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La Vigne et le Vin

Château-Chalon

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texte tiré de "L'héritage de la terre Franc-Comtoise" par Bernadette Maréchal


Il y eut en 1834, une insurrection à Lyon et à Paris. Les Arboisiens se sentant menaçés parcequ'on les croyait de connivence avec les insurgés, se portèrent sur la route de Besançon au-devant de troupes imaginaires ... et coupèrent un panonceau situé à deux kilomètres d'Arbois. Ce fut l'expédition de "Pont Levron".

Mais voilà qu'Arbois prenait les armes !

église Saint-Just d'Arbois

Une diligence de Lons était arrivée qui amenait un clerc d'avoué. Il annonça depuis la portière que la république était proclamée à Lyon ... Aussitôt, en pleine effervescence, les vignerons se rendirent en masse à l'hôtel de ville pour y prendre les fusils entreposés. Affolé, le représentant du gouvernement, fit appel à la troupe et deux jours plus tard, une petite armée venue de Besançon, arrivait au galop. Face à face avec les arboisiens, le sous-préfet venu de Poligny leur demanda qui était leur chef ... nos vignerons répondirent "Nos tsins tous chiefs !" ce qui voulait dire : nous sommes tous chefs. Le sous-préfet passa l'éponge et chacun rentra chez soi. Après les journées de juin, le télégraphe aérien envoya à tous les sous-préfets de France, la dépêche suivante : "Arbois, Paris et Lyon sont tranquilles".

A Arbois, on y rit, on y sonne, on y boit.

Oui, à Arbois on y rit et on y sonne ... On y sonne souvent des cloches célèbres par leurs dimensions. On y sonne aux heures régulières préconisées par l'Eglise, aux fêtes diverses et on y sonne aussi lorsque l'orage menace ... comme cela se pratique partout ailleurs. Cette coutume veut en effet, que le son des cloches éloigne du village, les foudres du ciel. Dès que le tonnerre commence à gronder, le sacristain accourt et emporté par l'élan de ses cloches, s'envole frénétiquement dans son clocher. La tactique consiste bien sûr à sonner plus fort et d'une plus belle volée que le village voisin afin de lui envoyer l'orage. A Arbois, à cause des vignes, la grêle était particulièrement redoutée et on en vint à sonner à la moindre alerte. "Il tonne, Laurent sonne !".

Un arrêt du parlement de Franche-Comté, convaincu de l'inefficacité du remède, abrogea le traité passé entre la municipalité et les recteurs d'écoles, qui voulait que ces derniers aient la responsabilité de sonner au troisième coup de tonnerre au plus tard. Arbois refusa d'obéir et le vicomte Mayeur trancha le problème en publiant cet édit : "A l'avenir, on sonnera les cloches comme auparavant mais afin de ne point blesser l'autorité du parlement, on les sonnera à la sourdine, de manière, à ce que personne ne puisse les entendre". On enleva donc les battants ...

A Arbois, on y boit. Pinte à midi, pinte le soir. Trois muids de vin, il faut avoir. Buvez trois coups devant soi. Trois coups pendant la soi. Et trois coups pour la soi à venir. On y fête le biou début septembre, au milieu d'une foule joyeuse et bruyante. Quatre hommes portent une énorme grappe faite de vraies grappes de raisins savamment assemblées.

église Saint-Just d'Arbois

Le biou s'achemine ainsi à travers la ville avec la fanfare, jusqu'à l'église Saint-Just où le curé le bénit avant de le suspendre à la voûte du choeur en offrande au saint patron. En 1888, le côté religieux de la fête déplut aux républicains qui confectionnèrent un second biou de raisin rouge qu'ils acheminèrent vers l'hôtel de ville tandis que le traditionnel biou blanc s'en allait vers l'église. Le vainqueur fut le biou blanc. Du 15 août à la Saint Martin, une dizaine d'hommes armés de longues hallebardes gardaient les vignes durant la nuit contre les voleurs. Ce sont les garde-fruits. Ils conserveront jusqu'en 1948, le droit de dresse les amendes, mais aussi de punir physiquement les délinquants surpris. Trop d'abus furent déplorés.

Mais chacun sait que le meilleur du pays jurassien est son vin jaune. On ne sait s'il fut introduit par les abbesses qui auraient fait venir au Xe siècle d'un couvent hongrois, des plans de Tokay, s'il fut apporté par les espagnols, ou s'il descend des lambrusques (vignes sauvages). En cherchant le trésor des abbesses dans ses caves, un vigneron trouva un jour, un tonneau qu'un de ses ancêtres avait caché dans la muraille. Il goûta avec méfiance et découvrit une délicieuse liqueur ambrée, le vin jaune de Château-Chalon était né.

Le Savagnin est récolté du 1er au 15 novembre d'où son nom de vin de gelée. Les tonneaux sont en chêne rouge au tartre séculaire, ils s'arrachent à prix d'or lors du décès d'un vigneron. Au printemps de la deuxième année, le vin est soutiré dans un de ces tonneaux dont "le goût est au jaune", alors commence l'énigmatique travail du vin jaune que les savants n'ont pas encore expliqué. On ne touche plus au vin pendant six ans pour être conforme à la loi, dix ans pour le plaisir, vingt cinq ans autrefois ... pour l'art. Après cela, le vin est fait ou défait. La mystérieuse métamorphose s'est opérée ou non sans que l'on sache pourquoi. Certaines récoltes n'obtiennent jamais le goût de jaune.

S'il en fait, il est sec à 13 degrés. Sa saveur est de noix de prune, sa robe est ambrée, et il fait la queue de paon en bouche durant une minute. Enfermé dans le clavelin (bouteille spéciale) il est inaltérable. On en trouve encore aujourd'hui daté de 1874.

clavelin

Le clavelin, la bouteille traditionnelle du Jura a d'ailleurs failli disparaître. La communauté européenne dans sa volonté d´harmoniser, a souhaité voir la disparition de cette bouteille atypique, d´une contenance de 62 cl, ne servant qu´à contenir le vin jaune du Jura ! Mais les protestations des gens du cru ont été suffisamment virulentes pour faire retirer ce projet de décret. On raconte dans le Jura, que après 6 ans et trois mois d´élevage (le temps minimum d´élevage en fût pour un vin jaune...), 100 litres de vin laissent la place à seulement 62 litres de grand vin, d´où la contenance du clavelin... Cette bouteille était jadis souflée à la main, dans la forêt de Vieille-Loye... Une autre explication à cette contenance particulière est que cette bouteille serait la descendante adaptée de l'ancienne "anglaise" en circulation au 19 ème siècle.

Il est un autre vin que l'on qualifie facilement de nectar. Le vin de paille. Il est tiré d'un mélange de Poulsart, de Pinot, de Trousseau et de Chardonnay.

Arbois, le Pont des Capucins, sur la Cuisance

Dès le début des vendanges, les grappes les plus saines sont choisies à la main et déposées sur des claies, pour que les grains perdent leur eau et concentrent ainsi leurs sucres. Autrefois, cette dessiccation était obtenue en laissant sécher les grappes sur des lits de paille, d'où le nom du vin. Néanmoins, cette technique, en cas de problèmes sur des grains qui pouvaient être abîmés, était propice au développement de la pourriture. C'est pourquoi l'on préfère aujourd'hui, soit pendre les grappes à des fils de fer, soit les entreposer dans de petites clayettes ou caissettes perforées. La déshydratation se fait dans des salles aérées et peut ainsi durer jusqu'à 3 mois durant lesquels les grappes sont très régulièrement surveillées afin de s'assurer que le séchage se déroule normalement sans qu'un grain ou une grappe ne s'abîme et ne contamine les autres. Une fois la concentration en sucre atteinte, la presse peut avoir lieu.

On les presse dans de minuscules pressoirs. On obtient un peu moins de 20 litres pour 100 kg de grains pressés. Les moûts sont riches en sucre (souvent plus de 300 gr. au litre). Le moût fermente durant un à deux ans. Ce vin liquoreux, titre à 17 degrés et vieillit encore pendant trois à quatre ans en petits fûts de chêne. Ce nectar suave à robe de topaze se conserve indéfiniment. Le vin de paille est généralement embouteillé dans de petits flacons de 37,5 cl à environ 100 gr. de sucre résiduel.

On connait aussi le mac-vin. En mutant les moûts de cépages nobles avec de l'eau de vie, on obtient un vin de liqueur enrichi d'épices. Il titre à 20 degrés et vieillit en fûts de chêne pendant deux à trois ans.


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