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L'origine des maladies

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Il y a deux siècles, les médecins n'éprouvaient aucune difficulté à décrire les symptômes des maladies qu'ils avaient à soigner. Ils le faisaient à grands renforts de détails avant d'aboutir à un diagnostic tout aussi circonstancié et tout à fait exact. Il n'en allait pas de même quand ils abordaient le délicat problème de l'origine des maladies. Certains médecins fondaient les causes sur toutes sortes d'élucubrations plus ou moins farfelues. D'autres, plus réalistes, définirent les premières règles d'hygiène élémentaires.

La dernière épidémie de peste eut lieu en Franche-Comté pendant la guerre de Dix ans (1636 - 1644). Là encore, les médecins et chirurgiens savaient diagnostiquer le mal mais étaient incapables d'en déterminer l'origine. Tous les efforts étaient faits pour limiter la contagion et pour cela, les magistrats mirent en place un "personnel de peste" pour veiller au respect des réglements.

Voici deux extraits du livre "Médecins, médecines et superstitions dans la Franche-Comté d'autrefois" de Jean-Louis Clade:


 

l'enfant malade. Eugène Carrière (1885) Musée d'Orsay


Lancettes utilisées pour la saignée.

Le vocabulaire médical des XVIIIe et XIXe siècles ne doit pas faire illusion. Si le terme "virus", par exemple, était connu et employé, il n'avait pas la signification qu'on lui attribue aujourd'hui. Jusqu'aux découvertes pastoriennes, les médecins considéraient que les "germes" (virus) se trouvaient à l'intérieur du corps humain dès la naissance. Autrement dit, tous les hommes naissaient avec une disposition à contracter une fois dans leur vie une affection. Dès que le "germe" atteignait une certaine "maturité", il se trouvait "mis en mouvement par un corpuscule de même nature" et se développait pour donner la maladie. D'où l'importance de la saignée et des purgatifs qui étaient sensés expulser le mal.

On fondait les causes des maladies sur toutes sortes d'élucubrations plus ou moins farfelues. Au milieu du XIXe siècle encore, on accusait le sol, surtout les lieux argileux, "bas et humides", les marécages et les matières organiques en putréfaction, d'émettre dans l'air des "miasmes nuisibles". En revanche, les roches granitiques et les calcaires compactes, exempts "d'évaporation et d'exhalaison humatiles" repoussaient la maladie. Le "mauvais air", l'air "vicié", était en effet considéré comme le vecteur principal de toutes les maladies, ce qui était exact !

En 1830, le docteur Félix Ordinaire, médecin à Jougne (Doubs), dénonçait dans les fermes qu'il visitait "le poêle (chambre) plein de relents chauds et malodorants" et n'hésitait pas, de sa canne, à percer les vitres de papier huilé qui remplaçait généralement le verre, en criant avec colère "De l'air ! De l'air !".

Ou bien c'étaient la situation topographique, les vents, les brouillards, les pluies qui polluaient l'air. La Bresse était en cela redoutable : région de plaines émaillées d'étangs, elle passait pour favoriser "les fièvres intermittentes et les dysenteries à caractère épidémique". Les vallées encaissées chaudes et humides du vignoble jurassien provoquaient le goitre et les scrofules; la vivacité de l'air y engendrait la phtisie. Les plateaux, eux non plus, n'offraient aucun refuge contre la maladie : des circonstances atmosphériques et la direction des vents favorisaient la contagion de la fièvre typhoïde.

En montagne, les ascensions, "qui mettent trop fréquemment en action les viscères des poumons et du coeur", produisaient des anévrismes. Il est vrai que par ailleurs, d'autres doctes médecins déclaraient que l'altitude protégeait des maladies : ainsi l'air frais et raréfié, les lieux secs et élevés, garantissaient une immunité contre le choléra. Et d'accuser les saisons. En hiver, régnaient les pneumonies et les pleurésies; en été, les fièvres bilieuses et une chaleur excessive risquait de provoquer "une forte tension électrique" qui produisait "un affaissement nerveux" : l'organisme perdait alors "toute force de répulsion" pour résister à l'agent épidémique. Les variations atmosphériques causaient la bronchite et la phtisie. Avec ses brusques changements de température, le val de Mièges (Nozeroy, Champagnole) était réputé pour les entérocéphalites infantiles, les pneumonies, les amygdalites, les rhumatismes aigus, les otites, la conjonctivite, les bronchites ..

La femme malade. Jan Steen (1665)

A côté de ces divagations, des médecins avançaient des hypothèses plus réalistes. Il aurait fallu être aveugle pour ne pas voir que la plupart des maladies dites épidémiques touchaient essentiellement la population indigente aussi mal nourrie que mal logée.

Une alimentation "grossière et indigeste", l'eau polluée des mares, des puits, des fontaines ..., une maison basse, peu aérée, l'absence d'hygiène : tout était réuni pour que frappât le mal. Voici ce que découvrit un médecin jurassien en 1841 :

"Un jour appelé pour voir un malade aux environs d'Orgelet, j'entrai dans une chambre étroite, mal éclairée. On s'empressa de me conduire vers une masse énorme qui se leva péniblement à mon approche, et l'on me dit : voilà le malade. Incertain, interdit, ce ne fut qu'au bout de quelques secondes que mes yeux habitués à ce demi-jour, distinguèrent un gros boeuf, bien enveloppé de couvertures. On m'avait pris pour l'artiste vétérinaire, dont on attendait également la visite. Ajoutons qu'il y avait aussi dans la même pièce un malade humain, auquel on ne songeait guère à mon arrivée".

Et ces médecins d'indiquer une médication préventive et certainement efficace : que l'on fournisse aux indigents habillement, objet de literie, soupe, pain, viande de bœuf, riz, ... que l'on crée des dépôts de médicaments pour être distribués et administrés gratuitement, et l'on verra les maladies reculer.


Une autre origine du Goitre

La peste vient de l’Orient, mais le goitre?
Un médecin a lu la réponse à cette question dans un article de 1853 de Désiré Monnier. En voici quelques lignes qui concernent la Chaux du Dombief.


M. Désiré Monnier, inspecteur correspondant des monuments historiques, auteur de l’Annuaire du Jura, etc ... Ce savant archéologue, a entrepris avec un zèle digne d’éloges qui ferait envie à bien des médecins, de tracer la statistique de goitre dans le Jura, d’après les renseignements fournis par le dernier recensement de la population.

C’est dans son manuscrit pour l’année 1853 que je copie le fait en question, recueilli dans la région montagneuse remarquable par l’absence du goitre endémique.

"Chose surprenante, dit-il, le nombre de goitres que l’on a constaté en 1851 dans la commune de la Chaux du Dombief.

Le canton de Saint-Laurent en Grandvaux comptait 17 cas de l’engorgement anormal dont il s’agit, et, sur ce nombre, la Chaux du Dombief en reconnaissait 14 à elle seule. D’où lui vient cette malheureuse surabondance ? En attendant que l’on en découvre la cause, nous osons l’indiquer comme assez probable dans l’origine étrangère de la population.

Costumes valaques

Le seigneur de l’Aigle, en 1335, octroya une charte d’affranchissement aux habitants de cette terre, et cette charte a fait connaître un de leurs usages qui ne ressemble en aucune manière aux meurs du Comté de Bourgogne; il s’agissait de leur droit de vendre leurs filles comme bon leur semblerait, pourvu qu’ils payassent chaque fois une légère redevance à leur seigneur.

Où trouver encore en Europe, l’usage de vendre ses filles ?

Dans une contrée de la Hongrie valaque où le goitre est fort commun, et qui a pu être dans un temps sous la domination des princes de la Méranie. L’analogie de la coiffure des femmes avec l’ancien touquet des femmes du Grandvaux, viendrait appuyer cette origine. Il est, au surplus, généralement admis dans les environs que les habitants de la Chaux du Dombief sont étrangers au pays. L’isolement où ils se tiennent en ne cherchant pas d’alliance au dehors serait l’une des raisons les plus palpables de la persistance du bronchocèle dans des générations qui s’y succèdent sans croisement de races".


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La peste

haut de pageOrigine du mal et diagnostic

Les guerres, qui provoquaient les déplacements de troupes, et les famines, qui affaiblissaient les organismes humains, favorisaient le développement des maladies contagieuses, notamment de la peste. Endémique, ce fléau prit à deux reprises en Franche-Comté des allures de catastrophe.

Pendant la guerre de Cent Ans d'abord, avec une acmé de 1348 à 1350. Le mal débuta au comptoir de Caffa en Crimée, assiégé par les Mongols, puis gagna l'Europe à partir du bassin méditerranéen. Il y eut d'innombrables victimes. Toutes les classes sociales furent touchées : les pauvres bien entendu, mais aussi les bourgeois et les nobles. Le duc de Bourgogne Eudes IV lui-même en mourut en 1349. Cette épidémie marqua profondément la population qui lui donna le nom de Grande Peste ou Peste Noire.

Avant (1628-1633) et pendant la guerre de Dix-Ans (1636-1644) enfin, la peste exerça ses ravages, fauchant avec la famine et les violences des soldats près de 50% de la population. Ce fut la dernière grande épidémie en Franche-Comté.

Saint Roch, souvent représenté avec un chien

Si les médecins et chirurgiens savaient diagnostiquer le mal, ils étaient incapables d'en déterminer l'origine. Sans rejeter l'explication la plus largement acceptée, celle d'un châtiment divin pour punir l'humanité de ses péchés, ils croyaient que la peste résultait d'une certaine constitution atmosphérique, généralement chaude et humide, fécondée ou mise en mouvement par un "miasme", lequel provenait toujours d'un corps pestiféré ou d'une charogne. Par conséquent, ils avaient constaté que la maladie se développait surtout l'été, pendant les grandes chaleurs, et qu'elle régressait ou disparaissait en hiver, sauf exception. Aussi, par une déduction remarquable pour l'époque, les hommes comprirent-ils, quatre siècles avant l'ère microbienne, le danger de la contagion par l'air et par l'approche des pestiférés, et par le contact de tout objet contaminé par eux. Parfois, bouc émissaire tout désigné, on accusait les juifs d'avoir empoisonné les sources, les puits et les fontaines par drogues et maléfices. En 1348, des arrestations eurent lieu à Vesoul, à Gray, Salins, Montbéliard. Certains eurent leurs biens confisqués et furent bannis; d'autres furent condamnés au bûcher ou à la potence.

Quelle que fut l'origine, un diagnostique précoce s'avérait toujours indispensable afin que les responsables municipaux prissent des mesures visant à limiter la contagion. En 1629, à Chevroz (Doubs), J. Mulot, chirurgien déclara que son malade "estoit tout lentillé par dessus son corps, en sorte que l'on eust peu mettre une teste d'espingle entre deux tasches; il avoit aussi une grosse bosse à l'entre cuysse droite, à trois doigts plus bas que l'ingine". A vrai dire, les symptômes laissaient si peu de doute qu'il n'était pas nécessaire d'être médecin pour identifier le mal. Le 22 août, à Villeneuve d'Aval (Jura), ce fut le procureur fiscal d'Arbois qui examina une femme alitée, souffrant de maux de tête, mais mangeant et buvant fort bien. Il "la fit dépouiller et reconnut que, plus haut que la hanche droite, elle avait un charbon, et en la cuisse, la peste qui au même instant se mit à couler".

Quand les médecins ne parvenaient pas à identifier le mal, on n'hésitait pas à employer des cobayes humains. Au mois de juin, à Baume les Dames, un garçon mourut sans que fussent apparents les symptômes de la peste. Le magistrat plaça deux femmes pauvres dans la maison "où ledict garçon estoit mort; mais elles n'y eurent pas demeuré huict jours, que la plus jeune tomba malade de la peste bien recogneue, si bien que les ayant envoyées toutes deux aux loges, la plus vieille mourut deux jours après, ayant la peste aux deux aisnes".

Les médecins tardaient parfois à informer les magistrats par crainte d'alarmer la population, mais aussi par crainte d'être mis eux-mêmes en quarantaine. En effet, quand un médecin avait diagnostiqué la peste, il devait s'isoler et ne sortir qu'en marchant au milieu de la chaussée. Et puis, il y avait les malades qui dissimulaient leur mal par peur d'être rejetés par leurs concitoyens. En 1587, le Conseil de la ville de Vesoul ordonna aux habitants de déclarer les malades qu'ils avaient en leur logis dans les vingt-quatre heures après le début de la maladie. Les médecins, chirurgiens et apothicaires ne devaient pas soigner un malade avant d'en avoir informer le Conseil, afin que celui-ci vérifiât l'exactitude du diagnostique.

haut de pagePeste religion et superstitions

Puisque la peste était avant tout une punition céleste, pour apaiser le couroux divin, les villes et les villages organisaient des manifestations de piété, première démarche pour tenter d'empêcher l'épidémie. Puis, quand le mal se propageait, on priait la Vierge, les saints patrons des paroisses et les saints guérisseurs, afin qu'ils missent fin au fléau.

pélerinage de "flagellants" pour conjurer l'ire divine

Au XVIe siècle, à Besançon, on invoquait Saint Sébastien et Saint Roch, et les Saints Férréol et Ferjeux, patrons de la ville; on exposait le Saint-Suaire. En 1589, à Vesoul, on exposa le Saint-Sacrement et une messe fut célébrée chaque jour devant l'image de Saint Sébastien, auquel on promit d'aller en procession jusqu'à Montbozon (Haute-Saône) pour le remercier si l'épidémie cessait. En 1629, Dole, Besançon et Salin firent le voeux d'organiser une procession à Notre Dame de Gray, sanctuaire de loin le plus célèbre où se multipliaient les miracles. Plus tard, Notre Dame de Gray fut supplantée par Notre Dame des Jacobins à Besançon, puis par Notre Dame Libératrice à Salins. A Dole encore, le Conseil envoya deux minimes à Venise et à Milan afin qu'ils fissent célébrer des messes en l'honneur de Saint Roch et de Saint Charles; il ordonna d'exposer, dans différents endroits de la ville, des linges consacrés par le contact du Saint Suaire de Besançon. A Pontarlier, des processions s'organisèrent et des actions de grâce furent adressées à Saint Louis. Mêmes manifestations à Baume les Dames où l'on honorait Saint Germain. A Ornans, les habitants priaient la Vierge, Saint Laurent, Saint François, Saint Paul, Saint Sébastien, Saint Roch, Saint Gand, Saint Charles Borromée, Sainte Anne et Saint Nicolas Tolentin. Quand l'épidémie prenait fin, de nouvelles cérémonies rassemblaient le peuple pour remercier les saints de leur intervention. Ainsi les habitants de Salins partirent-ils en procession à Gray le 23 août 1631.

Saint Roch

Bien des villages avaient leur propre saint guérisseur : Saint Christophe à la Boissière, Saint Eloi à Ecrilles, Saint Gand à Theuley, Sainte Reine à Vellexon ..., mais le plus honoré était sans conteste Saint Roch, le patron des pestiférés. L'imagerie populaire et la statuaire le montraient tenant son bâton de pèlerin et dévoilant le charbon pesteux de son genou. Le village de Mailley (Haute-Saône), qui conservait à l'église une relique du saint, recevait la visite de nombreux pélerins. En 1631, la ville de Gray, à nouveau menacée par l'épidémie, envoya des messagers qui ramenèrent le reliquaire dans leur cité.

A côté du châtiment divin, on croyait à l'action faste ou néfaste des astres. Le passage d'une comète était synonyme de malheurs et de peste. Mais la lune, avec ses différentes phases, avait plus d'importance encore. A Lons le Saunier, bien que l'épidémie fut terminée depuis deux mois, le magistrat attendit la nouvelle lune pour lever la "barre".

Et puis, il y avait toutes sortes de superstitions. En 1629, les habitants de Besançon clouaient ou dessinaient sur leur porte un "thau" ou "tau" (lettre grecque) qui avait la vertu magique d'éloigner la peste au même titre, croyait-on, que le chiffre quatre. A Baume, à Mancenans (Doubs), on supposait que pour se débarrasser de la maladie, il suffisait de la transmettre à d'autres. Pour ce faire, les habitants de ces villages laissaient traîner aux bords des chemins des linges d'apparence propre, mais souillés au dedans, espérant qu'un voyageur les ramasserait et emporterait la peste avec lui. ...

haut de pageMesures Prophylactiques : une "police" de la peste

Comme il était plus aisé de prévenir que de guérir, les magistrats des villes et bourgs, alors investis des pleins pouvoirs par le Parlement de Dole, édictaient des règlements particuliers pour tenter de protéger leur ville et, au moins, de limiter la propagation de l'épidémie. Ainsi, le 2 juillet 1568, les "gouverneurs de la cité impériale de Besançon" établirent-ils "une police de la peste" afin de "purger et onctoyer ceste cité de la dicte contagion".

Ces règlements prévoyaient d'abord une action préventive, puis, le mal s'étant déclaré, une action curative. Les médecins n'intervenaient pas dans la phase préventive. Celle-ci dépendait des seuls édiles qui, premier souci, s'informaient en toute occasion, le plus souvent près des marchands, d'une probable épidémie déclarée dans les régions limitrophes.

Dès qu'une nouvelle alarmante leur parvenait, les magistrats dépêchaient par les rues des crieurs publics qui proclamaient "le danger de peste". Ils envoyaient des renforts pour surveiller les portes de la cité. Les gardes ne devaient laisser pénétrer aucun étranger sans lui avoir fait jurer sur les évangiles qu'il ne venait pas d'un lieu infecté. Les mendiants étrangers étaient systématiquement refoulés et ceux déjà en ville étaient expulsés, munis d'un léger viatique. Pour les pauvres de la cité, la mendicité était interdite. A Besançon, on les conduisait à l'hôpital de Velotte, puis plus tard, à celui du Saint-Esprit.

Les édiles interdisaient les grands rassemblements religieux, comme l'ostension du Saint-Suaire, à Besançon, qui attirait des milliers de fidèles de toute la province. En 1541, les magistrats bisontins annulèrent les foires de l'Ascension et de la Saint-Martin. En 1533, ils défendirent aux marchands de la ville de se rendre à la foire de Gy où régnait l'épidémie. Les écoles, comme les bains publics, étaient fermés. En 1568, à Vesoul, les habitants demandèrent le report à un mois ou six semaines, des audiences du tribunal afin d'éviter, chaque lundi, l'affluence des gens du voisinage. En 1586, le conseil de ville interdit lui aussi aux habitants de fréquenter les foires et les marchés des alentours.

Les habitants étaient tenus de nettoyer les rues. Ils jetaient les immondices dans la rivière. Ils enlevaient les fumiers devant les maisons. Des "tue-chiens" étaient désignés pour éliminer chats et chiens errants, moyennant deux liards par bête abattue. Il était interdit de laver les linges dans les fontaines de la ville.

Puisque les prostitués n'étaient pas tolérées en Franche-Comté, aucune mesure de police n'était prise à leur égard. Si le cas se présentait, même en dehors de la situation particulière qu'imposait l'épidémie, elles étaient condamnées "à estre menées hors de la cité par un sergent tambour battant et un chapeau de paille sur la teste avec défense à elles faictes d'y jamais rentrer à peine d'estre pendues et estranglées".

haut de pageLutte contre l'épidémie : l'isolement

illustration de la peste noire, tirée de la bible de Toggenburg (1411)

Et pourtant, en dépit de toutes ces précautions, le mal parvenait à pénétrer dans la ville. Au début de l'épidémie, les magistrats toléraient que les malades les plus riches et leurs proches puissent rester dans leurs maisons, avec interdiction d'en sortir sous aucun prétexte. Pour plus de sûreté, ils faisaient condamner toutes les ouvertures. Ces "barrés", comme on les appelait, n'avaient plus aucun contact avec l'extérieur. Pour désigner la maison contaminée, une croix en bois était fixée contre la façade et, la nuit, on accrochait une lanterne.

La "barre" ne concernait pas seulement les maisons des malades mais pouvait s'étendre à une ville entière. Tout commerce devenait alors impossible et aux malheurs de l'épidémie s'ajoutaient les risques de famine. En 1628 - 1629, les bisontins s'inquiétaient de ne pouvoir sortir hors de leurs murs pour vendanger.

Quand l'épidémie s'aggravait, le magistrat ordonnait que les malades et tous ceux qui avaient été en contact avec eux fussent conduits, avec meubles et effets, dans les "loges", à l'exception des notables qui pouvaient rester en leurs demeures "icelles barrées et cadenatées". Chaque fois qu'il en recevait l'ordre, le "conducteur" ou "bâtonnier" parcourait les rues désertes de la cité, agitant sa sonnette, et chargeaient les malades inscrits pour les loges. C'était des cabanes en bois établies en rase campagne, à bonne distance des agglomérations. Elles étaient divisées en trois quartiers : celui des suspects, celui des malades et celui des convalescents. A proximité se dressaient les baraques du chirurgien et du prêtre. Et, tout près, se trouvait le cimetière.

A Salins, en 1629, on établit des loges "aux Petots" et "sur la Beline"; celles de Vesoul étaient "au Chanois", au bas de la Motte, en direction de Pusy. Lorsqu'un malade, sentant sa mort prochaine souhaitait faire son testament, on appelait un notaire. L'homme de loi et les témoins, d'ailleurs difficiles à trouver, se tenaient au loin, ayant pris soin d'observer la direction du vent. Le mourant criait alors ses dernières volontés.

haut de pageUn personnel de peste

Pour veiller aux respects des règlements, les magistrats nommaient des responsables (dizainiers). Ceux-ci devaient en outre assurer l'approvisionnement des malades. Ils ne remettaient jamais les vivres et les remèdes en main propre, mais les déposaient soit sur le rebord d'une fenêtre, soit à proximité des cabanes. En 1585, à Vesoul, deux échevins furent ainsi commis pour visiter les malades tous les jours, matin et soir, et leur procurer des provisions; puis on confia cette mission à deux habitants. A Besançon, en 1568, le magistrat désigna un "contrôleur" ou "super intendant de peste", choisi parmi les notables de la cité. Également "receveur du bien des pauvres", il faisait distribuer des subsides en argent ou en nature aux nécessiteux. Certains, comme Nicolas Boncompain en 1544, payèrent leur dévouement de leur vie. Ces responsables contrôlaient aussi le personnel chargé de s'occuper exclusivement des pestiférés tant dans les maisons "barrées" qu'aux loges.

haut de pageLe chirurgien

Médecin avec son masque caractéristique. Le long bec renfermait des épices pour atténuer l'odeur des cadavres

Les médecins diplômés des universités ne se bousculaient pas pour soigner les pestiférés. Lors de l'épidémie de 1544, à Besançon, les médecins Jean Casenat et Jean Plainfois fuyèrent la cité. Il est vrai que la thérapeutique alors préconisée relevait plus de la chirurgie que de la médecine. Les médecins ne donnaient que de doctes conseils préventifs. Les individus d'un naturel "mou et délicat" comme les filles, les enfants, les femmes enceintes devaient éviter tout exercice violent, les colères, les peines et la mélancolie qui provoquaient l'ouverture des pores par où s'engageait l'infection. Les vêtements de drap, de serge et de velours, jugés "espongieux", risquaient de retenir le mauvais air. Il fallait de préférence consommer une nourriture saine. Pour les pauvres, de bonnes paroles suffisaient.

La peste était donc l'affaire des chirurgiens qui d'ailleurs ne marquaient guère plus d'empressement que les médecins pour soigner le mal. Quand en 1628, à Besançon, décéda le chirurgien de la peste, la corporation refusa de désigner un remplaçant. Il fallut que le magistrat ordonnât la nomination. Parfois, les villes faisaient appel à un chirurgien étranger auquel elles accordaient le droit de s'établir définitivement en leurs murs. Ce fut ainsi qu'en 1631, Vesoul engagea Alexandre Lagrandfemme de Besançon, pour remplacé François Court décédé aux loges.

Les barbiers-chirurgiens de la peste intervenaient aussi bien dans les maisons "barrées" qu'aux loges. Ils soignaient les plaies suppurantes, cautérisaient les "charbons", ouvraient les abcès, les couvraient d'emplâtres. Ils prescrivaient les remèdes utilisés en pareil cas, certains fort compliqués, comme l'irremplaçable thériaque, puisqu'on y trouvait pas moins d'une trentaine de composants ... tous inefficaces. Et certains conseillaient un remède facile à se procurer : de l'urine bue à jeun ... Bien des villages n'avaient pas de chirurgiens-barbier, mais un guérisseur et ils s'en contentaient.

haut de pageLes parfumeurs

On les appelait encore, selon les lieux, airieurs, désinfecteurs, nettoyeurs ou bosserands. Ils nettoyaient les maisons contaminées, éventaient la literie et les vêtements et, surtout, brûlaient des aromates dans les maisons. On était alors persuadé que les vapeurs et les fumées dégagées par la combustion de divers produits possédaient une grande efficacité contre les "miasmes".

Avec à la main une pomme de senteur et à la bouche un peu de racine d'angélique, le parfumeur pénétrait dans la maison "barrée" où il disposait ses réchauds. Il commençait par les "parfums" les plus fétides et finissait par les plus doux. Il brûlait souffre, "poix raisine, poix noire, huyle d'aspic, huyle de pétrole et camphre, et aussi quelque pierre de chaux vive arrosée de beaucoup d'eau". Il brûlait aussi du genièvre, des branches de pin, de genêts, de frêne et sarments de vignes, amenés à pleine voitures, dans les rues, contre la façade des maisons contaminées et même à l'église durant la grand messe. Le parfumeur pouvait être aidé par des commis ou commises, choisis parmi le petit peuple.

Quand la désinfection était terminée, intervenaient les essayeurs ou espreuves. On plaçait des volontaires dans la maison. Si, au bout de quelques jours, ils n'avaient pas été atteints par la maladie, la maison était "débarrée".

Certains de ces "parfumeurs" connurent la notoriété. Jean Pliant (de 1628 à 1640), venu de Lorraine, avait une telle réputation que le parlement traita directement avec lui. Il se disait médecin, mais le magistrat de Vesoul écrivait qu'il avait plus d'expérience que de science, "estant illetré et néantmoings qui avoit de très bons secrets et remèdes". en 1629, avant que ne sévisse une nouvelle épidémie, Vesoul engagea le sieur Jean Nois, de Noidans, qui accepta l'office de "nettoyeur" de la ville chaque fois que la contagion se déclarerait. On lui adjoignit un auxiliaire qu'il devait initier à ses "secrets". Secrets qui ne le protégèrent pas, puisque Jean Nobis mourut dès le début de l'épidémie de 1631. On fit venir deux désinfecteurs de Besançon : Pierre Gony et Jean Guenot. Afin de se faire de l'argent, des nettoyeurs sans scrupules n'hésitaient pas, dit-on, à recueillir le pus des pestiférés pour en enduire les verrous des portes pour que durât plus longtemps l'épidémie ...

haut de pageLe prêtre

A Besançon, le prêtre de peste était désigné par ses confrères, sur une demande adressée à l'archevêque par le magistrat. Il ne devait s'occuper que des seuls pestiférés, apportant les derniers sacrements aux mourants. Il était interdit aux autres prêtres de s'approcher des malades. A Vesoul, en 1588, les échevins demandèrent à Renobert de Mesmay, prieur de Martenoy et curé de la ville, de fournir un prêtre pour les loges. Il désigna probablement son vicaire, Antoine Clerc, qui mourut à la tâche. De Mesmay fut ensuite accusé d'avoir laissé mourir de pauvres pestiférés sans sacrements. Lâcheté ? vieillesse ? A l'évidence, on reprocha au curé s'avoir manqué de courage.

haut de pageLes enterreurs

Ils emportaient les cadavres de nuit sur un brancard ou sur une charrette dont les roues n'étaient pas ferrées pour éviter le bruit. Ils les enfouissaient dans de vastes fosses avec, parfois, les linges, les habits, ou les objets touchés par les malades, puis ils recouvraient le tout de chaux vive. En 1586, à Vesoul, les deux fossoyeurs percevaient chacun deux livres par cadavres en plus de la nourriture pour eux et leur famille. Comme l'idée voulait alors que la peste s'exhalât des corps malades, les enterreurs étaient étroitement surveillés. Le Conseil de Vesoul exigeait même que leurs outils de travail ne traînassent pas sur les fosses creusées.

haut de pageLes lavandières

A Vesoul, les linges souillés, les vêtements, la literie des malades étaient entassés sur des charrettes et conduits de nuit à la buanderie municipale installée dans une des petites îles que formaient le Durgeon, la Pouilleuse et le canal des Tanneurs. Là, des lavandières, elles aussi "barrées" dans leur bâtiment, procédaient au nettoyage. A Besançon, le superintendant indiquait un emplacement peu fréquenté, isolé, où les malades devaient laver leur linge et il leur enjoignait de n'en point laisser traîner par les rues ou au bord de l'eau.

Tout ce personnel était rétribué, mais la modicité des indemnités généralement accordées ne compensait pas les risques encourus. Ce n'étaient pas les masques qu'ils portaient qui les protégeaient. Aussi, les volontaires étaient-ils peu nombreux. Comme ils étaient en contact permanent avec les pestiférés, les magistrats leur assignaient un logement qui s'apparentait à la "barre". Afin que personne ne les approchât, ils avaient ordre de se déplacer au milieu de la chaussée, munis d'une baguette blanche, précédés des sergents de peste. La nuit, les baguettes étaient remplacées par des lanternes. Quand l'épidémie cessait, ils étaient, comme les malades convalescents, soumis à une stricte quarantaine.

Des sanctions étaient prévues contre les malades et le personnel de peste qui sortaient des maisons "barrées" sans autorisation ou qui quittaient les loges. Les peines encourues étaient multiples : des amendes, le bannissement temporaire ou définitif hors de la cité, le fouet, la prison et, dans les cas graves, la potence. Toute entorse à la police de la peste était donc sévèrement punie. Ainsi, en 1531, à Besançon, deux enterreurs et une enterreuse, accusés de semer des linges infectés, furent brûlés à Chamars. De toute façon, il était dangereux en ces périodes, de parcourir les chemins et de s'approcher des murs d'une ville : tout suspect pouvait être "arquebusé" en application des édits du Parlement et sans autre forme de procès.

De tous les moyens mis en oeuvre pour empêcher, circonscrire et soigner la peste, aucun ne semble avoir donné les effets escomptés. Tout au plus, les mesures préventives et l'isolement retardaient-ils la propagation de la maladie. Le peuple n'avait alors plus d'espérance qu'en la clémence de Dieu, et ... dans l'arrivée des grands froids.

Et l'expression "fuir quelqu'un comme la peste" prend ici tout son sens, car la fuite était probablement le seul remède efficace : cito, procul, tardè (partir vite, aller loin, rentrer tard).


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