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Les Soufflaculs

En 1888, les Soufflaculs place du Coin à Saint-Claude (gravure MG Perruchot)

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extrait du livre "Histoires populaires du Haut-Jura" de Michel Grand-Clement


Entre 1275 et 1291, se tint trois chapitres généraux, sorte de réunion plénière chargée de l'élaboration et de la codification des règlements, us et coutumes de l'Abbaye de Saint-Claude.

Ce "Rationale administrationis" fut repris en 1448 et 1466 par Vaucher de Rouches, puis remanié en 1546 par Georges de Seyturiers.

Sur le plan vestimentaire, les moines devaient être habillés d'étamine, étoffe de laine ou lin de fil léger, couleur blanche ou écrue; en 1669 la permission de se servir de linge de corps blanc, leur fut spécialement accordée.

Un article du règlement est assez curieux : défense est faite aux religieux de prêter leurs robes aux farceurs qui sont appelés "Goliards". Contraction peut-être de "gueulard" ou dérivé patoisant de "Gol", vin de qualité inférieur - boire une golée - consommé par des buveurs émêchés sortant des estaminets.

Cette interdiction prouve que des farceurs ou goliards se travestissaient à certains jours avec de doctes défroques, pour amuser le public. Dans un ce ces manuels, dressé en 1546, il est parlé du "prevost de la folie" qui très vraisemblablement présidaient les festivités, à l'initiative de la confrérie de la Mère folle.

Ces manifestations qui avaient lieu surtout à carnaval, remontent au moins au XIIIe siècle, puisque dans les traditions qui se rattachent au "bon vieux temps", il y a lieu de mentionner la fondation faite en 1322, par la comtesse Mathilde : "Pénitence des Brandons, distribution gratuite de pain à tous les pauvres, qui ayant donné dans les excès du carnaval, se présentent en signe de pénitence, munis d'une torche, devant le monastère, le dimanche avant celui des Brandons".

Les réjouissances étaient constituées par des farces, des mascarades et bacchanales. Ceux qui y participaient s'affublaient d'un costume ridicule chamarré de rouge, de vert ou de jaune.

Il existait aussi à Saint-Claude "les Pénitents blancs du Gonfalon", confrérie qui se serait constituée en 1617 mais qui remonterait au XVe siècle (M. Duhem). Cette confrérie laïque a été relancée le 14 août 1737, puis présidée par le premier Evêque de Saint-Claude le 30 mars 1772 (Notre-Dame du Gonfalon) et dissoute le 5 septembre 1792.

Les pénitents blancs étaient revêtus d'une robe en toile ou en serge appelée "sac" et coiffés d'une capuche (capucce) pointue fendue de deux trous pour les yeux. Voilà donc pour le déguisement. Le mercredi des Cendres, avec le concours de la population, les pénitents blancs se rendaient en procession à l'église de Saint-Romain pour y recevoir les cendres. Puis ils parcouraient les rues armés de soufflets pour purifier la ville et chasser les maléfices, les démons et l'esprit du mal.

Les réjouissances du carnaval de la Mère folle prirent un tel caractère de licence, que la confrérie fut dissoute en 1647. Est ce à dire que la relève avait été envisagée avec la confrérie des pénitents blancs lancée en 1617, afin de mettre un terme à la dissipation ? Le fait n'est pas nouveau en Comté, ni particulier à Saint-Claude. Une ordonnance du 4 juillet 1570, du Comté de Bourgogne, qui s'adresse surtout aux dissipations du Val de Saône et de Dole stipule :

"Aboly les dites Abbayes et Pères folies ... de cy n'y avoir aucun Père fou, et alliances avec les Valentines".

On a donc ici tous les éléments de la tradition, mélange de pénitence religieuse et de réjouissances populaires débridées. Mais il n'est point fait mention de "Soufflacus".

A lui seul, le terme est irrévérencieux, frondeur, moqueur et grivois. Si l'on tient compte de l'aspect symbolique et anticonformiste de cette fête, au moins dans sa forme achevée : "plons plons" du mardi et incinération du roi le mercredi, il ne peut s'agir que d'une parodie de la fête religieuse et d'une manifestation populaire contre l'ancien régime et toutes les formes du despotisme et de la tyrannie. Les Soufflaculs n'ont pu se manifester régulièrement que depuis le début de la IIIe République, soit autour des années 1871-1880.

Les vieux ouvriers que j'ai cotoyés vers les années 1939-1942, période durant laquelle j'étais arpette dans une fabrique de pipes, m'ont signalé que le jour des "Souffles", le monde des usines arrivait de toute part, et qu'il y avait une triple farandole qui dansait en chantant autour de la cathédrale. On notera enfin, qu'en 1898, était lancé à Saint-Claude un petit hebdomadaire satirique et anticlérical "Le Soufflacul".

Mais revenons au déroulement de la fête moderne lorsqu'elle s'étalait sur trois jours, avec la participation de mille à deux milles "Souffles". La panoplie complète du "souffle" est constituée :

- par une chemise blanche, de nuit, descendant jusqu'aux mollets, ceinturée d'un long ruban de couleur gaie et voyante ; rouge, orange, vert, bleu.

- par un bonnet de nuit enrubanné.

- par un loup ou un masque

- par un soufflet, pour chasser le démon partout où il se cache.

Raiguiseurs

Le lundi : les "Raiguiseurs", petits chariots mobiles décorés de buis, équipés d'une petite meule nécessaire à l'aiguisage des couteaux et autres objets coupants, pour la préparation des "cochonailles".

Le mardi : les "plons plons", qui se déroulent en faisant sauter dans un grand drap, tenu par six à douze "souffles", les sujets de mécontentement du moment : vie chère, prix des poireaux, impôts et même le gouvernement ou des hommes politiques. Ainsi, quelques années après la Libération, un député du Jura soutint devant l'Assemblée Nationale un projet de loi d'amnistie à l'égard des collaborateurs. Le maquis du Haut-Jura, en guise de réplique, prit à l'unanimité, la décision de faire un "plon plon". A l'instar d'une grande marque de lessive, on fit sauter le personnage en question, qui "lave plus blanc que blanc".

Le mercredi des Cendres : le grand défilé travesti au milieu des danses, avec farandoles et poursuites du démon, partout où il peut se cacher. le soir, incinération du roi des soufflaculs, toujours avec danses et farandoles. Enfin il était d'usage d'aller au bal et de terminer la fête au petit matin avec une soupe à l'oignon ou un bon ramequin.

Sur l'air des montagnards, amis chantons en coeur :

Halte-là, Halte-là

Les Soufflaculs, les Soufflaculs sont là.


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