http://foncinelebas.free.fr


La neige, vue par Xavier Marmier


S’il est un chantre du Haut-Doubs, c’est bien Xavier Marmier. Il sait raconter sa province, l’air pur de ses montagnes, le parfum de ses vallons, l‘agreste harmonie de ses bois. On est loin du réchauffement de la planète, des pollutions de toutes sortes ou des OGN. On regretterait presque ce temps passé. Mais il est vrai qu’il n’est pas de progrès sans regret.

retour


Dès le mois de novembre, toutes les plaines sont couvertes de neiges; tous les ruisseaux, les étangs, les lacs, sont revêtus d’une épaisse couches de glace. La neige tombe parfois en si grande quantité que les passages les plus larges et les plus faciles sont interceptés.

Dans l’hiver de 1843, il fallait tout un jour pour conduire avec plusieurs chevaux, un léger traîneau à quelques lieux de distance.
A la Chapelle des bois, une cheminée en pierre, élevée de quelques mètres au-dessus d’une assez grande habitation : c’était derrière cette cheminée que les employés de la douane venaient, le soir, se mettre en embuscade; le faîte de la maison était juste au niveau de la plaine par les masses de neige qui la remplissaient.

Dans plusieurs villages, on a vu de larges toits construits en bonnes poutres de sapins s’effondrer sous le poids de cette neige qui, pendant des semaines entières tombait nuits et jours sans interruption. Les cantonniers élèvent de distance en distance de hauts poteaux pour indiquer l’invisible direction et les contours effacés des grandes routes. Ils s’en vont, avec la pelle et la pioche, taillant des remparts, creusant des tunnels, ouvrant une étroite issue à l’étroit traîneau. Puis un coup de vent survient qui en quelques minutes, défait tout leur travail. Le soir, les sacristains sonnent les cloches dans les villages pour guider les pas de celui qui, à cette heure périlleuse, erre encore dans la campagne. Ah c’est une triste chose que d’entendre le son de ces cloches vibrant au sein de la nuit, à travers les sifflements de la tempête et les rafales du vent.

Ceux qui se trouvent à l’abri, sous la vaste cheminée de bois se resserrent autour du foyer, en se comptant pour voir s’ils sont bien tous réunis, et les mères de famille, en se mettant à genoux, ajoutent à leur prière ordinaire, un pater et un avé pour les voyageurs égarés. Si dans ces moments d’obscurité profonde, il s’élève un tourbillon, ou comme on dit dans le pays, une poussée, le péril est extrême, il y va de la vie. Le tourbillon flotte de toutes parts, enlace le voyageur dans ses sombres replis, lui trouble la vue, l’aveugle. On chemine péniblement, sans savoir où l’on porte ses pas. On croit se diriger dans la voie la plus sûre, et l’on tombe dans un précipice.

Deux jeunes époux partent un soir pour regagner leur demeure située à une demi-lieue de là. Un tourbillon les surprend. Ils ne voient plus rien et pourtant il faut marcher. Les voilà donc qui traînent leurs pieds dans la neige, persuadés qu’ils vont en ligne droite vers leur maison. Ils marchent, ils marchent et n’arrivent pas. La jeune femme était enceinte et hors d‘état de supporter une telle attente et une telle fatigue. Son mari la voyant s’affaiblir l’assoit au pied d’un arbre et continue sa route dans l’espoir d’atteindre bientôt sa demeure et d’en amener du secours. La tourmente pourtant continuait; un vent âpre, aigu, sifflait et mugissait sans cesse. Le lendemain on trouva les cadavres des malheureux étendus sur la neige, la jeune femme glacée par le froid au pied de l’arbre et le mari mort à quelques centaines de pas de sa maison.

Mais si cette saison d’hiver est effrayante, elle offre aussi parfois d’admirables spectacles. Ces plaines de neiges déroulées dans l’espace comme des nappes d’argent, ces majestueuses forêts de sapins. Quel plaisir de s’asseoir dans un traîneau, au bruit des grelots d’un cheval animé par cette vive température, de courir, de voler à travers de monts et ravins sur la neige étincelante.

Et vient l’été attendu si longtemps : L’hirondelle rase le sol le coucou prophétique répond à ceux qui le lui demandent, combien d’années il leur reste à vivre; la bergeronnette sautille. On voit refleurir la pervenche chère à Rousseau, l’ancolie chantée par Nodier, la violette, la menthe, la morille, la marguerite, les sapins, les hêtres, les frênes, le platane, l’alizier, l’épine vinette, le saule, le genévrier, tous avec un petit compliment.

Et puis les cultivateurs qui aiment ce pays comme on aime une mère. Ils ne tirent des sillons de leurs champs qu’une maigre récolte : de l’avoine et des pommes de terre presque partout, des pois et des lentilles dans différents villages, de l’orge et du seigle en divers endroits mais peu de blé. La nature des récoltes imposait à nos pères une vie de cénobites. L’argent était rare. Ils n’en avaient que ce qu’il fallait pour payer les fermages, acquitter les impôts et parer à un accident.
Les paysans les plus aisés ne se nourrissaient toute la semaine que de petit-lait, de pommes de terre, de pain d’avoine, et quel pain !

Figurez-vous des morceaux de pâte noire mal pétrie et durcie au four comme une tuile. On cuisait ces bollons deux fois par an, et certes ils ne moisissaient pas; mais ni la dent ni le couteau ne pouvaient les entamer. Il fallait soit les humecter dans l’eau ou les rompre la hache.
Le dimanche seulement, il y avait dans les maisons les plus riches, au sortir de la messe, un dîner qu’on pouvait considérer comme un vrai gala : un morceau de lard et de boeuf bouilli, un plat de légumes et une bouteille de petit vin.

Le soir, à l’heure de l’Angélus, toute la famille était rentrée au bercail. Après un frugal souper composé des débris du splendide dîner, la maîtresse donnait le signal de la prière. Toute la communauté se rangeait à genoux autour du foyer. L’enfant répondait aux orémus. Et aux litanies.
Quelques fois, dans les jours de travail, au temps où l’on teille le chanvre et où l’on rouit le lin, en hiver aussi, quand les femmes filent leur quenouille, on prolongeait la soirée à la lueur des rameaux de sapins pétillant dans le foyer. Quelque bonne vieille femme racontait les traditions populaires. Elle parlait des vouivres des dames vertes des pleurants des bois, des feux follets, des sorcières, des fées.

La plupart des maisons n’étaient construites qu’en bois. Elles ne se composaient que d’une pièce de quinze pieds d’étendue. Au milieu était le foyer. La fumée s’échappait par un trou carré pratiqué dans le toit. A côté s’élevait la grange et l’écurie et c’était là que tous les membres de la communauté allaient coucher sur quelques planches revêtues d’une paillasse ou sur une meule de foin.

Telles étaient les moeurs simples de nos aïeux. On ne voyait alors dans nos campagnes ni cornettes de tulle ni robe de mousseline mais de bons et solides vêtements en toile ou en laine filée.

 


 


Et il y a dix ans

 


Beaucoup diront, en ce début d’année 2009, que nous avons eu un véritable hiver.
Mais il y a 10 ans tout juste, en février 1999, le Jura connaissait un hiver comme il n’en avait pas connu depuis longtemps. La neige écrasait les toits à Chapelle des Bois, abattait les arbres sur les routes. Un peu partout, les lignes électriques étaient coupées. Aux Rousses, le village était interdit à la circulation. A Lamoura, c’est l’armée qui intervenait pour dégager les toitures. Les trains ne circulaient plus entre Andelot et la Suisse, comme vers Morez, en raison des risques de déraillements. Un train était d’ailleurs sorti des rails à Frasnes après avoir heurté une congère. Voici quelques photos tirées du "Progrès" qui rappelle cette période :






haut de page