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Sanctuaires à répit, limbes de l'éternité

 


La Franche-Comté connut de nombreux miracles, du début du Moyen Age au XIXe siècle. Les plus célèbres furent ceux liés au Saint Suaire à Besançon, disparu en 1789, et aux hosties de Faverney épargnées lors d'un incendie survenu dans l'église abbatiale le jour de la Pentecôte de l'an 1608. D'autres, restés discrets, se déroulèrent dans des sanctuaires dits "à répit".

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lac du Narlay, novemnre 2005

Texte Brigitte Rochelandet extrait du numéro 63 de "Pays Comtois"


Saint-Benoit ressuscite un enfant mort, tableau de Pierre Subleyras

Dans certains lieux, il fut un temps où des enfants morts-nés ressuscitaient un temps donné en présence de témoins, tous sains de corps et d'esprit. Autrefois, lorsque la naissance d'un enfant s'annonçait, le spectre de la Faucheuse survenait à l'horizon assez fréquemment. Ce moment, générateur de vie, se soldait souvent par la mort de la mère ou de l'enfant, parfois des deux. Pour la parturiente décédée en couches, les derniers sacrements et la messe funéraire lui assuraient le repos dans le cimetière paroissiale et l'accès au paradis afin de bénéficier de la vision béatifique. Chose rassurante, pour des populations chrétiennes vivant dans l'idée d'une vie éternelle dans l'enfer ou le paradis. La pesée des âmes servirait au jugement dernier.

Pour les enfants, la chose différait selon qu'ils aient reçu ou non le premier sacrement chrétien. Baptisé, l'enfant était lavé du péché originel et pouvait donc prétendre à sa part de paradis en cas de décès. Mais malheur à celui qui mourrait avant que le prêtre n'ait pu officier … il n'appartenait pas à la communauté villageoise chrétienne. De cette croyance découlait la terrible question de l'avenir matériel et spirituel de ce petit morceau de chair inerte. Rejeté du cimetière, il était inhumé dans un champ, au bord d'un sentier, comme un vulgaire animal et sans messe. Mais, fait plus douloureux encore pour les parents, son âme était condamnée à errer poursuivie par les démons ou pire, à entrer dans le royaume diabolique pour en subir l'infernale chaleur.

Pour adoucir le chagrin des mères et des pères, dès le XIIe siècle, l'Eglise inventa un nouvel espace géographique de l'au-delà; le limbe des enfants. Désormais le bébés morts sans sacrement échappaient à l'enfer, mais n'avaient toujours pas droit à la vision divine. Ce premier pas de tolérance envers ces enfants jugés innocents aux yeux des populations mais coupables à ceux des théologiens, n'était pas suffisant pour les parents. Pour pallier cette injustice, une étrange cérémonie se créa en Europe chrétienne, dès le début du XIVe siècle dans des sanctuaires dits "à répits" ou de "la recouvrance".

En France, plus de 250 sites sont actuellement répertoriés, dont 7 situés en Franche-Comté. La Haute-Saône est le département le plus concerné avec l'église abbatiale de Faverney, l'ancienne chapelle de Ronchamp, l'église Saint-Martin à Faucogney, la chapelle de Solborde d'Echenoz la Méline. Dans le Jura, les villages de Bletterans, Rahon et Nans ont également abrité un sanctuaire à répit. Les habitants du Territoire de Belfort se rendaient dans celui de la chapelle Saint-Thiébaud à Thann en Alsace. Tous les sites comtois ne sont pas encore répertoriés.

Dans ces lieux consacrés à Dieu, chapelles, oratoires, églises, les nourrissons morts-nés recevaient le baptême dans des conditions très spécifiques. Lorsqu'un enfant venait au monde sans souffle de vie, la matrone recueillait le petit corps, l'enveloppait dans un linge et le déposait dans un panier pour le transporter. Avec le père, le curé, et plusieurs villageoises, le cortège partait pour le sanctuaire à répit le plus proche, mais souvent très éloigné. Le voyage s'effectuait malgré le froid ou les grandes chaleurs; il était impossible d'attendre en raison de la décomposition effective du corps. Arrivé sur le lieu de la rédemption, le cadavre était déposé devant une statue de la Vierge, réputée miraculeuse (fait rare, la statue invoquée à Faucogney était celle de Saint-Martin). Les villageoises allumaient des bougies autour du petit corps et tous se mettaient à prier pour obtenir la clémence divine.

L'attente durait un, deux ou trois jours, rarement plus en raison des problèmes liés à l'hygiène. L'assemblée attendait que la vie se manifesta aux yeux de tous : une larme, un borborygme, un mouvement, un changement de couleur de la peau. L'enfant ressuscité, le curé officiait et le baptisait en précisant : "si tu es vivant, je te baptise". La chose accomplie, l'enfant retombait dans le sommeil éternel et tout était possible. Il avait droit d'être inhumé comme un vrai chrétien , dans le cimetière du sanctuaire à répit, où un espace spécifique lui était réservé, ou dans le cimetière de son village de naissance.

Dès le XVe siècle, l'Eglise manifesta des doutes envers ces étranges cérémonies et les refusa en 1452, lors du concile de Langres. Questionnés sur les changements de couleur de la peau et sur les écoulements divers, plusieurs médecins en attestèrent l'origine humaine, ce sont des mouvements naturels à tout corps en décomposition. Ces déclarations confortèrent l'Eglise dans son refus d'autoriser ces baptêmes. Les parents continuèrent d'y avoir recours pour limiter leurs angoisses et leurs souffrances. A Faverney, les enfants étaient déposés devant la statue de Notre-Dame la Blanche; ce fut un lieu à répit très fréquenté. Entre 1564 et 1593, les archives relatent 469 résurrections temporaires. A partir de 1593, elles cessèrent car le synode de Besançon de 1591 les interdit et le miracle de 1608 tendit à occulter cette croyance sur le site. Ailleurs, les visites furent toujours très nombreuses, comme le démontrent des notes dans les registres paroissiaux, stipulant que l'enfant a été baptisé dans ces conditions de répit. Les parents fréquentèrent les sanctuaires de Rahon, Bletterans ou Solborde jusqu'au milieu du XIXe siècle. L'Eglise modifia alors sa perception du péché originel chez les nouveaux nés; leur innocence fut admise leur accordant ainsi le droit de reposer dans le cimetière. Désormais, la porte du paradis leur était ouverte. Dès lors, ces sanctuaires furent abandonnés par ces parents en quête de rédemption, mais les statues sont toujours présentes et souvent classées, en raison de leur ancienneté et de leur rôle dans l'histoire des croyances comtoises.


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