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Voituriers de Marine


Qui sont donc ces voituriers de marine dont parle Max Buchon dans le Matachin ?

"Ils sont vraiment faits comme des voleurs; de grandes figures toutes couvertes d’écorchures et de boue ! Des chapeaux qu’on dirait qu’on a ramassés dans un gouillat. Il faut voir comme ils battent leurs pauvres bêtes ... à faire sauter le sang à tout coup. Quand je les vois ces pauvres bêtes, maigres comme des lanternes, qui s’abattent sur le pavé, à force de tirer, et que ces monstres leur tape encore à grands coups de manche de fouet sur le nez pour les faire relever ... Je voudrais pouvoir les prendre au collet, ces monstres là pour les mettre eux-mêmes à la limonière en place de leurs boeufs ... Si j’étais gendarme ou commissaire de police – ce dont Dieu me garde, par parenthèse - je leur flanquerais de fameux verbaux par les talons ..."

Voici en quoi consistait leur travail:


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L’ébranchage

A l’ébranchage, ou plutôt , comme on dit en argot forestier, au montage des sapins marqués pour la coupe et vendus par l’administration des forêts, aux marchands de bois qui les font exploiter eux-mêmes.

Le montage est un métier qui a bien ses dangers. Grimper comme un écureuil jusqu’à la cime de ces arbres géants, dont la base a quelques fois dix à douze pieds de circonférence et dont la tête seule est garnie de quelques branches, sans autre secours que celui d’une corde pour se retenir à l’arbre et de deux ergots de fer assujettis aux jambes comme ceux d’un coq, à faire entrer dans la rugueuse écorce; puis une fois à la cime, c’est à dire à plus de cent pieds du sol, tout scier et tout abattre autour de soi, avec une tête assez solide et une présence d’esprit assez constante, pour être sûr qu’on ne laissera jamais tomber : voilà ce que c’est que l’ébranchage.

L’abattage

L’abattage est une opération qui a bien aussi sa solennité, et qui demande bien également sa part d’adresse et de justesse de coup d’oeil. Ce n’est pas tout d’avoir préparé au grand arbre la place où il doit s’étendre, en élaguant même toutes les branches de ses voisins qui pourraient déranger sa chute, il faut encore que l’incision de la base soit si bien calculée, que sa chute s’opère exactement dans la direction voulue, car le marchand de bois est responsable, sous peine d’amende, de tous les dégâts que pourrait entraîner une chute irrégulière.

Une fois le côté de la chute décidé, il ne faut plus que de la graisse à bras pour faire manoeuvrer horizontalement la scie, en attaquant l'arbre par le côté opposé à celui de la chute; et en fait de vigueur musculaire.

Naturellement il faut être deux pour faire manoeuvrer cette scie. A mesure qu’elle entre, on enfonce sur sa trace, à grands coups de hache, d’énormes coins qui soulèvent insensiblement l’arbre dans toute sa masse; puis voilà qu’un craquement se fait entendre; l’air siffle, la terre tremble; le géant est terrassé malgré sa taille, et l’homme, appuyé sur sa hache, reste debout à côté. Après l’abattage vient l’équarrissage : c’est une affaire de charpentage plus ou moins adroit.

Le voiturage

Quand les bois sont équarris, il faut les sortir de la forêt. Pour cela l’époque des neiges est naturellement la plus commode, mais on ne l’attend pas toujours.

On plante une forte cheville de fer à la tête actuelle du sapin qu’on appelait son pied quand il était debout.

A cette cheville on accroche une chaîne, et au bout de cette chaîne on attelle autant de paires de boeufs qu’il en faut pour enlever la charge par le simple glissement sur la terre humide ou sur la neige.
Le montage d’un sapin de cent pieds se paye un franc, l’abattage cinquante centimes, l’équarrissage cinq à six francs et le voiturage à Salins huit à douze francs.

Les routes sont parfois encore bien éloignées des pièces de marines que l’on a à y conduire. La pièce qu’il s’agit d’enlever a plus de cent pieds de long et mesure à la tête un mètre d’équarrissage. Un pareil arbre dans toute sa sève représente une formidable pesanteur. On avait été obligé de mettre trois paires de boeufs à l’attelage. Dans ce cas, la première place est toujours la plus dangereuse. Une fois la pièce ébranlée, on comprend aisément qu’il faut lui faire continuer sa marche glissante à grand coups de fouets. Mais courir d’une seule traite à travers un fourré rempli de ronces, de rochers, de troncs d’arbres et de faux niveaux est une chose qui rend bien difficile la direction précise de l’attelage. Tantôt l’arbre glisse par la seule force de sa pesanteur, et tantôt les efforts opiniâtres de tout l’attelage suffisent à peine à le maintenir en mouvement.
La pièce de sapin, une fois sur la route, il ne reste qu’à la charger sur la voiture. Nos paysans s’en tirent d’ordinaire avec une habileté remarquable. Un homme seul y suffit parfois, sans autre auxiliaire qu’un cri à manivelle, qu’on appelle une signôle, une forte chaîne de voiture et une forte perche qu’on appelle une palanche.


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