Mariages
Avant 1674, sous la domination espagnole,
toute fille de la seigneurie de Chatelblanc, qui en sortait pour se
marier ailleurs, devait avoir l'autorisation du Seigneur, et avait
à verser vingt gros, entre les mains du procureur du
fisc. ces mariages étaient fort rares, et ne se rencontraient
presque jamais. Louis XIV abolit ce tribut, lors de la conquête
de la Franche-Comté et les seigneurs durent se soumettre.
Quand un jeune homme avait, avec l'assentiment
de ses parents, fixé vues de mariage, il se faisait accompagner
de son père, ou à défaut, d'un proche parent
dans la maison de celle qu'il pensait prendre pour femme, afin de
procéder à la demande de la jeune fille (1); la chose
était gravement débattue entre les parents; si la demande
était agrée, on fixait le jour des noces, on allait
à l'emplette et l'on dressait, auprès du notaire royal
de la localité, le contrat qui variait nécessairement
avec l'époque et la fortune des fiancés (2). L'époux
achetait à l'emplette les vêtements que devrait porter
l'épouse le jour du mariage, ainsi que les bagues et autres
joyaux. Celle-ci procurait le gilet, la chemise plissée et
la cravate (mouchoir de cou) de son futur mari, ainsi que les rideaux,
courtepointe, traversin, couverture de lit nuptial, et deux draps
ou linceuls.
Quelques jours après les emplettes,
avait lieu la "Fête de la couverture"; la fille
y invitait quelques amies, car c'est chez elle qu'avait toujours lieu
la cérémonie; le jeune homme y était invité
aussi avec quelques camarades qu'il choisissait. Quand la couverture
cousue par les jeunes filles invitées était achevée,
un souper un peu meilleur que les repas habituels était préparé
chez les parents de l'épouse et il était égayé
par les bons mots et les rires retentissants.
La danse du branle autour de la couverture
terminait la cérémonie. Jadis les bans étaient
toujours publiés trois fois (3) et dès la veille, les
futurs époux venaient pieusement faire une confession générale,
et s'agenouiller à la table sainte. Dans l'après-midi,
les amis de l'époux venaient à la demeure de l'épouse
prendre le coffre traditionnel où elle avait eu soin de serrer
son trousseau et le conduisait dans la demeure qui allait désormais
être la sienne; dès que le cheval tout enrubanné
se mettait en marche pour ramener les effets et la quenouille de chanvre
ou de lin de la fiancée, des cris de douleur, presque de colère,
des gémissements prolongés partaient des rangs des parents
et des amis de l'épouse; puis venaient des menaces, on s'efforçait
d'arrêter le cheval et de reprendre le coffre de la jeune fille;
une lutte feinte s'engageait alors entre les deux groupes, naturellement
le parti du fiancé était toujours vainqueur.
Si l'épouse devait quitter
le pays, c'était bien pire encore; les jeunes gens encombraient
tellement les chemins par lesquels devait être conduit le mobilier,
que souvent, l'on ne pouvait qu'avec des difficultés inouïes
continuer sa route (4). Au matin du jour des noces, le fiancé
revêtu de ses habits de mariage, se rendait dans la demeure
de celle qu'il allait épouser; et quand celle-ci accompagnée
de sa fille d'honneur et d'autres compagnes qui l'avaient parée
et voilée, sortait de sa chambre pleine de grâce et d'amour,
l'époux s'avançait vers elle, la saluait profondément;
puis tous deux se tenant par la main, venaient s'agenouiller auprès
de leurs vieux parents ou de ceux qui leur tenaient place; les parents
tout émus les bénissaient avec le gros cierge que chaque
famille se faisait un devoir de posséder. Après un petit
déjeuner, les fiancés montaient sur le char-à-bancs
ou le traîneau, suivis des gens de la noce également
en voitures, et les chevaux partaient à fond de train vers
l'église où devait avoir lieu la cérémonie
religieuse. La messe terminée, les voitures se dirigeaient
vers la demeure de l'épouse, qui faisait les honneurs du premier
repas, joyeux et long gala, où l'on voyait toujours le jambon,
le riz à la crème, la tétra et le caki,
où l'on entendait toujours ces chants dont la poésie
et la musique n'étaient pas souvent de premier goût,
mais qui étaient exécutés avec tant d'entrain
et de force, qu'on finissait par y trouver un certain charme. Sur
le déclin de la journée, les chevaux surexcités
par l'avoine qu'on leur avait servie avec abondance, par les chants
qu'ils entendaient et les coups d'armes à feu qui retentissaient
à chaque instant à leurs oreilles, prenaient part à
la fête, et conduisaient brides abattues, tous les convives
de la noce à l'habitation de l'époux pour le repas du
soir (5). On commençait d'abord par faire la "soupe du
marié", une marmite remplie d'eau, sans sel ni beurre,
mais dans laquelle baignaient des grains de poivre et de gros oignons,
était pendue à la crémaillère de la cuisine;
ceux des invités en tenaient un troisième couché
sur leurs bras, et celui-ci à chaque balancement imprimé
par les premiers soufflait avec force le feu du brasier à chaque
fois qu'il en approchait. Quand cette espèce de soupe était
en ébullition, on la versait dans une large écuelle
qui contenait quelques morceaux de pain noir cousus ensemble avec
du gros fil de chanvre. Quand l'épouse avait goûté
cette soupe de marié, alors seulement tous se plaçaient
à table, et étaient servis par lui. Après un
repas qui durait trois ou même quatre heures et durant lesquelles
les rires bruyant des convives se mêlaient aux gauloiseries
et aux chants bachiques mais toujours honnêtes de quelques uns,
la fête se terminait par la danse du branle qui se prolongeait
jusqu'à minuit et au delà; le lendemain des noces, les
époux avaient l'habitude de faire célébrer pour
leurs défunts, une messe à laquelle assistaient les
invités de la veille.
1)
Si la demande était repoussée, on avait une manière
expressive de faire connaître le refus; on apportait au pied
du solliciteur un peu de paille, car il avait "fait le veau",
c'est à dire qu'il n'avait pas réussi.
2) Il est curieux d'étudier
comment les dots des épouses se sont modifiées avec
les années. En 1677, Huguette GUY-TOINI épouse de Pierre
Étienne PAGNIER-BEGUET, apporte en dot la somme de 300 livres
tournois, monnaie de Bourgogne, une vache, ses habits et troussel,
selon la coutume avec une arche (coffre); la vache sera donnée
le jour de la Saint Michel, le troussel et arche le jour ou lendemain
des futures noces, avec un petit cotillon et une paire d'habits, lorsqu'elle
en requière ses père et mère, ne les ayant fait
présentement à cause de sa petitesse (elle n'avait que
quinze ans); et la somme de 300 livres en trois termes et à
trois divers jours de la fête de Saint Michel archange, jusqu'à
la fin des paiements. Cette jeune fille appartenait à une famille
assez riche de Combe des Cives; on sait qu'alors, lorsque dans une
famille, il y avait un ou plusieurs garçons, la fortune immobilière
lui revenait; les filles n'avaient qu'une somme d'argent et leur trousseau.
Anciennes
monnaies Ecu, Louis, Livre tournois |
1266
St-louis( un denier à l'écu = 4,13 gr d'or fin ; une livre
Tournois = 8,271 gr d'or fin ) |
1385
Charles V (crée un écu Couronné = 22 sous et 6 deniers
= 4,08 gr d'or fin) |
1419
Charles VI crée l'écu Heaume =5,59 gr d'or fin = 30 sous) |
1473
Louis XI revient à l'écu (3,68 gr d'or fin = 28 sous 4
deniers) |
1577
l'écu (3,2 gr d'or fin = 60 sous) |
1602
Henri IV rétablit le système Livre-sous et deniers Tournois
l'écu 3,2 gr d'or fin = 65 sous) |
1615
Louis XIII porte l'écu à 75 sous |
1641
Réforme monétaire le Louis remplace l'écu et l'écu d'argent
(dit Louis d'argent = 25 gr d'argent pur = 60 sous = 6,25
gr d'or fin) |
1709
Louis XIV revient à la livre Tournois (1 livre tournois
= 0,38 gr d'or fin) 1720 Louis XV (1 livre tournois =
0,31 gr d'or fin) |
1785
Louis XVI (1 livre tournois = 0,29 gr d'or fin; 1 Livre
= 4,45 gr d'argent pur) Livre, Franc : 18 germinal An
III ( 7/4/1795 ) le Franc remplace la Livre (1 franc =
1 Livre 3 Deniers = 4,5 gr d'argent pur) |
1803
(17 germinal an XI) Double étalon (1 franc = 4,5 gr d'argent
pur = 290,3225 mg d'or fin) (1 dollar = 5,182 franc; 1
livre anglaise = 25,221 franc) |
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En
1700, Hélène GUY-CHEZ-JEAN, lors de son mariage avec
Anatoile Joseph PAGNIER-BEGUET, apporta comme dot "la somme
de 300 livres tournois, monaye ancienne du pays et comté de
Bourgogne, un coffre de noihier ferré fermant à clef,
une paire d'habits neufs, avec ceux qu'elle a déjà pour
son usage, un couvre-chef, six tabliers et six mouchoirs de col, payables,
habits, coffre et troussel, le jour ou lendemain des dites futures
noces et ladite somme de 300 livres à chaque jour de la Saint
Michel des années 1707, 1708, 1709".
En 1755, Jeanne Françoise
BROCARD-DU-TILLET donne par contrat "la somme de 400 livres
tournois, un coffre de bois dur fermenté, un lit auquel il
y aura des rideaux de serge, un traversin, une paillasse, une couverte
à contrepoints, et deux draps de lit; deux paires d'habits
neufs de drap et étoffe de marchand pour le jour ou le lendemain
de ses noces; un troussel composé de six draps de lit, toile
de ménage, six tabliers, six chemises en toile d'oeuvre, six
couvres-chefs et six mouchoirs de col toile de marchand, six serviettes
et une nappe ouvrée.".
En 1791, Marie Antoinette BROCARD
apporte à son mari Pierre Joseph GUY-CHEZ-JEAN "un
trousseau composé d'un buffet de bois dur ferré et fermant
à clé, d'une couverture piquée, bourrée
de laine, d'un tapis d'indienne de Tours, de rideaux de serge verte,
de 12 paires d'habit de différentes étoffes et couleurs,
de douze mouchoirs de col, de douze tabliers, de deux douzaines de
chemises, de six draps, six serviettes ouvrées, et de deux
douzaines de paires de bas, le tout estimé à 558 livres".
en 1816, Marie Joseph BOURGEOIS,
par son contrat de mariage avec François BOURGEOIS-MOINE, donne
des "habillements, linges, nippes, hardes et autres effets
servant à sa personne, estimés 306; plusieurs habillements
neufs de différentes étoffes, mouchoirs et autres effets
estimés 104 livres tournois; un lit composé de ciel
et tour de lit en (cretonne) cotonne neuve, de couverture contre-pointe
et traversins de plumes estimés 111,75 livres; enfin un buffet
en sapin assortis de ses ferments en valeur de 36 livres tournois".
Telle
était, en général, à différentes
époques la dot de l'épouse dans laquelle on voit pénétrer
peu à peu le confortable, voire même un peu de luxe.
3) Quand en 1813 on publia
les bancs de François Férréol BLONDEAU et de
Marie-Claudine BLONDEAU, Pierre Alexandre BOURGEOIS-MOINE des Prés-Hauts,
qui soupçonnait entre les fiancés une parenté
qui pouvait annuler leur mariage, fit aussitôt à pied
et à jeun, le voyage de Chatel-Blanc, afin de consulter les
les registres de cette paroisse, d'où étaient originaires
les parents de l'épouse, et ayant découvert un empêchement
de consanguinité, il vint toujours à jeun, prévenir
le Curé de Chapelle des Bois, qui dût demander une dispense.
4) Lorsque Françoise
BOUVERET épousa en 1801, un individu de Foncine le Bas, les
chemins furent tellement encombrés par les jeunes gens, que
pour se rendre à Foncine, il fallut passer par Chaux-Neuve.
Cette coutume existait même quand l'épouse quittait son
hameau pour un autre éloigné.
5)
On attachait souvent une poule sur la tête du cheval qui conduisait
les époux. Cet usage est ancien; le capitaine de la jeunesse,
chargé de la direction des divertissements percevait aussi
le "droit de poule", sur les nouveaux mariés;
ce droit était plus fort pour les veufs; pour ceux qui ne donnaient
rien, c'était "le charivari".
extraits de l' "Histoire des Foncines" de Jean-Baptiste Munier
page 46 : Vers 1225, dans nos montagnes, une jeune fille, au moment de la bénédiction de son mariage, lorsqu’elle reçoit l’anneau béni par le prêtre de la main de son époux, plie ordinairement le doigt pour que cet anneau ne dépasse pas la seconde phalange; car selon l’idée qu’y attache la coutume, moins l’anneau est enfoncé plus elle conservera de liberté et de maîtrise.
page 99 : A l’occasion du mariage de Guillaume de Chalon avec Mlle de Bretagne : à Nozeroy en 1442, le prince avait ordonné à tous ses sujets de chasser, sous peine d’encourir sa colère; aussi toutes les forêts de nos montagnes avaient été mises à contribution. Biches et cerfs, perdrix et faisans arrivaient de toutes parts au château de Nozeroy.
Les fêtes de ce mariage se terminèrent par un voyage du duc et de la duchesse à Saint-Oyan de Joux en passant par l’ancienne route qui traversait notre canton par Bief des maisons, les Chalèsmes, les Planches, le Châtelet, et Morillon.
page 118 : L’usage de s’habiller de peaux de bêtes dans les montagnes du Jura était en quelque
sorte indispensable, car les droguets étaient alors si rares que ceux qui
en possédaient, s’en revêtaient seulement dans les circonstances très importantes.
C‘est à cette rareté que nous attribuons l’usage établi et presque conservé
jusqu’à ce jour dans les Foncines, de se marier avec les habits de noces
de son père et de sa mère, en sorte que le même habit servait à plusieurs
générations successives. L’usage de se vêtir de peaux s’est conservé si
longtemps qu’aujourd’hui même les tailleurs et tailleuses, dans nos montagnes,
portent encore le nom de pelletiers et de pelletieres.
A propos de mariage, nous nous garderons bien d’omettre de consigner ici une coutume locale qui a cessé d’être et dont le dernier exemple a été donné dans la famille Monnier des Planches, à l’occasion du mariage de Mr. le docteur Jeunet :
On conduisait la jeune mariée à l’église en voiture, et on la ramenait de même. A peine était-elle arrivée à sa destination, chez son époux, que les parents, les amis, menaient le char sur la place publique et qu’ils le livraient aux flammes. C’était un symbole par lequel on faisait entendre à la nouvelle femme qu’elle s’était unie sans retour à sa famille d’adoption.
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