Le patois jurassien |
Vous
serez peut-être surpris d'apprendre que certains mots du patois
jurassien ont une origine grecque. Selon l'abbé Léon
Bourgeois Moine, le patois a joué le rôle de langue intermédiaire
entre les langues mortes, latin ou grec, et le français.
Voici, extraite une fois encore de ses "Recherches sur Chapelle des Bois" (1894), une brève présentation du patois, de la région de Chapelle des Bois principalement : |
Le patois de Chapelle des Bois, très ressemblant à celui du Val de Miège, c'est à dire de l'ancienne seigneurerie de Nozeroy (1) et à celui du Sauget, diffère essentiellement pour l'origine, l'accent, les expressions, de celui de l'arrondissement de Saint Claude, et, en particulier, de celui de Bellefontaine et des villages environnants, du côté de Morez et des Rousses; dans ce dernier patois on retrouve des étymologies grecques (2); on n'en remarque presque pas dans le patois de Chapelle des Bois; et encore ces quelques mots d'origine grecque ne s'y rencontrent probablement qu'à cause de rapports forcés qui existent entre deux pays qui se touchent. Il est certain que c'est le patois qui a formé le français et qu'il a été comme la langue intermédiaire entre les langues mortes et les langues vivantes. 1) il serait intéressant d'étudier et de mettre en comparaison les patois et les usages des pays de Nozeroy et de Chatelblanc; nous verrions que les coutumes et le langage, le caractère et les goûts des habitants de ces deux seigneureries, sont les mêmes ou à peu près; il faut donc penser que en général, les familles qui ont primitivement peuplé la terre de Chatelblanc, venaient de Nozeroy et des environs. 2) Dans son annuaire de 1851, Mr Marnier nous dit que les premiers habitants de Bellefontaine (les D'Avas du baillage d'Avel) viennent de la Neustrie et se fixèrent dans ce nouveau pays (nos montagnes) en 1345 et même au 8em siècle. D'autres auteurs, Jean Muller en particulier, prétendent que les habitants de Massalie (Marseille), c'est à dire les Phocéens, remontèrent le Rhône presque jusqu'à sa source et peuplèrent les environs jusqu'à Bellefontaine. ![]()
Dans le patois on retrouve les mêmes voyelles, les mêmes consonnes, les mêmes diphtongues, plus quelques autres, qu'en français. A : en général, toute terminaison féminine, comme en latin, est en "a" : tebla = table, feta = fête, sela = chaise, bela = belle, trada = chaude, vadha = verte, notra = notre, mema = même, mova = mouillé. Souvent la consonnance"al" ou "alt" du latin se change en "a" long : aba = alba (aube), saver = salvaner (sauver), mà = malum (mal), sater = saltane (sauter). "er" en latin se transforme quelquefois en a ou ar : harba = herbe, sarpet = serpent, tara = terra (terre), farmets = fermentum (ferrements), pâdre = perdere (perdu), gouvaner = gubernare (gouverner), sarvi = servie (servir), parmettre = permittere (permettre). On distingue le "à" commun du "à" long.
E : Cette voyelle a plusieurs consonnances : l'e muet, l'e commun, l'e fermé, l'e circonflexe, l'e ouvert et l'e grave. Il n'y a pas de règles précises assignées à cette lettre si ce n'est qu'un grand nombre de mots où l'e est fermé dans le patois devient ouvert en français : affére = affaire, ise = aisé, père = père, mére = mère, frére = frère, béte = ête, téta = tête, vipére = vipère, réstou = reste, priétre = prêtre, pére = paire, vré = vrai, prés = près, féra = faire, aprés = après, més = mais, djamés = jamais. I : Cette lettre dans les mots latins s'élide assez souvent en patois ou se change en é commun : epèna = epina (épine), fèille = filia (fille), frechon = fuxorium (frisson), revire = riparia (rivière), verté = veritas (vérité), vela = villa (ville ou maison de campagne). Il en est de même pour les mots qui viennent d'autres langues que le latin : breda = en allemand britill (bride, bretelle), réthe = en allemand reicht (riche), bresi = celtique bris (rupture, briser). Cette lettre est euphonique dans ion pour on (un). O : cette lettre, du latin, se change quelquefois en "a" dans le patois; elle se transforme quelquefois en "e" ou s'élide; quelquefois en la diphtongue "oi"; et enfin en "ou". U : cette lettre, en d'autres langues, se change en patois en "e" ou en "ou", ou s'élide. Y : Comme en français, l'y remplace l'upsilon grec ou l'u des latins. B : remplace quelquefois le P ou le V. C : quand cette lettre se trouve devant e ou i, elle conserve le son dur, en sorte que 'on est contraint de le remplacer par le K. Presque chaque fois, que dans le français se rencontre CH, en patois TS. D : remplace quelques fois la lettre T du latin ou autres langues anciennes. F : le mot Fiuve (sapin) peut venir du grec yvoix (produire) ou plutôt du latin abies (sapin). G : du français remplace souvent le dj ou le dz du patois devant le e ou i. H : remplace quelquefois en français le C patois.
J : français est pour dj, dz ou ts. L : lorsqu'il termine un mot français, comme du reste presque toutes les autres consonnes, disparait presque toujours en patois, surtout au singulier. M : double en français remplace l'm simple du patois précédé d'une voyelle ou d'une diphtongue ou d'une voyelle élidée. N : du patois se change quelquefois en M en français. P : est quelquefois pour PS ou V. Q : est remplacé quelquefois en patois par le C. R : disparait souvent dans le corps d'un mot et presque toujours à la fin, si ce n'est dans mur, sur, pur, dans le corps d'un mot surtout étant suivi de c,d, l, n, t, s, mais alors il y a une aspiration habituellement qui s'écrit de plusieurs manières. S : en français remplace souvent le CH en patois. T : français suivi de J, ayant la consonnance de l'S en suit les règles. V : est parfois élidé; elle est pour b et est parfois euphonique. EU : cette diphtongue en français n'a pas de règles bien déterminées pour le patois.
GU : en français remplace la lettre a dans quelques mots; il remplace parfois les lettres c, o et les diphtongues eu, ui. La diphtongue en ou termine souvent les terminaisons singulières masculines des articles, noms et adjectifs. AN : remplace souvent in ou oin. EN : est souvent pour ET IN : cette diphtongue et toute consonnance analogue remplace : an, am, ian. ON : mise quelquefois en français pour oin. UN : semble toujours pour on AU : on remplace presque toujours A long et eau par ia; il y a de nombreuses exceptions. OI : souvent par aë, surtout oir, ainsi tous les infinitifs de la 3e conjugaison. ELLE et ETTE : remplace souvent ela, ila ou eta. OR : remplace presque toujours oi. Nous avons déjà dit que les noms, articles et adjectifs singuliers masculins qui en français se terminent par "e" muet, font en général leur terminaison en "ou"; au féminin singulier ces terminaisons sont en "a". Le pluriel devrait se marquer comme en français par un "s" ou un "x", mais on ne peut le faire pour certains mots à cause de la prononciation (car en patois il faut faire plus attention à la consonnance qu'à l'orthographe). Comme en français, les verbes ont quatre conjugaisons; la première a l'infinitif en "er"; ce sont pour la plupart les noms français de cette conjugaison. La seconde conjugaison à l'infinitif en "i" correspond à des verbes qui en français terminent en "ir" et d'autres en "er". La troisième à l'infinitif en "ae" sont ceux qui en français se terminent par "oir". La quatrième à l'infinitif en "re" comme en français. On observe encore que dans les mots où en français, la consonnance est "ié", "ier", "ied", etc ... en patois cette consonnance est "i" long. En patois, les consonnes finales d'un mot disparaissent très souvent; il y a guère d'exception que pour les mots qui finissent en "am", "an", "in", "on" et pour les terminaisons des verbes ainsi que pour les mots au pluriel; les infinitifs de la première conjugaison se termine en "er", mais l'r ne se prononce jamais, pas même devant une voyelle. Les consonnes doubles qui se suivent en français n'existent guère en patois, mais la première consonne est remplacée par une voyelle qui devient longue ou s'unit à la voyelle qui précède pour former une diphtongue; il y a toutefois de nombreuses exceptions. Les prénoms ont l'article : le Victor. On emploie souvent l'adjectif ou le pronom "nôtre" devant les noms des membres d'une famille, ou d'une société. Lorsqu'on veut désigner à quelle famille appartient un individu dont on parle, on se sert de la préposition "a" et de l'adverbe "chez". Comme partout, les prénoms sont singulièrement déformés. Quant aux noms de famille, on les emploie peu dans le langage et ils ne sont pas précédés de l'article; ils désignent ou un nom de saint, ou un défunt, ou une qualité corporelle ou un état de profession ou le lieu d'habitation. ![]() Voici quelques mots qui n'ont pas en patois la signification qu'ils ont en français : aigles est employé pour buse; affubler signifie souffleter vigoureusement; l'an qui vient est l'année prochaine; bonne femme veut dire sage-femme; bourrer signifie fermer; chenil est pour balayure; les coups de mort sont les glas; de par moi veut dire moi seul; donnez-moi voire est pour donnez-moi je vous prie; fort lieu veut dire excellent; le grenil est le chiendent; le colchique le pissenlit; il pousse signifie la neige tourbillonne; aller après les enfants (ou les bêtes) signifie les soigner; jeter les bêtes signifie les envoyer aux pâturages; marier est pour épouser; mener la musique est pour jouer d'un instrument; noble veut dire fier; les nôtres signifie ceux de notre famille ou de notre corporation; tout droit veut dire de suite; la droite perte la perte complète; le sage est l'homme vertueux et le savant l'érudit; prendre avis veut dire prendre garde; mal est pour mauvais (sentir mal). Quelques mots n'ont pas le même genre qu'en français; en patois affaires est masculin (nôtrou P.Djouset fassait tous les afférés); balle est également masculin; on dit la rouille, la rhume, la serpent, le vipère. Voici encore une liste de mots patois et leur étymologie :
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- Prille pou ta Bénétru ! : Prie pour toi Bénétru ! (plutôt que de t'occuper des affaires des autres, tu ferais mieux de t'intéresser aux tiennes). - On crie tant nouvé qui vint ! : On chante tellement Noël qu'à la fin il arrive (tout arrive pour qui sait attendre). - è lè k'ma l'saint d'Beuilcul, è lo ne fouâch' ne vertu ! : il est comme le saint de Billecul, il n'a ni force ni vertu (se disait de quelqu'un, ou de quelque chose, sur lequel on ne pouvait compter, qui n'était bon à rien, qui n'avait aucune force, aucune puissance). Le saint de Billecul est Claude-François du TRONCHET, connu sous le nom de Jean-Baptiste de Bourgogne, ou Jean-Baptiste de Mièges, né le 3O Août I700, mort à Naples le 22 mars 1726, ministre provincial du couvent de St Bonaventure de Rome. Les nombreux miracles opérés par son intercession pendant sa vie et surtout après sa mort, ont donné lieu à une introduction pour sa canonisation. (Dictionnaire des Communes du Jura par Rousset). Ce dicton laisse à penser que les miracles opérés par le saint de Billecul n'ont pas profité à ses compatriotes !
- A lo miô le sètouo douâ son sô ! : à la mi-août le faucheur dort tout son soûl (autrefois, les faucheurs commençaient leur travail au lever du jour et ne le terminaient qu'à la nuit. A partir du 15 août, les nuits sont suffisamment longues pour permettre un repos réparateur). - y yéro d'lo nèd' z s'tûvâ, lè van-neriaux sont hauts ! : il y aura de la neige cet hiver, les gentianes sont hautes. - Y veut plour deman, yo d'lo greub'o da l'bê ! : il pleuvra demain, il y a de la "greube" (brume) - Pou qué saint qu'ce seille, ora pro nobis ! : Pour quel saint que ce soit, priez pour nous (quelle que soit la personne ou la chose dont il est question, cela ne change rien au problème). Elle vient de la mésaventure survenue à un curé qui, en récitant les litanies des saints, n'arrivait pas à lire le nom d'un saint: saint... saint .. ? Alors un des assistants intervint: pou qué saint qu'ce seille, ora pro nobis ! - Que n' pougniate ne frout' saîlle ! : qui ne sème pas ne récolte pas. - Quand t'sétion s'éd' nion n'se crév' ! : Quand chacun "s'aide" personne ne se crève. - Yo toud'z à faire da lè gros trains ! : Il y a toujours du travail dans les gros trains (dans les gros "trains de culture" ou dans les maisons importantes). |