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Les Monitoires

 


La délinquance est le reflet des tensions et conflits qui existent au sein d'une société. Dans une étude datée de 1983, Michel Vernus nous apprend le rôle que joue le "monitoire" dans l'enquête judiciaire sous l'ancien régime, et esquisse une typologie des formes de délinquance dans le Jura, à cette époque.


Mort de la princesse de Lamballe.(Léon-Maxime FAIVRE)

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extrait de "Monitoires et formes de la délinquance dans le Jura au XVIIIe siècle" par Michel Vernus


Le monitoire est un élément courament utilisé au cours de l'enquête judiciaire sous l'ancien régime. Lorsque celle-ci piétine, tout simplement parce qu'elle butte sur un manque de révélation, d'indice, le juge du lieu où le délit a été commis, ou la victime elle-même - le suppliant -, peuvent demander à l'autorité ecclésiastique de leur donner la possibilité de publier un monitoire.

Celui-ci vise donc à faire progresser l'enquête; il est une sorte de recours dans le développement de la connaissance des faits. Dans les demandes de monitoires à l'autorité écclésiastique, les juges avouent leur impuissance "n'ayant pu acquérir des preuves assez complètes contre les auteurs et complices de ces délits et ne pouvant plus l'espérer que par le secours des censures ecclésiastiques", ils se décident alors à invoquer la puissance de l'Eglise.

C'est la formule habituelle. C'est ce qu'explique par exemple, le procureur du roi de Saint-Amour le 17 novembre 1771 à propos d'une spéculation sur les grains organisés par des quidam "qui font des amas pour les renchérir". En désespoir de cause la justice s'adresse donc à l'Eglise; la demande est peut-être également une solution de facilité de la part du juge.

Le monitoire oblige les personnes qui ont quelques connaissances des faits, qui ont vu, qui ont entendu dire, de les révéler sous peine "d'être excommunié et retranché des fidèles". C'est une injonction à parler qui émane de l'autorité diocésaine. Elle prend la forme d'un placard lu au prône, et affiché à la porte de l'église trois dimanches consécutifs.

La Loi du silence

Le monitoire cherche donc à vaincre la loi du silence. Recueillir des témoignages c'est le lot de toute justice, de celle de l'ancien régime peut-être plus que toute autre, car elle n'était pas des mieux munies pour accomplir cette tâche.

De plus, dans la société rurale d'alors, on n'aime pas bavarder; les victimes elles-mêmes bien souvent se taisent par peur de représailles. Une sorte de complicité entre agresseurs et agressés bloquait la marche de la justice. De l'aveu même des textes des monitoires le silence est épais.

Voleurs dans un champ de céréales (Pettenkofen Auguste Carl von 1822-1889)

En 1767, deux marchands de Chaux des Crotenay, le père et le fils, s'en venaient de Morez et ramenaient des tonneaux contenant des fromages et autres marchandises "sont attaqués par des particuliers" entre 5 et 6 heures du soir près de Morbier. La bourse du père est volée. Or "les personnes du voisinage où s'est commis cet attentat n'osent ou ne veulent parler". Les victimes déclarent qu'ils croient que "la crainte des anathèmes de l'Eglise ferait impression sur eux et les décideraient à parler ...".

Beaucoup de ces documents font ainsi allusion à cet épais silence. La "censure ecclésiastique" et les "anathèmes de l'Eglise" suffisent-elles à le vaincre ? On peut essayer d'en juger à travers deux exemples.

Le 10 janvier 1752, Jean Raffin de Cousance et un certain Glanois, tous deux marchands, s'en retournent chez eux. Vers 8 heures du soir ils sont attaqués par des quidam qui s'étaient cachés au bord de la route ... un comble, derrière un oratoire ! Tous deux sont blessés de coups de couteau. L'enquête piétine faute de preuve. Un monitoire est demandé et accordé. Il est publié et placardé à Cousance et dans toutes les paroisses environnantes. Les vicaires reçoivent aussitôt des dépositions qui ont été conservées. 5 déclaratons à Digna, A Vincelles 9 personnes parlent "pour la décharge de leur conscience"; à Cuisia 3 dépositions; à Cousance 11 ... Les langues se sont donc déliées.

En 1743 se découvre dans la région de Salins une vaste affaire d'escroquerie par usure. Or dans ce type d'affaire la loi du silence règne plus que dans tout autre. A Lemuy et Montmarlon des quidam exerçaient à grande échelle "un commerce usuraire" depuis des années. L'archevêque de Besançon accorde le 25 mai 1743 un monitoire qui est placardé dans une douzaine de villages. A partir de là on constate que l'enquête progresse rapidement. Les juges procèdent à 106 interrogatoires. Les deux coupables et leur méthodes sont révélées dans le détail. La justice ira jusqu'à son terme puisque la sentence est finalement rendue contre les usuriers le 14 novembre 1743, soit près de six mois après la publication du monitoire. Il y a donc une efficacité certaine de la procédure, liée au fait que la société est profondément christianisée et que la peur des "anathèmes" lancés par l'autorité ecclésistique joue à plein. La peur religieuse est donc plus forte que la peur de parler. Les personnes qui venaient faire des révélations à leur curé ou leur vicaire devaient obligatoirement les réitérer pour qu'elles soient valables devant le juge.

Quels délits ?

Les spoliations de succession.

Ce type d'affaire vient en tête. Après un décès disparaissent effets, meubles, bijoux, titres ou argent liquide surtout lorsque les héritiers sont éloignés.

Pierre de Roche, bourgeois de Moirans, se plaint. Sa soeur, veuve d'un marchand drapier de Moirans, est décédée ab intestat, le 23 novembre 1769. Elle laisse trois héritiers. La succession comprenait un fond de boutique "plein et garni de différentes espèces de drap, d'étoffes, tant de laine que toile, bas et chapeaux ...", le tout estimé à environ 20000 livres. pendant la maladie de sa soeur, la succession a été complètement spoliée : on a vidé la boutique.

Lucipine Lorge, veuve d'un bourgeois de Saint-Claude, remontre que lors de "la maladie et mort de son fils en décembre 1769 on a elevé dans la maison effets et joyaux, billets et créances pour plus de 6000 livres ...".

Quand meurt un mainmortable sans communier, les biens tombent en échute. Ils appartiennent au seigneur. Or très souvent on s'apperçoit que les biens disparaissent.

Joseph Nicod, de Croupet, meurt en 1768; il est mainmortable. Quelques heures avant sa mort certains ont enlevé le bétail, soit 6 boeufs et 3 vaches. Les grains, un chariot, les harnais, ont disparu pareillement. Des quidam "ont saisi or, argent, papier ...". Le fermier du prieur de Gigny obtint un monitoire pour défendre les intérêts de l'abbaye.

Les vols avec effractions

Le vol du bois, tout à la fois vol de bois d'oeuvre, de bois de chauffage ou simplement de bois dans la forêt.

En 1771 le curé de Longchaumois constate amèrement "la cure a une pièce peuplé de bois de hêtre; tout le bois a été coupé et enlevé ...".

Affaire plus importante, en 1749 Denis de Roche, demeurant à Lyon, est "fournisseur de bois pour la marine au port de Toulon". Il a fait ses achats de bois de sapin "en planches et rondeaux". Or on lui en a pris une quantité importante. le dommage s'élèverait à plus de 4000 livres.

Le vol d'argent

En 1750 dans la nuit du 10 au 11 décembre, "environ à minuit, dans la maison du nommé Janna demeurant à Andelot et parti en campagne, à l'aide d'une fausse clef ou crochet on a tenté d'ouvrir un buffet pour y voler l'argent". L'épouse réveillée par le bruit, met en fuite les voleurs. Toutefois il y a eu au village d'autres vols. La requête du juge chatelain d'Andelot conclut : "on a de fortes indices, on les voit tous les jours au cabaret, mais on a pas de preuve assé fortes".

Les voleurs d'ailleurs ne reculent devant rien. En effet en 1769 le Grand Juge de la Judicature de Saint-Claude lui-même est volé en son absence. "Dans une armoire ont été volé deux cuilliers à soupe et six couverts d'argent au poinçon de Paris, une bourse en soye avec 52 écus de six livres plus 20 louis en or, des draps et serviettes ...". De là les mêmes quidam semblent avoir pénétré chez un cabaretier pour lui voler environ 150 livres.

Vols sur les personnes avec violence

Alexis Prost est en 1762 aubergiste à Colligny. Il s'en revenait de la grande foire de Saint-Amour chez lui vers 9 ou 10 heures du soir sur son cheval gris. Soudain, deux quidam l'attaquent, lui portent 7 coups de couteaux, volent le cheval et l'argent. Le monitoire s'exprime ainsi : "depuis quelques années la grande route qui va de Saint-Amour à Coligny était infestée de voleurs et d'assassins, plusieurs personnes y avaient été déjà volées et assassinées". La requête lance une exhortation à la sévérité : "il faut contenir par des exemples de sévérités tous les mal intentionnés".

Le retour des foire est particulièrement favorable aux voleurs et brigands de toutes sortes, et plus généralement à tous les conflits. Voici un cas de vengeance très caractéristique.

La victime est un garde-bois. Dans la société villageoise les gardes polarisent souvent le mécontentement et la haine. Le 15 février 1765 à 5 heures du soir, Gabriel Roussel, garde-bois de la seigneurie de Laubépin, achève de vaquer à ses fonctions; il "tirait" le chemin de Gigny à Laubépin. Brusquement sortent de derrière un buisson "deux particuliers vêtus de sarrots noirs, l'un armé d'un gros baton, l'autre d'un baton et d'une serpe". Tous deux lui portent des coups de baton et le frappent du tranchant de la serpe. Le garde est laissé pour mort. Un passant le trouve couché dans la neige et baignant dans son sang. Le procureur de la justice de Laubépin conclut sa requête : "il importe pour la sureté publique et le maintien du bon ordre qu'une action aussi indigne soit punie".

(Claude-Noël THÉVENIN 1834)

Les escroqueries économiques

On y trouve la fabrication de fausse monnaie, l'usure, la spéculation sur les grains, la vente de bétail malade ...

Dans la région de Gigny il y a vers 1750 une affaire d'usure assez grave. Rien d'étonnant : dans la société rurale souvent endettée, l'usurier fleurit et embellit. le procureur fiscal de Gigny explique "il a fait informer en cette justice contre un certain quidam des Granges de Noms qui manoeuve en secret une usure des plus excessives dès plus dix et vingt ans en tirant des simples prêts non seulement l'intérest au cinq pour cent mais encore le huit, dix, quinze et vingt pour cent". L'astuce est donc d'enfermer une partie de l'intérêt ainsi masqué dans le capital. Le procureur continue : il n'a pas de preuve "parce que ceux qui en sçavent quelque chose n'osent le déclarer ...".

C'est une autre affaire qui se développe dans le bailliage d'Orgelet en 1771, année difficile. Les récoltes furent compromises cette année-là. Une vaste entreprise de spéculation sur les grains s'y est organisée. "Il se fait de grands amas de grains par des commerçants qui en ont achetés des quantités considérables dans la vue de se rendre maîtres du prix ...". Ces marchands courent les villages, y achètent hors des marchés toute espèce de grains et de légumes "qu'ils conduisent ailleurs même du côté de l'étranger ...".

Les dégradations de biens privés ou publics

Ces délits sont souvents des actes de dégradation gratuits et on s'en prend indifféremment à des biens privés ou publics.

En 1765 dans la ville de Saint-Claude règne une certaine insécurité. des particuliers sont menaçés dans leurs biens. Dans le seul mois de juin de cette année, des quidam ont pénétré dans les jardins des Dames de l'école chrétienne et y ont saccagé les fleurs. Ils ont enlevé les échevaux de fils qui étaient exposés pour blanchir dans le jardin d'un particulier. De plus on a vu des gens déguisés et armés portant des échelles qui "ont été assez hardis pour mettre sur la porte de la veuve Gardin et à tous les carrefours une figure sous le nom de cette dernière proposant de la faire passer pour scandaleuse ...". Pendant le carnaval on s'est permis également de voler les peaux d'un boucher. "Ces actions deviennent de jour en jour plus fréquentes dans cette ville et troublent la tranquillité des particuliers".

A Saint-Claude toujours, en 1752, "certains ont coupé les canaux qui conduisent les eaux aux fontaines publiques à coup de hache ...". En 1749 on s'est attaqué au pont où l'on avait enlevé les planches, plateaux et grosses pierres ... En 1756 des quidam volent des outils (pioches, presses, pelles, coins, ...) qui appartenaient à la ville.

Des bandes de jeunes organisent des carillons et s'amusent à effrayer le bourgeois. C'est le cas à Saint-Amour en 1769 où le procureur fiscal en la justice des villes et comté de Saint-Amour est obligé d'avoir recours à un monitoire. Le 21 mai des particuliers se sont avisés de chanter, de faire un bruit épouvantable dans les rues, de tirer sur les cordes et chaînes des sonnettes, de déranger les escaliers de pierre, de déplacer les bancs ... "Depuis longtemps on se plaint dans la ville que certains coureurs de nuit escaladent les murs de différents jardins potagers et parterres qui sont près des maisons de résidence des bourgeois, y brisent, volent et enlèvent et les fleurs et tous les fruits et herbages et légumes qui s'y trouvent ...". Le procureur demande que l'on condamne des désordres aussi criants par "une juste sévérité".

Outre ces grands types d'affaires, l'étude des monitoires renferme quelques délits divers comme quelques affaires de bornage et des affaires de contrebande avec mort d'un homme à la Rixouse où un garde de la Ferme général est tué.

Il est clair que les monitoires sont utilisés dans tous les types de délits et ne sont pas réservés aux affaires les plus graves. Ils sont cependant moins utilisés au XVIII siècle qu'au siècle précédent. Au XVIIe siècle ils le furent en effet avec excès. En 1769 le Parlement ordonnait d'ailleurs aux officiaux de ne jamais refuser des monitoires aux plaideurs qui en demandaient. les corps judiciaires étaient donc encouragés à s'en servir. Ils le firent donc souvent avec abus. L'usage débouchait sur la simple délation.

A Besançon par exemple, en 1665, on avait publié dans les églises de la ville un monitoire contre ceux qui avaient fait tomber la grêle sur les moissons, jeté des sorts sur les troupeaux, provoqué par des maléfices des maladies contagieuses. les révélations se multiplièrent et peuplèrent les prisons. Ils y eu aussi des monitoires contre les insectes.

Si on reprend l'ensemble de l'échantillon, on constate que la majorité des affaires concernent les atteintes à la propriété sous toutes ses formes. Ce qui traduit une réalité forte, la délinquance affecte davantage les biens que les personnes. Une géographie de l'insécurité s'esquisse à partir de ce dossier. On remarque trois foyers d'insécurité. Premièrement, les routes et chemins. La route qui va de Coligny à Saint-Amour (c'est un tronçon de la grande route de Besançon à Lyon). La route qui joint Saint-Amour à Orgelet. L'insécurité est grande lors des retours de foires et de marchés. En second lieu, les communautés fermées du Haut-Jura (Longchaumois, Morbier, Septmoncel, les Bouchoux ...) et surtout celles du premier plateau (Gigny, Andelot), à l'intérieur desquelles les tensions s'exacerbent. En troisième lieu, les deux villes de Saint-Claude et de Saint-Amour, qui sont troublées surtout par des bandes de jeunes et des coureurs de nuit.


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