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Remèdes du Roi et remèdes "miracle"

'le chirurgien' (17e siècle David Ryckaert)

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extraits du livre "Médecins, médecines et superstitions dans la Franche-Comté d'autrefois" de Jean-Louis Clade

Le roi Louis XIV avait ordonné qu'il soit envoyé, chaque année, dans les campagnes, des remèdes destinés aux pauvres. Les intendants et leurs subdélégués, étaient chargés de leur répartition et de leur distribution. Ils transmettaient, aux "soeurs grises", chirurgiens, ou autres personnes intelligentes, dans les villes, bourgs et villages de leurs départements. Cette pratique se poursuivit jusqu'à la révolution.

Chaque intendance recevait donc un, ou plusieurs, lots de douze boites, plus une treizième séparée et plus grande. Les préparations qu'elles contenaient étaient aptes à guérir n'importe quelle maladie courante. Il était recommandé de les conserver bien enveloppées dans un lieu sec et frais. Chaque sorte de remède portait une étiquette et était accompagnée d'une notice d'emploi, indiquant les doses à prendre suivant l'âge, les forces et le tempérament du malade.

Les boites contenaient également des balances et des poids de cuivre, pour peser et partager les remèdes selon les prescriptions. Une instruction précisait : "Quand on a perdu les poids de cuivre on se sert à leur défaut de gros grains de bled ou d'orge". Des fioles vides permettaient de partager les préparations liquides. Celui qui avait la responsabilité du partage devait prendre garde à bien étiqueter chaque paquet et à joindre les notices qu'au besoin il recopiait.

En général, les curés des paroisses répartissaient les remèdes entre les divers chirurgiens barbiers et en surveillaient l'usage. L'administration craignait en effet que certains cherchassent à en tirer profit alors qu'ils devaient être prescrits gratuitement. Parfois, de grandes dames se chargeaient de la distribution. A Lons le Saunier, l'épouse du subdélégué, Madame de Leschaux, distribuait les remèdes aux malades, au moins une lieue à la ronde. Dans les subdélégations de Salins et Quingey, le marquis de Jouffroy, reçut une demi-boite.


Lettre du subdélégué de Pontarlier à l'intendant, 3 avril 1774

"J'ai reçu par le dernier courrier, la boëte de remèdes que le roi est dans l'usage de donner aux pauvres de la campagne; celle que vous m'avés fait l'honneur de m'envoyer l'année dernière a été employée conformément aux intentions de sa majesté, j'en ai donné une partie au sieur Nicod, médecin à Frasne et l'autre partie au sieur Gresset, chirurgien à Pontarlier, et je sçai qu'ils les ont administrés gratuitement et avec succès aux pauvres malades des villages de mon département".


A lire les lettres des autorités locales, ces remèdes semblaient la panacée universelle.

En 1736-1737, les "remèdes du roi" guérirent 36 personnes dans le baillage d'Ornans.

Un curé du Doubs, qui avait étudié quelques livres de médecine, écrivait le 24 février 1781 : "Les remèdes ont eu tout l'effet qu'on pouvait en attendre; je ne peux pas vous faire un détail exact de tous les malades que j'ai secourus par là, tant dans ma paroisse que dans le voisinage, parce que j'ai oublié d'en faire une note, mais le nombre en est considérable. J'ai passé 28 mois sans enterrer personne à Chaussennes où il y a 44 feux et 18 mois à Pelousey où il y en a 80. Ma boëte est sur sa fin".

Le 26 juin, les autorités pontissaliennes vantèrent, elles aussi, l'excellence et l'efficacité de ces remèdes, mais estimèrent que la quantité était trop modique "pour un baillage aussi considérable que celuy-ci, qui est rempli de pauvres et de misérables", et que les doses étaient trop faibles "pour les tempéraments des particuliers de ces cantons qui sont plus forts que dans les pays où l'air est plus tempéré".

Derrières les flagorneries, des allusions laissaient supposer que les remèdes n'étaient peut-être pas aussi efficaces que tous s'accordaient à le dire.

Le 25 juin 1737, les médecins royaux établis dans la ville d'Orgelet, louaient certes les "remèdes du roi", que distribuait Madame Varod, épouse du subdélégué, mais ajoutaient non sans malice, "qu'ils produisaient d'autant mieux leurs effets que cette dame les accompagnait le plus souvent de pain, viande, beurre, confiture, vin et autres choses pouvant servir aux soulagements de ces malades".

Même les médecins royaux chargés de la confection de ces drogues n'étaient pas toujours convaincus de leur efficacité, comme la "poudre fébrifuge purgative" qui devait guérir les fièvres intermittentes, reconnaissant à juste titre la supériorité thérapeutique du quinquina. Seulement, comme le quinquina était rare et cher, le remède fut remplacé dans les boites par une "recette" plus économique : "le fébrifuge de coquilles d'oeufs calcinées". Il suffisait de faire brûler des coquilles d'oeufs en les couvrant de charbon embrasé, de séparer le charbon des coquilles avec un petit ballet de plumes, de réduire en poudre les coquilles calcinées dans un mortier et de les tamiser. Il fallait ensuite conserver au sec dans un pot de faïence. On pouvait absorber cette poudre de diverses manières, après l'avoir fait infuser dans un verre de vin, en tisane avec des herbes ou en prise directe "enveloppée dans du pain à chanter".

Profitant de l'envoi de cette instruction, les médecins royaux ajoutèrent la formule d'une autre composition : l'eau de rouille. Après avoir fait rouiller à l'air, pendant une nuit, des petits clous ou des petits morceaux de fer, les mettre dans une cruche en terre et verser de l'eau dessus. Laisser "infuser" durant 24 heures avant de boire. Ce remède était préconisé contre les jaunisses, "pales couleurs et autres maladies d'obstruction, ce qu'on appelle vulgairement le carreau". L'eau de rouille peut aussi être utilisée "dans tous les lieux où les eaux sont mauvaises".

"Le chirurgien" (Pieter Jansz Quast)

Remèdes miracles à usage populaire au XVIIIe siècle

Garder la santé, soulager la douleur, retarder la mort, tout cela sans recourir aux soins d'un médecin. Il suffisait pour cela de fabriquer soi-même ses remèdes à partir de recettes transmises de génération en génération. En voici quelques unes que vous pourrez expérimenter si le coeur vous en dit :

Pour soigner les rhumes les plus opininiâtres, "faire bouillir un sol d'hyssope et de réglisse avec trois ou quatre pommes reinettes pelées et coupées en quatre tranches; faites bouillir cette décoction, passez là par un linge fin et ajoutez quatre onces de sucre. Faites ensuite réduire à petit feu à moitié. Vous en boirez matin et soir un petit verre à liqueur". La guérison est assurée sous quinzaine.

Contre une toux opiniâtre et pénible, il suffit de mettre dans la bouche une "noisette" d'extrait de genièvre pour que les quintes cessent aussitôt.

Contre la fièvre tierce, double-tierce et autres fièvres "intermittentes", on utilise de "l'eau de laitue ordinaire". Si le mal persiste, on prend "la simple racine de grande gentiane", souverain fébrifuge, qu'on surnomme le "quinquina d'Europe".

Pour guérir la goutte, il faut prendre une livre de farine de riz, quatre onces de levain de bière et deux onces de sel, en faire un cataplasme épais et l'appliquer sur la plante du pied, le tout enveloppé d'une flanelle chaude. Répétés de douze heures et douze heures, quatre ou cinq cataplasmes "emportent ordinairement le mal". Le pied doit ensuite être lavé avec du son, de l'eau de vie, de l'eau chaude et du savon d'Espagne. Que la goutte soit à la tête, à l'estomac, aux genoux, il faut toujours appliquer le cataplasme au pied "parce que, par la matière, il attire l'humeur des parties supérieures en bas".

"la consultation"

Contre les coliques, les intestins et la fiente de loup desséchés agissaient rapidement. Plus efficaces encore étaient les os retrouvés dans les fientes sans avoir été digérés. Si le mal persistait après absorption de ces drogues (ou à cause de leur absorption !) il suffisait de se faire une ceinture en peau de loup, poils contre peau. Une portion de peau de louveteau portée sur l'estomac soulageait les maux gastriques.

Le foie séché et puvérisé du loup, combattait la toux, l'hydropisie et la phtisie.

Contre les hémorroïdes, si elles proviennent d'un froid subit, trempez quelques chiffons doux, et mis en double, dans de l'eau de vie ou du rhum chaud, mêlé avec une égale portion de lait, et appliques-les sur l'endroit douloureux. Si cela n'est pas efficace, essayez avec des figues grillées sur le charbon et fendues en deux, ou encore brûlez du liège, réduisez le en poudre fine, mêlez le avec un blanc d'oeuf et un peu d'huile d'amande, étendez cet onguent sur un linge et appliquez le. On peut aussi faire un cataplasme avec de la pulpe d'oignons grillés ou cuits, de la pulpe de figue, du mithridate et du sel. Enfin, si tout cela a été vain, on peut encore tenter une fulmigation de fleurs de souffre sous une chaise percée.

Pour les maladies de poitrines, avec toux opiniâtre et crachements, voici un remède à la portée de toutes les bourses : séjourner dans une étable à vaches. L'effet de ce lieu est d'exciter une transpiration douce mais continuelle, par laquelle "le sang s'épure et les humeurs se dissipent".

Pour soigner la "maladie de la pierre" (calcul), il faut faire usage d'une "nourriture tendre qui passe aisément. Chicoré sauvage, cerfeuil, fleur de sureau ou de scorsonère, dent de lion ou épinards soulagent beaucoup".

Une constatation ancienne permet d'affirmer que le "saut" agit bénéfiquement pour guérir les maladies de la tête, les maux de dents et la surdité : "le mouvement dégage sans doute la partie affectée, en détournant les humeurs qui causoient la maladie, et en les faisant prendre leur cours vers les parties inférieures".

Le vin d'Arbois avait aussi des vertus. Le J. Vuillemin (1540) médecin de Philippe II le recommandait à la cour d'Espagne. Que de vertus n'a t'il pas ? Il prévient la goutte, le goitre, les fièvres paludéennes, la bronchite chronique; il soigne le scorbut, l'hémophilie, et, pris chaud et sucré, le rhume, la grippe, facilite la digestion, et de ce fait rétablit rapidement un individu affaibli.

Parmi toutes les recettes, nombreuses étaient celles qui s'attachaient à soulager le mal de dents. Il faut dire combien nos ancêtres durent souffrir des dents. Des bains de bouche avec du lierre bouilli dans du vin, pouvaient prévenir voire "emporter" les caries. Cette recette était "un des meilleurs présents que l'on puisse faire à l'humanité, car cela évite toute extraction".

Se vendait aussi un parfun (notamment les "fumigations de grains de jusquiame") qui guérissait les maux de dents : "il ne faut que recevoir le parfun dans la bouche, il sort alors des cavités des dents où l'on sentoit la douleur, des petits vers, que la corruption des aliments y forme, et qu'on peut en tirer d'aucune manière. Ce sont ces vers qui causent souvent les douleurs aigües qu'on ressent dans les dents cariées. Il y en a quelques fois de la longueur de trois lignes; leur corps est blanc, leur tête est rouge, tacheté de noir, et dès qu'ils sont tombés dans le vase d'eau que l'on prépare pour les recevoir, la douleur se dissipe entièrement. On reprend la tranquillité et le sommeil que le travail de cet insecte rendoit impossible et l'on peut se servir de la dent cariée, sans ressentir aucune incommodité".

La carotte et les oreilles de souris macérées dans du vin blanc guérissent la jaunisse. Le poux était considéré comme "apéritif et fébrifuge", on s'en servait aussi pour la fièvre quarte. Pour faire tomber les verrues, on met du lard sous une pierre avec lequel on les a touchées, et à mesure que le lard pourrit, les verrues doivent tomber. Pour soulager les ophtalmies très douloureuses, on applique entre deux linges sur l'oeil malade, des escargots vivants tirés de leur coquille.

La rage effrayait. On étouffait, dit-on, la victime entre deux matelas en évitant de se faire mordre. Aussi, les recettes contre ce fléau abondaient-elles. En voici une : "Prendre deux liards de vermoulu de chêne sec, et bien tamisé, et quatre oeufs dont on ôte exactement le germe; on bat le tout ensemble pour en faire une omelette, on fricasse avec de l'huile de noix, et on fait manger à la personne ou l'animal qui a été mordu". On peut aussi utiliser des racines de l'atisma, ou plaintain aquatique, qui croit dans l'eau des marais et des lacs. Sa racine récoltée de préférence au mois d'août, est réduite en poudre après avoir été séchée à l'ombre. Mélangé à du pain et du beurre, le remède est administré à la personne mordue, même si la rage est déclarée.

Pour prévenir des piqûres de moustiques, il faut exposer un moment son visage et ses mains à la fumée de tabac. On peut même procéder à des fumigations dans la chambre à coucher. Pour soigner les cors aux pieds, on pouvait faire un emplâtre avec un lézard, pilé dans un mortier avec de l'huile de noix jusqu'à ce qu'il soit en pommade.

Tous ces remèdes, plus écoeurant les uns que les autres, pouvaient peut-être, par hasard, soulager la douleur. Mais il y a fort à parier, qu'ils étaient souvent plus dangereux qu'efficaces.


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