvait les revendiquer sur quelque part du territoire étranger qu'il les trouvât. La loi que l'article 2102 de notre code civil, applique au bétail, était pour le droit féodal applicable aux hommes, et encore la loi civile limite à 40 jours ce privilège sur le bétail de ferme, tandis que l'homme pouvait toujours être revendiqué.

La condition du serf était peu différente de celle du bétail et c'était celle de presque tout le peuple, chacun pouvait frapper, mutiler ou même tuer un serf impunément. Presque tous les hommes libres avaient renoncé d'eux-mêmes à leur liberté, afin d'être moins vexés par les seigneurs. Mais ceux-ci jugeaient, pillaient, rançonnaient cruellement leurs vassaux. L'axiome féodal : nulle terre sans seigneur, était établi partout. Les gens d'église et les laïques se dépouillaient tour à tour et ruinaient le peuple; la force physique ou l'autorité religieuse pouvaient seules prévaloir. Menés de force à la guerre, où ils combattaient à pied et uniquement pour river leurs fers, vilains et serfs ne pouvaient produire qu'au profit de leurs seigneurs.

De leur côté, les seigneurs se battaient entre eux à outrance; les déclarations de guerre atteignaient les parents, les alliés. Enfin ce carnage en permanence finit par lasser la férocité elle-même. On imagina dans un concile, d'imposer à ces furieux, ce qu'on appela la Paix de Dieu, puisqu'on ne pouvait l'obtenir des hommes. Les évêques ordonnèrent des jeûnes et des pénitences pendant lesquels l'humanité respira; mais cette paix, ainsi que la Trève de Dieu, qui défendit seulement de combattre du samedi soir au lundi matin, tomba bientôt en désuétude.

Beaucoup d'historiens pensent que la Trève de Dieu fût proclamée à quelques kilomètres de Foncine le Haut, sur la cime du Mont d'Or. M. Girod, dans l'Histoire de Pontarlier, pense que le synode des évêques qui établirent au XIe siècle, la Trève de Dieu, fut tenu en l'an 1032 par les archevêques de Vienne, Besançon, l'évêque de Lausanne et autres prélats, sur une colline isolée en forme de pain de sucre, entre Lausanne et Ouchy, appelée Mont-Riond, quelques écrivains du moyen-âge fixent la date de ce synode en l'an 1041.


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