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Loin du village, le danger

 


Au XVIIIe siècle, de nouveaux chemins sont tracés, des ponts construits. La représentation de l'espace s'améliore mais, au-delà même de l'espace immédiat, les déplacements restent difficiles et dangereux. Les obstacles naturels continuent à dresser leurs barrières. Dans les plaines de la Saône et de la Bresse jurassienne, les crues de larges rivières s'étalent brutalement; dans la montagne, les précipices profonds et les neiges d'hiver, où le redoux du printemps transforme les rivières en torrents, sont d'autres dangers. Les noyades sont nombreuses. Et à ces périls s'ajoutent encore ceux d'une faune sauvage dont le territoire se confond souvent avec celui de l'homme. Voici un extrait du livre de Michel Vernus : "Paysans Comtois, La vie au village au XVIIIe siècle" qui raconte combien la cohabitation entre l'homme et le loup fut longtemps difficile dans notre région.

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La délinquance sous l'ancien régime et l'usage du monitoire
l'Ain et la Saine arrosent le pays des ours
La chasse au loup

L'espace villageois souvent délimité par des bois, des parcours ou des montagnes, reste donc environné de dangers pour celui qui s'éloigne un peu. Les villageois restent en permanence confrontés à une nature violente. Les légendes contées à la veillée traduisent cette angoisse et contribuent à entretenir la peur de l'inconnu. Se déplacer, c'était donc non seulement perdre du temps, mais surtout courir de graves dangers. Les levées de cadavres pour mort accidentelle témoignent que la mort guettait aux bords des chemins : noyades lors de la traversée des rivières, chutes dans les précipices sans compter la foudre, le froid ou la chaleur qui frappaient inopinément.

Les Affiches de Franche-Comté, premier journal comtois, rapportent quelques-uns de ces faits divers. Ainsi, au mois d'août 1769 : "Vendredi dernier, à 5 heures du matin, le nommé Faivret de Lantenne étant à la charrue, la foudre écrasa son domestique, ses deux chevaux et ses deux boeufs, a fracassé et dispersé la charrue et seulement terrassé le maître, qui n'a eu d'autre accident que ses sabots brûlés".

Les loups continuent à hanter les campagnes, "ils restent très multipliés, malgré la chasse qui en est faite". Entre 1776 et 1780, on tue dans la province 2073 loups. Ces "bêtes mauvaises" font des ravages non seulement dans le bétail, mais s'attaquent également aux enfants. Elles communiquent souvent par leurs morsures, la rage. Le seigneur de Vogna, en 1785, dans une lettre, écrit :

"Le 22 juin dernier, les boeufs de Vogna gardés par sept bergers, dont deux de 17 et 18 ans, se mirent à crier, les bergers accoururent et virent un loup presque blanc attaché au col d'un boeuf, le bruit lui fit lâcher sa proye", il courut du côté d'un enfant qui se sauvait, les huées des autres bergers le détournèrent et l'éloignèrent ...". A Orgelet, le subdélégué, le 3 juillet 1776, est obligé d'organiser une battue "de bons citoyens" ayant fusils et armes "avec leurs chiens mâtins". Il faut demander la permission aux autorités, car les fusils sont interdits dans les campagnes. dans les mois de septembre à décembre 1777 "on a vu rôder dans les environs d'Orgelet et d'Arinthoz un loup d'une grandeur et d'une grosseur énorme dont le poil est rouge et qu'on a reconnu être de l'espèce de ceux qu'on appelle étriques. Cet animal a répandu l'alarme dans les cantons voisins par les ravages affreux qu'il y a fait et par le nombre d'enfants qu'il a fait périr ...".

Partout, on se plaint des dégâts causés par le grand gibier. Signe d'une nature qui n'est pas complètement policée. A Ornans, "toutes les années, les sangliers, cerfs, biches, ravagent les grains des habitants, le seigneur du lieu, qui est un prince étranger (le prince de Montbéliard), laisse multiplier ces espèces de gibier, à un point que l'on voit pâturer dans les grains, lorsqu'ils sont en valeur, des troupes de quinze à vingt sangliers et pareille quantité de bêtes fauves".

A Beaucourt (Doubs), même récriminations : "la quantité prodigieuse de gibier de toute espèce dévaste non seulement nos forêts et surtout nos revenus qui en sont continuellement rongés, mais inonde aussi nos campagnes, désole nos champs, nos prés, nos jardins et nos vergers".

A Brevilliers (Doubs) : "Il y a trop grande quantité de gibier, notamment sangliers, cerfs et biches qui broutent le froment et les avoines aussitôt que les grains ont du lait". Les communautés sont contraintes d'entretenir des gardes pour surveiller les semailles ou les récoltes.

Il y a également les déprédations des rongeurs. En 1772, "les rats de terre ont été fort commun et ont fait beaucoup de tord. Ce fléau a duré trois ou quatre ans". Les paysans s'insurgent contre les déprédations du gros gibier, luttent contre cette nature sauvage, mais en même temps ils savent que ce gibier sauvage est entretenu pour les plaisirs du seigneur. Aussi attaquent-ils les abus exorbitants du droit de chasse du seigneur et s'en prennent-ils de front au système seigneurial. D'autant qu'il faut payer , ici et là, le droit "de gîte et nourriture des chiens" du seigneur. Le gibier sauvage est un fléau naturel volontairement maintenu pour les loisirs du maître, ce qui est ressenti comme un privilège insupportable.

Les habitants de Corcelles (Doubs) indignés peuvent s'écrier en vain à ce sujet : "Quoi de plus cruel ! Que peut-on voir de plus odieux ?". Autant de plaintes qu'il ne faut peut-être pas toujours prendre à la lettre car, devant l'administration, on avait parfois intérêt à se faire plus malheureux que l'on était.

Obligations des billots au col des chiens

Joseph Mausard, fermier de la grange Saint-Laurent, condamné au profit du seigneur de Montureux, faisait appel devant le parlement, où il fut débouté de son appel : "Pour, environ les 7 heures du matin, deux chien dont l'un sous poil noir, et l'autre sous poil bai avait été trouvés parcourant sans billot au col, la plaine de Montureux, lieud. Au bois Dorain, plus un autre chien ayant été trouvé sans chaîne et billot poussant un lièvre et donnant de la voix dans un canton de bois appelé les Essarts Prinotte". La cour du parlement condamnait l'appelant et "faisait défenses à tous laboureurs, vignerons, fermiers, pâtres et autres habitants, excepté les gens nobles, ou roturiers ayants droit de chasse ou voyageurs de mener avec eux aucuns chiens qu'ils n'aient au col un billot ...".


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extrait des "Recherches Historiques sur les Foncines" de JB. Munier (page 111)

Dans le XIVe siècle, les ours étaient fréquents dans nos montagnes, à tel point que pendant qu’on rédigeait l’acte de vente du château de Joux en faveur du duc de Bourgogne, on entendit un grand bruit à la porte du château.

C’était une troupe de joyeux chasseurs des terres de Pontarlier qui venaient de prendre une ourse, ils l'amenaient vivante et bien muselée, aux pieds du nouveau possesseur de ces forêts.

Les archives de la maison de Châlons offrent, à cet égard, de curieux récits; vers cette époque, une ourcesse faisait de grands dommages non loin des bords de l’Ain, sa tête fut apportée aux officiers du châteu de Mirebel.

Elles se sont même conservées dans le canton des Planches jusque dans le XVIIIe siècle, en effet le père Romain Joly, né à Saint-Claude en 1715, mort à Paris en 1805, à la page 7 de ses lettres sur la Franche-Comté, écrit :

"Pendant que je desservais la paroisse de la Chaux des Crotenay, les habitants de Crans  apportèrent au seigneur de cette paroisse, qui est aussi le leur, deux petits ours qui venaient de naître. On les avait trouvés dans une tannière que la mère s‘était  fabriquée sous les racines d’un gros buisson. Je les vis le jour même.

Six mois après, étant retourné dans le lieu, on me fit voir un de ces petits qu’on avait apprivoisé, c’était une femelle, qui était bien supérieure en grosseur, à cet âge, au plus gros des ours qu’on promène dans les rue de Paris.

La mère avait été découverte par un jeune garçon de Crans qui coupait des broussailles, il était accompagné d’un chien qui aboyait contre un buisson de houx en reculant.  Si le jeune homme avait été prudent, il n’aurait pas approché d’une retraite d’où son mâtin s’éloignait avec frayeur. Mais ne soupçonnant pas le danger, il enveloppa sa main de son mouchoir, à cause des piquants, et ayant détourné les branches, il vit une ourse monstrueuse qui lui mordit le bras et voulait l’étouffer.

Le chien défendait son maître et le délivra enfin. Les gens du village ayant appris cette aventure de la bouche de celui à qui elle venait d’arriver, allèrent en troupe et bien armés au lieu indiqué. Ils n’y trouvèrent que les deux petits que j’ai vus, dans une espèce de caverne que la mère s’était creusée sous les racines de l’arbrisseau; mais elle avait décampé, la peur l’ayant mise en fuite"

C’est pourquoi Romain Joly écrit que les rivières de l’Ain et de la Seine arrosent le pays des ours.


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