Origine du mal et diagnostic
Les guerres, qui provoquaient les déplacements de troupes, et les famines,
qui affaiblissaient les organismes humains, favorisaient le développement
des maladies contagieuses, notamment de la peste. Endémique, ce fléau
prit à deux reprises en Franche-Comté des allures de catastrophe.
Pendant la guerre de Cent Ans d'abord, avec une acmé de 1348 à
1350. Le mal débuta au comptoir de Caffa en Crimée, assiégé
par les Mongols, puis gagna l'Europe à partir du bassin méditerranéen.
Il y eut d'innombrables victimes. Toutes les classes sociales furent touchées
: les pauvres bien entendu, mais aussi les bourgeois et les nobles. Le duc de
Bourgogne Eudes IV lui-même en mourut en 1349. Cette épidémie
marqua profondément la population qui lui donna le nom de Grande Peste
ou Peste Noire.
Avant (1628-1633) et pendant la guerre de Dix-Ans (1636-1644) enfin, la peste
exerça ses ravages, fauchant avec la famine et les violences des soldats
près de 50% de la population. Ce fut la dernière grande épidémie
en Franche-Comté.
|
Si les médecins et chirurgiens savaient diagnostiquer le mal, ils étaient
incapables d'en déterminer l'origine. Sans rejeter l'explication la plus
largement acceptée, celle d'un châtiment divin pour punir l'humanité
de ses péchés, ils croyaient que la peste résultait d'une
certaine constitution atmosphérique, généralement chaude
et humide, fécondée ou mise en mouvement par un "miasme",
lequel provenait toujours d'un corps pestiféré ou d'une charogne.
Par conséquent, ils avaient constaté que la maladie se développait
surtout l'été, pendant les grandes chaleurs, et qu'elle régressait
ou disparaissait en hiver, sauf exception. Aussi, par une déduction remarquable
pour l'époque, les hommes comprirent-ils, quatre siècles avant
l'ère microbienne, le danger de la contagion par l'air et par l'approche
des pestiférés, et par le contact de tout objet contaminé
par eux. Parfois, bouc émissaire tout désigné, on accusait
les juifs d'avoir empoisonné les sources, les puits et les fontaines
par drogues et maléfices. En 1348, des arrestations eurent lieu à
Vesoul, à Gray, Salins, Montbéliard. Certains eurent leurs biens
confisqués et furent bannis; d'autres furent condamnés au bûcher
ou à la potence.
Quelle que fut l'origine, un diagnostique précoce s'avérait toujours
indispensable afin que les responsables municipaux prissent des mesures visant
à limiter la contagion. En 1629, à Chevroz (Doubs), J. Mulot,
chirurgien déclara que son malade "estoit tout lentillé par
dessus son corps, en sorte que l'on eust peu mettre une teste d'espingle entre
deux tasches; il avoit aussi une grosse bosse à l'entre cuysse droite,
à trois doigts plus bas que l'ingine". A vrai dire, les symptômes
laissaient si peu de doute qu'il n'était pas nécessaire d'être
médecin pour identifier le mal. Le 22 août, à Villeneuve
d'Aval (Jura), ce fut le procureur fiscal d'Arbois qui examina une femme alitée,
souffrant de maux de tête, mais mangeant et buvant fort bien. Il "la
fit dépouiller et reconnut que, plus haut que la hanche droite, elle
avait un charbon, et en la cuisse, la peste qui au même instant se mit
à couler".
Quand les médecins ne parvenaient pas à identifier le mal, on
n'hésitait pas à employer des cobayes humains. Au mois de juin,
à Baume les Dames, un garçon mourut sans que fussent apparents
les symptômes de la peste. Le magistrat plaça deux femmes pauvres
dans la maison "où ledict garçon estoit mort; mais elles
n'y eurent pas demeuré huict jours, que la plus jeune tomba malade de
la peste bien recogneue, si bien que les ayant envoyées toutes deux aux
loges, la plus vieille mourut deux jours après, ayant la peste aux deux
aisnes".
Les médecins tardaient parfois à informer les magistrats par
crainte d'alarmer la population, mais aussi par crainte d'être mis eux-mêmes
en quarantaine. En effet, quand un médecin avait diagnostiqué
la peste, il devait s'isoler et ne sortir qu'en marchant au milieu de la chaussée.
Et puis, il y avait les malades qui dissimulaient leur mal par peur d'être
rejetés par leurs concitoyens. En 1587, le Conseil de la ville de Vesoul
ordonna aux habitants de déclarer les malades qu'ils avaient en leur
logis dans les vingt-quatre heures après le début de la maladie.
Les médecins, chirurgiens et apothicaires ne devaient pas soigner un
malade avant d'en avoir informer le Conseil, afin que celui-ci vérifiât
l'exactitude du diagnostique.
Peste religion et superstitions
Puisque la peste était avant tout une punition céleste, pour
apaiser le couroux divin, les villes et les villages organisaient des manifestations
de piété, première démarche pour tenter d'empêcher
l'épidémie. Puis, quand le mal se propageait, on priait la Vierge,
les saints patrons des paroisses et les saints guérisseurs, afin qu'ils
missent fin au fléau.
Au XVIe siècle, à Besançon, on invoquait Saint Sébastien
et Saint Roch, et les Saints Férréol et Ferjeux, patrons de la
ville; on exposait le Saint-Suaire. En 1589, à Vesoul, on exposa le Saint-Sacrement
et une messe fut célébrée chaque jour devant l'image de
Saint Sébastien, auquel on promit d'aller en procession jusqu'à
Montbozon (Haute-Saône) pour le remercier si l'épidémie
cessait. En 1629, Dole, Besançon et Salin firent le voeux d'organiser
une procession à Notre Dame de Gray, sanctuaire de loin le plus célèbre
où se multipliaient les miracles. Plus tard, Notre Dame de Gray fut supplantée
par Notre Dame des Jacobins à Besançon, puis par Notre Dame Libératrice
à Salins. A Dole encore, le Conseil envoya deux minimes à Venise
et à Milan afin qu'ils fissent célébrer des messes en l'honneur
de Saint Roch et de Saint Charles; il ordonna d'exposer, dans différents
endroits de la ville, des linges consacrés par le contact du Saint Suaire
de Besançon. A Pontarlier, des processions s'organisèrent et des
actions de grâce furent adressées à Saint Louis. Mêmes
manifestations à Baume les Dames où l'on honorait Saint Germain.
A Ornans, les habitants priaient la Vierge, Saint Laurent, Saint François,
Saint Paul, Saint Sébastien, Saint Roch, Saint Gand, Saint Charles Borromée,
Sainte Anne et Saint Nicolas Tolentin. Quand l'épidémie prenait
fin, de nouvelles cérémonies rassemblaient le peuple pour remercier
les saints de leur intervention. Ainsi les habitants de Salins partirent-ils
en procession à Gray le 23 août 1631.
Bien des villages avaient leur propre saint guérisseur : Saint Christophe
à la Boissière, Saint Eloi à Ecrilles, Saint Gand à
Theuley, Sainte Reine à Vellexon ..., mais le plus honoré était
sans conteste Saint Roch, le patron des pestiférés. L'imagerie
populaire et la statuaire le montraient tenant son bâton de pèlerin
et dévoilant le charbon pesteux de son genou. Le village de Mailley (Haute-Saône),
qui conservait à l'église une relique du saint, recevait la visite
de nombreux pélerins. En 1631, la ville de Gray, à nouveau menacée
par l'épidémie, envoya des messagers qui ramenèrent le
reliquaire dans leur cité.
A côté du châtiment divin, on croyait à l'action
faste ou néfaste des astres. Le passage d'une comète était
synonyme de malheurs et de peste. Mais la lune, avec ses différentes
phases, avait plus d'importance encore. A Lons le Saunier, bien que l'épidémie
fut terminée depuis deux mois, le magistrat attendit la nouvelle lune
pour lever la "barre".
Et puis, il y avait toutes sortes de superstitions. En 1629, les habitants
de Besançon clouaient ou dessinaient sur leur porte un "thau"
ou "tau" (lettre grecque) qui avait la vertu magique d'éloigner
la peste au même titre, croyait-on, que le chiffre quatre. A Baume, à
Mancenans (Doubs), on supposait que pour se débarrasser de la maladie,
il suffisait de la transmettre à d'autres. Pour ce faire, les habitants
de ces villages laissaient traîner aux bords des chemins des linges d'apparence
propre, mais souillés au dedans, espérant qu'un voyageur les ramasserait
et emporterait la peste avec lui. ...
Mesures Prophylactiques : une "police" de la peste
Comme il était plus aisé de prévenir que de guérir,
les magistrats des villes et bourgs, alors investis des pleins pouvoirs par
le Parlement de Dole, édictaient des règlements particuliers pour
tenter de protéger leur ville et, au moins, de limiter la propagation
de l'épidémie. Ainsi, le 2 juillet 1568, les "gouverneurs
de la cité impériale de Besançon" établirent-ils
"une police de la peste" afin de "purger et onctoyer ceste cité
de la dicte contagion".
Ces règlements prévoyaient d'abord une action préventive,
puis, le mal s'étant déclaré, une action curative. Les
médecins n'intervenaient pas dans la phase préventive. Celle-ci
dépendait des seuls édiles qui, premier souci, s'informaient en
toute occasion, le plus souvent près des marchands, d'une probable épidémie
déclarée dans les régions limitrophes.
Dès qu'une nouvelle alarmante leur parvenait, les magistrats dépêchaient
par les rues des crieurs publics qui proclamaient "le danger de peste".
Ils envoyaient des renforts pour surveiller les portes de la cité. Les
gardes ne devaient laisser pénétrer aucun étranger sans
lui avoir fait jurer sur les évangiles qu'il ne venait pas d'un lieu
infecté. Les mendiants étrangers étaient systématiquement
refoulés et ceux déjà en ville étaient expulsés,
munis d'un léger viatique. Pour les pauvres de la cité, la mendicité
était interdite. A Besançon, on les conduisait à l'hôpital
de Velotte, puis plus tard, à celui du Saint-Esprit.
Les édiles interdisaient les grands rassemblements religieux, comme
l'ostension du Saint-Suaire, à Besançon, qui attirait des milliers
de fidèles de toute la province. En 1541, les magistrats bisontins annulèrent
les foires de l'Ascension et de la Saint-Martin. En 1533, ils défendirent
aux marchands de la ville de se rendre à la foire de Gy où régnait
l'épidémie. Les écoles, comme les bains publics, étaient
fermés. En 1568, à Vesoul, les habitants demandèrent le
report à un mois ou six semaines, des audiences du tribunal afin d'éviter,
chaque lundi, l'affluence des gens du voisinage. En 1586, le conseil de ville
interdit lui aussi aux habitants de fréquenter les foires et les marchés
des alentours.
Les habitants étaient tenus de nettoyer les rues. Ils jetaient les immondices
dans la rivière. Ils enlevaient les fumiers devant les maisons. Des "tue-chiens"
étaient désignés pour éliminer chats et chiens errants,
moyennant deux liards par bête abattue. Il était interdit de laver
les linges dans les fontaines de la ville.
Puisque les prostitués n'étaient pas tolérées en
Franche-Comté, aucune mesure de police n'était prise à
leur égard. Si le cas se présentait, même en dehors de la
situation particulière qu'imposait l'épidémie, elles étaient
condamnées "à estre menées hors de la cité
par un sergent tambour battant et un chapeau de paille sur la teste avec défense
à elles faictes d'y jamais rentrer à peine d'estre pendues et
estranglées".
Lutte contre l'épidémie : l'isolement
Et pourtant, en dépit de toutes ces précautions, le mal parvenait
à pénétrer dans la ville. Au début de l'épidémie,
les magistrats toléraient que les malades les plus riches et leurs proches
puissent rester dans leurs maisons, avec interdiction d'en sortir sous aucun
prétexte. Pour plus de sûreté, ils faisaient condamner toutes
les ouvertures. Ces "barrés", comme on les appelait, n'avaient
plus aucun contact avec l'extérieur. Pour désigner la maison contaminée,
une croix en bois était fixée contre la façade et, la nuit,
on accrochait une lanterne.
La "barre" ne concernait pas seulement les maisons des malades mais
pouvait s'étendre à une ville entière. Tout commerce devenait
alors impossible et aux malheurs de l'épidémie s'ajoutaient les
risques de famine. En 1628 - 1629, les bisontins s'inquiétaient de ne
pouvoir sortir hors de leurs murs pour vendanger.
Quand l'épidémie s'aggravait, le magistrat ordonnait que les
malades et tous ceux qui avaient été en contact avec eux fussent
conduits, avec meubles et effets, dans les "loges", à l'exception
des notables qui pouvaient rester en leurs demeures "icelles barrées
et cadenatées". Chaque fois qu'il en recevait l'ordre, le "conducteur"
ou "bâtonnier" parcourait les rues désertes de la cité,
agitant sa sonnette, et chargeaient les malades inscrits pour les loges. C'était
des cabanes en bois établies en rase campagne, à bonne distance
des agglomérations. Elles étaient divisées en trois quartiers
: celui des suspects, celui des malades et celui des convalescents. A proximité
se dressaient les baraques du chirurgien et du prêtre. Et, tout près,
se trouvait le cimetière.
A Salins, en 1629, on établit des loges "aux Petots" et "sur
la Beline"; celles de Vesoul étaient "au Chanois", au
bas de la Motte, en direction de Pusy. Lorsqu'un malade, sentant sa mort prochaine
souhaitait faire son testament, on appelait un notaire. L'homme de loi et les
témoins, d'ailleurs difficiles à trouver, se tenaient au loin,
ayant pris soin d'observer la direction du vent. Le mourant criait alors ses
dernières volontés.
Un personnel de peste
Pour veiller aux respects des règlements, les magistrats nommaient des
responsables (dizainiers). Ceux-ci devaient en outre assurer l'approvisionnement
des malades. Ils ne remettaient jamais les vivres et les remèdes en main
propre, mais les déposaient soit sur le rebord d'une fenêtre, soit
à proximité des cabanes. En 1585, à Vesoul, deux échevins
furent ainsi commis pour visiter les malades tous les jours, matin et soir,
et leur procurer des provisions; puis on confia cette mission à deux
habitants. A Besançon, en 1568, le magistrat désigna un "contrôleur"
ou "super intendant de peste", choisi parmi les notables de la cité.
Également "receveur du bien des pauvres", il faisait distribuer
des subsides en argent ou en nature aux nécessiteux. Certains, comme
Nicolas Boncompain en 1544, payèrent leur dévouement de leur vie.
Ces responsables contrôlaient aussi le personnel chargé de s'occuper
exclusivement des pestiférés tant dans les maisons "barrées"
qu'aux loges.
Le chirurgien
Les médecins diplômés des universités ne se bousculaient
pas pour soigner les pestiférés. Lors de l'épidémie
de 1544, à Besançon, les médecins Jean Casenat et Jean
Plainfois fuyèrent la cité. Il est vrai que la thérapeutique
alors préconisée relevait plus de la chirurgie que de la médecine.
Les médecins ne donnaient que de doctes conseils préventifs. Les
individus d'un naturel "mou et délicat" comme les filles, les
enfants, les femmes enceintes devaient éviter tout exercice violent,
les colères, les peines et la mélancolie qui provoquaient l'ouverture
des pores par où s'engageait l'infection. Les vêtements de drap,
de serge et de velours, jugés "espongieux", risquaient de retenir
le mauvais air. Il fallait de préférence consommer une nourriture
saine. Pour les pauvres, de bonnes paroles suffisaient.
La peste était donc l'affaire des chirurgiens qui d'ailleurs ne marquaient
guère plus d'empressement que les médecins pour soigner le mal.
Quand en 1628, à Besançon, décéda le chirurgien
de la peste, la corporation refusa de désigner un remplaçant.
Il fallut que le magistrat ordonnât la nomination. Parfois, les villes
faisaient appel à un chirurgien étranger auquel elles accordaient
le droit de s'établir définitivement en leurs murs. Ce fut ainsi
qu'en 1631, Vesoul engagea Alexandre Lagrandfemme de Besançon, pour remplacé
François Court décédé aux loges.
Les barbiers-chirurgiens de la peste intervenaient aussi bien dans les maisons
"barrées" qu'aux loges. Ils soignaient les plaies suppurantes,
cautérisaient les "charbons", ouvraient les abcès, les
couvraient d'emplâtres. Ils prescrivaient les remèdes utilisés
en pareil cas, certains fort compliqués, comme l'irremplaçable
thériaque, puisqu'on y trouvait pas moins d'une trentaine de composants
... tous inefficaces. Et certains conseillaient un remède facile à
se procurer : de l'urine bue à jeun ... Bien des villages n'avaient pas
de chirurgiens-barbier, mais un guérisseur et ils s'en contentaient.
Les parfumeurs
On les appelait encore, selon les lieux, airieurs, désinfecteurs, nettoyeurs
ou bosserands. Ils nettoyaient les maisons contaminées, éventaient
la literie et les vêtements et, surtout, brûlaient des aromates
dans les maisons. On était alors persuadé que les vapeurs et les
fumées dégagées par la combustion de divers produits possédaient
une grande efficacité contre les "miasmes".
|
Avec à la main une pomme de senteur et à la bouche un peu de
racine d'angélique, le parfumeur pénétrait dans la maison
"barrée" où il disposait ses réchauds. Il commençait
par les "parfums" les plus fétides et finissait par les plus
doux. Il brûlait souffre, "poix raisine, poix noire, huyle d'aspic,
huyle de pétrole et camphre, et aussi quelque pierre de chaux vive arrosée
de beaucoup d'eau". Il brûlait aussi du genièvre, des branches
de pin, de genêts, de frêne et sarments de vignes, amenés
à pleine voitures, dans les rues, contre la façade des maisons
contaminées et même à l'église durant la grand messe.
Le parfumeur pouvait être aidé par des commis ou commises, choisis
parmi le petit peuple.
Quand la désinfection était terminée, intervenaient les
essayeurs ou espreuves. On plaçait des volontaires dans la maison. Si,
au bout de quelques jours, ils n'avaient pas été atteints par
la maladie, la maison était "débarrée".
Certains de ces "parfumeurs" connurent la notoriété.
Jean Pliant (de 1628 à 1640), venu de Lorraine, avait une telle réputation
que le parlement traita directement avec lui. Il se disait médecin, mais
le magistrat de Vesoul écrivait qu'il avait plus d'expérience
que de science, "estant illetré et néantmoings qui avoit
de très bons secrets et remèdes". en 1629, avant que ne sévisse
une nouvelle épidémie, Vesoul engagea le sieur Jean Nois, de Noidans,
qui accepta l'office de "nettoyeur" de la ville chaque fois que la
contagion se déclarerait. On lui adjoignit un auxiliaire qu'il devait
initier à ses "secrets". Secrets qui ne le protégèrent
pas, puisque Jean Nobis mourut dès le début de l'épidémie
de 1631. On fit venir deux désinfecteurs de Besançon : Pierre
Gony et Jean Guenot. Afin de se faire de l'argent, des nettoyeurs sans scrupules
n'hésitaient pas, dit-on, à recueillir le pus des pestiférés
pour en enduire les verrous des portes pour que durât plus longtemps l'épidémie
...
Le prêtre
A Besançon, le prêtre de peste était désigné
par ses confrères, sur une demande adressée à l'archevêque
par le magistrat. Il ne devait s'occuper que des seuls pestiférés,
apportant les derniers sacrements aux mourants. Il était interdit aux
autres prêtres de s'approcher des malades. A Vesoul, en 1588, les échevins
demandèrent à Renobert de Mesmay, prieur de Martenoy et curé
de la ville, de fournir un prêtre pour les loges. Il désigna probablement
son vicaire, Antoine Clerc, qui mourut à la tâche. De Mesmay fut
ensuite accusé d'avoir laissé mourir de pauvres pestiférés
sans sacrements. Lâcheté ? vieillesse ? A l'évidence, on
reprocha au curé s'avoir manqué de courage.
Les enterreurs
Ils emportaient les cadavres de nuit sur un brancard ou sur une charrette dont
les roues n'étaient pas ferrées pour éviter le bruit. Ils
les enfouissaient dans de vastes fosses avec, parfois, les linges, les habits,
ou les objets touchés par les malades, puis ils recouvraient le tout
de chaux vive. En 1586, à Vesoul, les deux fossoyeurs percevaient chacun
deux livres par cadavres en plus de la nourriture pour eux et leur famille.
Comme l'idée voulait alors que la peste s'exhalât des corps malades,
les enterreurs étaient étroitement surveillés. Le Conseil
de Vesoul exigeait même que leurs outils de travail ne traînassent
pas sur les fosses creusées.
Les lavandières
A Vesoul, les linges souillés, les vêtements, la literie des malades
étaient entassés sur des charrettes et conduits de nuit à
la buanderie municipale installée dans une des petites îles que
formaient le Durgeon, la Pouilleuse et le canal des Tanneurs. Là, des
lavandières, elles aussi "barrées" dans leur bâtiment,
procédaient au nettoyage. A Besançon, le superintendant indiquait
un emplacement peu fréquenté, isolé, où les malades
devaient laver leur linge et il leur enjoignait de n'en point laisser traîner
par les rues ou au bord de l'eau.
Tout ce personnel était rétribué, mais la modicité
des indemnités généralement accordées ne compensait
pas les risques encourus. Ce n'étaient pas les masques qu'ils portaient
qui les protégeaient. Aussi, les volontaires étaient-ils peu nombreux.
Comme ils étaient en contact permanent avec les pestiférés,
les magistrats leur assignaient un logement qui s'apparentait à la "barre".
Afin que personne ne les approchât, ils avaient ordre de se déplacer
au milieu de la chaussée, munis d'une baguette blanche, précédés
des sergents de peste. La nuit, les baguettes étaient remplacées
par des lanternes. Quand l'épidémie cessait, ils étaient,
comme les malades convalescents, soumis à une stricte quarantaine.
Des sanctions étaient prévues contre les malades et le personnel
de peste qui sortaient des maisons "barrées" sans autorisation
ou qui quittaient les loges. Les peines encourues étaient multiples :
des amendes, le bannissement temporaire ou définitif hors de la cité,
le fouet, la prison et, dans les cas graves, la potence. Toute entorse à
la police de la peste était donc sévèrement punie. Ainsi,
en 1531, à Besançon, deux enterreurs et une enterreuse, accusés
de semer des linges infectés, furent brûlés à Chamars.
De toute façon, il était dangereux en ces périodes, de
parcourir les chemins et de s'approcher des murs d'une ville : tout suspect
pouvait être "arquebusé" en application des édits
du Parlement et sans autre forme de procès.
De tous les moyens mis en oeuvre pour empêcher, circonscrire et soigner
la peste, aucun ne semble avoir donné les effets escomptés. Tout
au plus, les mesures préventives et l'isolement retardaient-ils la propagation
de la maladie. Le peuple n'avait alors plus d'espérance qu'en la clémence
de Dieu, et ... dans l'arrivée des grands froids.
Et l'expression "fuir
quelqu'un comme la peste" prend ici tout son sens, car la fuite était
probablement le seul remède efficace : cito, procul, tardè (partir
vite, aller loin, rentrer tard).
|