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Les invasions

 


Durant un siècle, la Franche-Comté fut le théâtre de terribles batailles. Peu d'années s'écoulaient sans que la terre ne résonne du pas des envahisseurs, celui des Français, mais plus souvent de celui de nos voisins Bernois, les "hérétiques". Combien de fois sont-ils venus aux portes de Saint-Claude ? Toujours repoussés, parfois même sans combat, comme ce 8 décembre 1591, où les Genevois s'enfuirent au simple son des cloches. Même lorsqu'elle restait à l'écart des guerres, la Comté devait subir d'incessants passages de troupes armées, Espagnols ou Italiens en marche vers les Pays-Bas en révolte et se livrant à tous les méfaits possibles.Voici, tiré du livre de Bernadette Maréchal, "L'héritage de la terre Franc-Comtoise", un aperçu de ce XVIe siècle durant lequel, entre autres événements terribles, la forêt de Septmoncel gagna son triste nom de forêt du massacre.

Voir également : la Borne au Lion

La porte de l'horloge. Principale accès à l'abbaye de Saint Claude. On distingue au premier plan l'hôpital des pèlerins sous l'église Saint Romain et son cimetière.

En 1534, on vit soudain s'engouffrer dans les murs de Saint-Claude, un flot de montagnards affolés annonçant la marche des Bernois protestants. La panique se répandit dans la ville, beaucoup de bourgeois s'enfuirent dans les montagnes voisines, tandis que les plus courageux s'armaient et suivant Claude Blanchot qu'ils choisirent pour chef, constituaient avec les autres villages, une troupe d'environ cent hommes. Ils se rendirent aussitôt jusqu'en Grandvaux récoltant au passage d'autres alliés qui grossirent la troupe de trois cent hommes supplémentaires. Ils s'emparèrent des postes déjà occupés par les Bernois hérétiques. La plupart d'entre eux réussirent à s'enfuir vers la Suisse mais ils laissèrent tout de même une centaine des leurs sur notre terre.

A la suite de cette attaque, cent vingt bourgeois furent choisis pour monter une garde régulière. Le parlement ordonna que tous les villages fussent gardés comme cela se pratiquait au temps des invasions des Sarrasins ou des routiers. Chacun s'empressa d'obéir à ces ordres sauf le village de Septmoncel dont les gardes désignés préférèrent rester en prison plusieurs mois. Là-bas, les huguenots avaient déjà sapé la foi !

A chaque alerte lancée, le corps de notre bon Saint Claude prenait la route et s'en allait se cacher dans divers lieux. Cette précieuse relique aurait été, sans aucun doute, la première victime de ces forcenés. Avec Saint Claude, était enlevé également le trésor de l'abbaye dont les lourdes statues d'argent offerte par Louis XI. Souvent ces biens étaient conduits à l'ermitage Sainte Anne fortifié pour l'occasion.

Stalles de la cathédrale. représentation supposée de Saint Claude.

Décidément la paix semblait bien précaire en cette époque, il était des signes et des clameurs dont le pays gardera longtemps le souvenir. Ce sont des cris d'horreur, des cris de guerre, des cris de détresse dont résonnèrent la profonde forêt de Septmoncel en 1535. François 1er, roi de France, en querelle avec le duc de Savoie, décida d'envoyer de l'aide aux Genevois assaillis par le duc. Son premier détachement, commandé par le sire de Veray, remonta la Valserine par Lélex et Mijoux. Parvenu au col de la Faucille, il fut surpris et littéralement décimé par les patrouilles du baron de la Sarraz. Une partie des survivants parvint tout de même à gagner Genève.

François 1er n'entendant pas céder de la sorte, envoya une nouvelle troupe forte celle-ci de mille hommes, en majorité italiens conduits sous les ordres du capitaine Rance de Serre. En suivant le même itinéraire, (ils n'avaient d'ailleurs guère d'autre choix sans courir le risque de violer nos frontières), ils parvinrent, comme leurs prédécesseurs jusqu'au col. Là, les savoyards postés en guetteurs, les attaquèrent. la deuxième troupe de secours ne parvint jamais à Genève, elle se débanda dans la campagne, tentant de descendre vers la Suisse. malheureusement les savoyards les en empêchèrent farouchement, les forcèrent à reculer vers l'ouest en terre jurassienne de Franche-Comté, dans l'épaisse forêt de Lajoux et que l'on appelait alors "forêt de Septmoncel".

Près de cinq cents italiens furent traqués sans répit durant plusieurs jours. Tous, ou presque, eurent la tête tranchée par les terribles haches dont les savoyards étaient de redoutables usagers. Aujourd'hui encore, on voit déambuler, par les sombres sentiers de la forêt de Septmoncel, de grands spectres très pâles, tenant leur tête sous le bras. De la forêt "de Septmoncel" ou "de la Frasse", on fit dès lors, la forêt "du massacre". François 1er profita de cette querelle avec la Savoie pour envahir cette même année la Bresse et le Bugey savoyards, possession de sa mère Louise de Savoie.

Charles Quint

En 1536, Berne se jeta sur la baronnie de Vaud qui appartenait à la Savoie depuis 400 ans, sous prétexte de dettes non remboursées. Berne prit Lausanne par la force, dessinant son emblème, un ours, sur les portes des édifices religieux, pillant la cathédrale, incendiant la ville. les catholiques vaudois chassés de leurs terres arrivèrent chez nous à partir de 1538. Berne et Genève envahirent encore le pays de Gex, pillèrent les abbayes, les églises, les villages. Le duc de Savoie appela alors Charles Quint à son secours et l'empereur condamna ces deux villes à payer des dommages; aucune ne répondit. Le 14 avril 1548, un hétaut d'armes aux couleurs de l'Empire, accompagné de gentilshommes, s'avançant aux portes de Berne, lui somma de se reconnaître avant 24 heures, vassale de l'empereur, sinon la guerre serait déclarée à feu, on éleva un flambeau; la guerre serait déclarée à sang, on éleva une épée nue pointée vers la ville. Les bernois cédèrent. Malheureusement le duc de Savoie sera tout de même contraint d'abandonner le pays de Vaud, le 30 octobre 1564. En 1537, un arrêt du parlement de Dole, proclamait la réunion du domaine indépendant de Saint-Claude à la Franche-Comté. A partir de cette année la terre de Saint-Claude, exemptée d'impôts, se vit contrainte de payer des charges à la province. De valeur très irrégulière, elles s'élèveront en flèche en 1633. Un procès s'engagera en 1547 devant le parlement. Un traité sera conclu au château de la Tour du Meix : trois quarts des impôts seraient à la charge des trois batys (Morans, Grandvaux et Grande Cellerie) et un quart à Saint Claude. Montbéliard, aussi était aux prises avec les calvinistes que le duc Ulrick laissa prêcher. Sa ville accueillait les réfugiés. Besançon se laissa tenter, révoltée qu'elle était alors des abus de l'archevêque, Claude de la Baume.

On en chassa les "orangistes" menés par Gauthiot d'Ancier, et on exécuta le secrétaire de la ville, Lambellin, en 1538. En 1542 la neutralité fut retrouvée. En 1543, Sire Bernard du Four, Chevalier et garde du corps, fut tué au siège de Duren (en Allemagne près de Cologne); on raconte que son cheval le voyant gisant mort à terre, revint seul, tout bridé à Nozeroy d'où son maître était partit, à la grande stupeur et admiration de la ville entière et des campagnes avoisinantes. Cette même année, 500 bernois protestants furent tués ou faits prisonniers à Fort du Plasne, alors que venus par Mouthe, ils tentaient encore d'envahir les terres de Saint-Claude. Ce furent 400 catholiques des terres de l'abbaye qui les arrêtèrent. L'abbaye de Bonlieu fut dévastée par les suisses.

Depuis 42, la monnaie dévaluait et la nouvelle crise sévit. La peste réapparut en 46, ce fut aussi l'année où le nouvel abbé de Saint-Claude plia l'échine devant le parlement. En 47, Saint-Claude brûla à nouveau, et ce feu s'étendit même jusqu'à la forêt alentour. Le 28 janvier, le feu s'emprint au couvent, brusla l'église parochiale de Saint Romain et grande partie de la ville. C'est ce qu'écrivirent les échevins à Charles Quint. Un an plus tard, un nouvel incendie de forêt jeta les San-Claudiens dans le désarroi. On vit en 1548, les habitants de Veyzia reconnaître devoir annuellement, à leur nouveau suzerain, François 1er, 24 livres de cire. Une nouvelle crise se déclara en 1549. A partir de 1550, une multitude de procès opposèrent les séculiers aux religieux de Saint-Claude. Les habitants de la ville reprochèrent aux moines leurs imprudences face aux incendies, et de n'avoir point reconstruit la chapelle Saint Romain. Ils décidèrent de réparer eux-mêmes, les moines les citèrent devant le parlement. Les San-Claudiens se plaignirent que la cloche était trop petite et ils en fondirent une autre, plus lourde, sans demander l'autorisation de l'abbaye.

Châsse de Saint Claude, cathédrale St Pierre.

Les moines se plaignirent, que trop bruyante, elle gênait leurs offices. La nouvelle cloche fut ôtée. Les San-Claudiens souhaitant obéir à l'empereur qui ordonnait des processions pour les croisades, en demandèrent l'exécution aux moines. Ceux-ci refusèrent et les San-Claudiens organisèrent eux-mêmes leur procession. les moines citèrent les échevins devant le parlement. Les San-Claudiens reprochèrent la vente du trésor de l'abbaye, la non réparation de l'église de Saint-Claude, malgré les 2000 florins données par Marguerite d'Autriche pour ces travaux. Ils accusèrent les moines en ces termes : "Bien souvent, et quand bon leur semble, partent de nuit et de jour, de pourprés du couvent, embastonnés d'arquebuses, épées, poignards, pistolets et autres armes, vêtus de cottes de mailles et autres leurs adhérants, vont par la ville et bourg dudit Saint-Claude plus que militairement, frappant, outrageant, et opprimant lesdits suppliants et les familles atrocement, sans occasion et raison, les chassant au long de laditte ville, et aucuns tellement blessans, qu'il y a eu, par plusieurs fois, crainte de mort. Souvent même, pendant le divin service, ils tirent ou font tirer grands coups d'artillerie audict couvent, comme si c'était quelque forte place mise en défense pour la guerre" (1). Ces accusations furent portées à la connaissance de Charles Quint. De leur côté, les moines s'étaient plaints en 1532, "douloir, à raison des baptures et voies de fait commises par aucuns desdits habitants aux personnes desdits religieux jusques à grande effusions de sang ... par plusieurs et diverses fois les sont venus envahir et assaillir nuitament à la porte dudit monastère en ruant et jettant grand nombre de pierres et faisant grand bruit". Les troubles s'étaient finalement calmés mais reprirent de plus belle en 1546.

moine à l'ouvrage (Dom Benoit ?)

Il fut défendu aux San-Claudiens de circuler par nos dittes villes nuitament sans lumières, embastonnés d'épées ou autres bâtons invasifs. Mais en 1548, à nouveau, les moines dénonçaient les violence commises sur un de leur serviteur par Romain Bauderat, Pierre Mermet et d'autres, alors qu'ils revenaient de la prison de Dole pour les mêmes raisons. Un autre procès parlait du cimetière jugé trop petit par les séculiers, qui le firent agrandir. L'affaire fut, à nouveau, portée devant le parlement. Charles Quint répondit dès le 18 septembre 1550 : il nomma un protecteur de la ville de Saint-Claude, chargé de faire régner la paix entre ses habitants et l'abbaye. Il chargea le parlement de Dole d'envoyer un conseiller qui "démêlerait" l'affaire. Enfin les moines éditèrent un concordat au castel de la Tour du May. Les esprits se calmèrent. Quelques plaintes fusèrent encore mais restèrent sans suite.

En 1550, plusieurs familles catholiques, Vaudoises et Genevoises émigrèrent de leurs pays et vinrent s'installer à Septmoncel. Les Gruets apportèrent ainsi avec eux l'art de l'horlogerie. Les frères Mayet fondèrent les fabriques de Morez, Septmoncel, Foncine. Outre que nos coteaux étaient tapissés de vignes comme l'était la vallée du Tacon, les usines de toutes sortes commençaient à s'égrenner le long des cours d'eau. Jean Vincent fondait une papeterie sur le Pissevache à l'actuel Montbrillant (qui doit son nom à une ancienne diamanterie).

Charles Quint

On voyait des moulins, des martinets, des battoirs, des foules sur le flumen. Presque tous les habitants de Vaux et de Chiria étaient teinturiers. Introduite par une famille allemande, cette industrie entraîna la culture du safran. Aujourd'hui encore certains noms de lieux-dits rappellent ce fait comme "la safrannière" ou le "ruisseau de la teinte" dans lequel on lavait les tissus. Moirans possédait plusieurs fabriques de draps et exploitait la laine. On y élevait chèvres et moutons. Les tisserands réunis sous le vocable de Saint Séverin avaient leurs statuts propres, leur chapelle, leur roi. Ils plaçaient sur leur porte des enseignes telles que panonceaux représentant des cardes ou des ciseaux à tondre. Avec eux régnaient les cordonniers et les tanneurs. Le bief du Murgin avait ses forges, ses moulins et battoirs. On y travaillait le buis. Malgré les troubles graves qui secouaient le pays, malgré cette guerre de religion en laquelle personne ne voyait d'issue, chacun s'employait avec un courage et une volonté que nulle autre époque ne connaîtra, à construire ce pays vers l'avenir. Le peuple laborieux des jurassiens avait trouvé sa voie. L'âge d'or de la Franche-Comté prenait son souffle vers une ère qu'il voulait prospère, riche, semeuse d'espérance.

Les Grandvalliers appartenaient à une même communauté mais l'accroissement de la population la divisa en cinq parties appelées "rivières". L'histoire a conservé le nom de "Grande Rivière". On parlait alors de "Rivière Devant", "Rivière Derrière", "Fort du Plasne", "Lac des Rouges Truites". Prénovel et les Piarts formaient une sixième section restée à part. Ces cinq Rivières demeureront étroitement liées au-delà de la conquête française et jusqu'à la révolution. Les échevins de chaque Rivière se réunissaient régulièrement dans la maison de Salave, dressée au carrefour des routes de Saint-Claude à Clairvaux. Cinq clefs y ouvraient un coffre muni de cinq serrures et renfermant toutes les archives du Grandvaux.

En Bugey, le château d'Echallon brûla en cette année 1550, mais ceci est en royaume de France, quittons le vite et rendons-nous à Arbois ou à Salins.

Chacun sait que les Arboisiens ne tenaient pas pas en grande estime leurs voisins de Salins et que la réciproque était tout aussi vaillante. Il était indubitable qu'un plus grand nombre de Salinois que d'Arboisiens avaient été anoblis; entendez donc la version arboisienne de l'affaire :

Charles Quint qui visitait notre comté, fut soudain pressé par un besoin impérial urgent, comme il arrive parfois à tout un chacun. Son chancelier, s'apercevant mais un peu tard, qu'il n'avait point de papier, ne peut proposer à son empereur que le précieux rouleau de titres, tous signés et apposés du sceau impérial, et sur lesquels il ne manquait que le nom du destinataire. Charles Quint, contre malheur fit bonne fortune de ces parchemins, que le vent répandit dans les vignes.

Le lendemain au petit matin, imaginez l'heureuse surprise des Salinois, découvrant entre leurs ceps noueux, ces précieuses reliques ! Ils s'en emparèrent, y apposèrent leurs noms respectifs, après bien sûr, les avoir lavés. C'est depuis ce temps-là que Salins compte tant de nobles têtes ... Mais l'histoire ne s'arrête pas là, la réponse des Salinois à cette injure arboisienne ne se fit pas attendre : "Chacun sait que l'esprit étant ce qu'il y a de plus léger dans l'homme, il monte toujours au plus haut sommet du corps; lorsqu'ils fossurent, les vignerons Arboisiens sont tellement baissés vers le sol que leur cul est plus haut que leur tête, tant et si bien que leur esprit s'en échappe très vite et qu'il ne leur reste rien dans la cervelle" (2).

Les Saulniers de Salins bénéficiaient de jours chômés et d'indemnisations d'accidents de travail. les fêtes y étaient célèbres, qu'elles fussent religieuses ou profanes comme par exemple les foires à la vaisselle. En 1551, la ligue héréditaire stipula que les suisses devaient avoir fidèle et léal regard sur la Franche-Comté afin qu'elle ne soit ni pressée, ni molestée contre droit et raison.

La peste

En 1552, la peste revint. dans le nord, les Bernois occupaient la vallée des Dappes, et en 1554, on continuait de mourir dans les chaumières de la grande épidémie, qui durera un an encore. De son gouvernement équilibré et juste, de sa Franche-Comté qu'il affectionnait particulièrement, Charles Quint dira : "Je n'obtiens des Comtois que ce qu'ils veulent bien me donner". En effet, le gouvernement de la Comté restait exclusivement local. A sa tête, étaient placés des nobles de vieilles souches comme les descendants héréditaires des Chalons, des De la Baume, les De Rey, les De Vergy, etc ...

"Ceste année 1556 s'appelera l'année de la grande seicheresse pour ce que les vivans, (tant vieulx soyent-ils) n'en ont seullement veu aucune semblable mais ny aussi ouy parlé d'une telle. Icelle seicheresse commencea en my mars, continuant avec bruslantes et extrèsmes chaleurs jusques aux Xe d'aoust qu'elle a été refroidie par une pluye. Les bleds sont demeurés cours sur pailles et de grain; la terre n'a produict aucunes herbes, du moings si peu que c'est chose estrange : tellement que qui avoit acoustumé passer XX chariotz de foin n'en a passé qu'ung ou deux pour le plus. L'on ne vit oncques tant de processions parmis les champs tellement que c'était chose triste et piteuse et lamentable spectacle de les voir ainsi crier en toute humilité miséricorde. Et par la véhémente chaleur, les simples et menues gens (qui souloyent aller nud piedz) étaient contrainctz eulx chaulsser, pour estre la terre si ardamment bruslante, qu'ilz ne la pouvoyent ainsi endurer. L'on vendangea en my aoust, après que la pluye de ce moys eus trempé la terre, laquelle (auparavant tant aride) fut de si grande amour ayant receue la pluye, qu'elle produict soudainement comme par miracle estant ainsi trempée, non seulement force herbes et rouvains en très grande abondance, ains aussi en plusieurs arbres de toutes sortes et ès vignes; elle fit gecter et sortir nouveaulx bois, feuilles, fleurs et fruits, de sorte que c'estoit chose émerveillable voir en septembre plusieurs arbres et buissons fleuris ainsi comme à Pasques les nouveaux fruicts ne vindrent toutefois à maturité".

Charles Quint abdiqua en 1556, tournant irrémédiablement une des plus belles pages de l'histoire de la Franche-Comté. Il se retira au monastère de Juste en Espagne Il n'y vivra que deux ans et c'est en 1558 qu'il sera inhumé à la chartreuse de Chanmole près de Dijon.

Les Pays-Bas et la Franche-Comté revinrent à Philippe II d'Espagne qui leur donna pour régente Marguerite de Parme, aidée du fils de Nicolas Perrenot de Grandvelle, le cardinal Grandvelle. Malheureusement, Marguerite et son cardinal furent très vite emportés par la révolte des Pays-Bas. François 1er rendit la Bresse à la Savoie mais le duc Emmanuel Philibert, allié à l'Espagne, l'envahit aussitôt.

Après d'inféconds essais de gouvernements successifs, Philippe II céda les Pays-Bas et la Franche-Comté à sa fille l'archiduchesse Isabelle Claire Eugénie, et à son mari l'archiduc Albert de Habsbourg. A nouveau l'ère fut prospère et confiante malgré une crise économique qui durera près de 35 ans. En 1585, le prix du blé doublera.

En 1560 Baume les Messieurs brûla. De 1562 à 1566, la famine revint. En 1564, Saint-Claude et les villages alentours perdaient six à huit cents habitants qui furent enterrés au cimetière proche du chemin, face à l'hospice des pèlerins, car on était depuis longtemps dans la coutume d'y ensevelir les pestiférés, on l'appelait d'ailleurs le cimetière des pestiférés, "Et lors demeura t'on environ deux ans sans approcher ledit cimetière, et même demeurèrent les jardins prochains d'iceluy sans culture pendant ledit temps" (3) . La terreur était telle, qu'une véritable névrose gagna le peuple et en cette année 64, un homme d'Orgelet fut même accusé d'avoir répandu la maladie dans les maisons d'Orgelet par l'onguent pestilentiel. Jugé, il fut exécuté à Annecy.

Le duc Emmanuel envahissait le Bugey et Charles IX, roi de France, vint prier à Saint-Claude. La progression économique était terminée; elle était étouffée par le gouvernement instable de Philippe II qui, moins diplomate que son père ne parvenait pas à s'accorder avec la noblesse locale.

C'est aussi durant cette période que les grandes forêts jurassiennes restées jusqu'alors pratiquement inviolées, se trouaient de clairières, de "cernois", "d'abergements". Les colons y construisaient de nouveaux villages et y cultivaient l'avoine et l'orge en parallèle avec l'élevage. Ces nouveaux colons étaient surtout savoyards, mais aussi jurassiens et suisses. La population s'était accrue sous Marguerite d'Autriche et Charles Quint. Dans une lettre que le cardinal Antoine de Grandvelle envoya à son roi Philippe II, il décrit le pays : "Suys en doulx lieux ou je vous ai souhaité mille et mille fois avec force belles montagnes haultes jusqu'au ciel fertilles à tous, remplis de fort belles vignes et toute sorte de bons fruictz,; les rivières et les vallées belles et larges, l'eau clere comme un cristal, une infinité de fontaines, truictes et ombres innumérables et les meilleures du monde; les champs en bas fort fertilles et fort belles prayères et en l'ung des chaleurs grandes et en l'autre quelque chaleur qu'il face un frais délectable" (4).

En 1567, Guillaume de Nassau, dit "le taciturne", prince d'Orange et descendant des Chalons, se révoltait avec les Pays-Bas; la répression de Philippe II fut immédiate, il lui confisqua la forêt de Joux qu'il tenait de ses ancêtres. Philippe congédia les fidèles serviteurs de son père, aussitôt, ces derniers se heurtèrent aux nouveaux notables qu'ils qualifiaient de "parvenus". Révoltés de cette injustice, ils prirent le parti de Guillaume de Nassau, venant ainsi grossir le "clan des Orangistes" opposé à Philippe. Le gouvernement devait prendre l'avis du parlement de Dole. Ce parlement assurait justice et Etat; sauf pour Besançon qui relevait de l'Empire. Fait important, pour accéder au parlement, la capacité et les mérites comptaient plus que la naissance ou que la fortune. Chacun pouvait accéder et rivaliser avec la noblesse d'ancienne lignée, par son instruction et sa valeur personnelle. Si ce privilège était apprécié par les bourgeois et même les paysans et les simples gens, la réciproque n'était pas ressentie dans les nobles familles. Aux Habsbourg, par contre, les bourgeois anoblis paraissaient de meilleurs serviteurs que les turbulents seigneurs comtois.

Le souverain nommait trois baillis, le grand gruyer gérait les forêts, et le pardessus prenait soin des salines; ce dernier donnait un rapport annuel devant le parlement. La chambre des Comptes supprimée par Louis XI fut reconstituée par Philippe II ce qui renforçait l'autonomie du pays. On ne payait pas d'impôt réguliers et on en était fiers. Le souverain devait réclamer la somme qu'il désirait recevoir, somme qui était souvent négociée et redivisée. On levait un impôt volontaire pour récompenser les meilleurs sujets du pays. Notre comté s'enorgueillissait de jouer de grands rôles dans le plus vaste empire du monde : C'était un Comtois qui avait capturé François 1er à Pavie, un autre négocia le traité de Madrid, un autre encore, le mariage de Philippe II avec Marie Tudor et Nicolas Perrenot avait suivi Charles Quint jusqu'à Tunis, sans oublier, Philibert de Chalon, généralissime dans ses armées et vice roi de Naples.

Dole, Salins, Arbois, Poligny, Orgelet, Ornans et Lons le Saunier étaient les seules villes possédant un maire.

Le duc d'Albe, 12000 hommes et 2000 chevaux, arrivèrent par Chavannes, écrasant la Comté de taxes et de réquisitions. Les troupes espagnoles, en route vers les Pays-Bas révoltés, commettaient des méfaits que la Comté n'appréciait guère. Restée, malgré quelques troubles religieux à l'écart de ces guerres, elle subit dès lors les incessants passages de troupes armées. Depuis celui du duc d'Albe, les troupes de sa majesté catholique, venues du Milanais, traversèrent le pays du Sud au Nord vers les Pays-Bas en 1567, 71, 73, 77, 78, 80, 82, 84 et 87. Le parlement excédé, finira par demander que les Espagnols soient envoyés par la mer, et les italiens par la Suisse ! Mais que dire des protestants allemands et français ? En 1568, les comtois parvinrent, en détruisant les ponts de la Saône et en suivant leur évolution sur la rive est, à empêcher le passage de 6000 cavaliers et 4000 fantassins français.

De 1570 à 1575, les mendiants moururent de faim. Décembre 71 fut assombri par la menace d'une nouvelle attaque des hérétiques contre Saint-Claude. On parlait aussi d'un insaisissable loup qui semait la terreur à Amange. En plus de la famine, la peste revint durant trois ans à partir de 1573. L'année suivante en 74, la Comté refusaà nouveau obéissance au roi espagnol. Les parlementaires se cabrèrent et emboitèrent le pas aux Pays-Bas révoltés. Heureusement, Philippe reconnu ses erreurs et adopta finalement la politique diplomate de son père, Charles Quint. Grâce à cet effort, il parvint à faire admettre avec l'aide de Grandvelle, les projets qu'il n'avait pu imposer auparavant.

Une nouvelle fois en 75, l'abbé de Saint-Claude fut averti qu'une attaque des hérétiques de Besançon se préparait. Elle se déclencha le 21 juin, et se solda par un échec cuisant pour les Bisontins.

A Dole, Gilles Garnier fut brûlé vif pour s'être transformé en loup-garou. La peste de 76 fut extrêmement meurtrière. En 77 Pierre de Dortan acquit Esmondeux et Chatonnax, en 79, l'église de Broissia était fondée par la famille Froissard. Le 30 octobre l'église de Saint-Claude brûlait, avec ce qui restait des reliques de Saint Lupicin et autres saints, avec toute la ville sauf la rue Basse et l'église Saint-Pierre, sauvées par les habitants. A la suite de cet incendie, les échevins demandèrent au parlement de défendre l'exportation des sapins et des chênes afin de pouvoir reconstruire dans les plus brefs délais. cette demande était d'ailleurs coutumière, elle fut acceptée. Malheureusement l'arrêté fut plus d'une fois violé, et c'est ainsi que le 7 septembre 1584, on arrêta un train de bois qui descendait la Bienne. Un tiers en revint à l'abbé, le reste au roi. On sollicita également des aumônes répertoriées sur un livret, prouvant ainsi la bonne foi des échevins.

A nouveau la peste revint en 78 et s'installa chez nous durant deux années. Elle sera suivie d'une famine qui sévira trois ans pour se terminer par une nouvelle épidémie.

Enfin, le roi Henri IV se convertit. les guerres de religions se calmèrent aussitôt, mais, pays frontière entre protestants et catholiques, nous continuâmes à souffrir des incursions des Bernois et des Genevois. la France allait pouvoir, en oubliant quelques engagements, "s'occuper" de la Franche-Comté dont l'autonomie était devenue soudainement anachronique.

En 87, une délégation de princes, ducs, comtes, chevaliers, soldats du duc de Guise vinrent en pèlerinage auprès de notre Saint Claude, et lui firent don d'une plaque de bronze gravée en remerciements de leur victoire contre les huguenots français, allemands et suisses.

Françoise Monet naquit à Bonaz en 1589. Très jeune, elle aura des visions. Toute sa vie sera menée autour de la sainteté. Elle rencontrera l'ermite de la grotte Sainte Anne de Saint-Claude et Saint François de Sales à Dijon, elle deviendra carmélite à Avignon, elle recevra l'impression des stigmates, fréquemment elle verra son ange gardien, fera de nombreux miracles qu'elle perpétura d'ailleurs au-delà de la mort.

Encore une fois, l'abbaye de Chézery fut pillée par les Bernois en 1590. Les Bernois n'avaient cesse de venir chez nous faire la guerre, poussés par le roi de France, les suisses et les Vaudois arrachés à la Savoie catholique, se ruèrent sur le pays de Gex où ils pillèrent et incendièrent l'abbaye de Chézery et ses archives, dévastèrent Nantua d'où ils emportèrent la châsse en argent de Saint Maxime dont ils dispersèrent les ossements. Ils s'installeront même en cette contrée. Saint François de sales déployait tous ses efforts pour maintenir les catholiques en place. L'abbaye du lac de Joux fut prise et annexée par les Suisses alors qu'en droit féodal elle appartenait à Saint-Claude. Saint-Cergue tomba aussi et la chartreuse d'Oujon fut réduite en cendre.

De longs pourparlers seront entamés durant lesquels on s'envoyait à la figure nombre chartes des empereurs et rois anciens prouvant la possession de ces terres. berne ascensa néanmoins ces terres à sa guise et des heurts violents survinrent entre les habitants des lieux et les Bernois qui sous prétexte de représailles allaient, durant un siècle, faire des incursions sur les terres de Saint-Claude, pillant et rançonnant les paysans.

Voici ce qui se passa le 8 décembre 1591, jour où les genevois mirent à dessein d'envahir la ville. Ils étaient 100 à 120, rassemblés à Gex, qui chargèrent sur quelques mauvais chevaux des provisions de bouche et de guerre. Ils arrivèrent au bas de la montagne de Septmoncel mais tandis que dans un petit plain qui entre le village de l'Essart et la montagne, ils se rallioient et arrangeoient leur entreprise, ils entendirent sonner les grosse cloches de l'abbaye pour les matines qu'on y disoit alors vers la nuit, et pour la fête de la conception de la Sainte Vierge, protectrice de la province. Ce son inespréré les surprit, mais ayant bientôt cessé, tandis qu'ils délibéroient s'ils avanceroient, o sonna un second coup, et bientôt après un troisième. Ils aperçurent ensuite des lumières du costé de la ville et entendirent battre du tambour, ce qu'on ne faisoit pourtant que pour doner des bonjours, comme il était alors coustume de le faire dans l'avent. Ils crurent qu'absolument ils étoient découverts et que les habitants étoiet sur leur garde; ils prirent la fuite et retournèrent en confusion sur leur pays. Ce qui fut une protection visible du ciel et un effet de la puissance de sos saints protecteurs auprès de Dieu; car si ces méchants avoient suivi leurs desseins, trouvant la ville toute ouverte et sans garde, tous les habitants endormis, quels maux n'auraient-ils pas fait dans la surprise et la confusion de la nuit.

En fait, et c'est en cela que l'histoire est savoureuse, nul en la ville de Saint-Claude ne se doutait que des yeux genevois lorgnaient sur elle, chacun vaquait tranquillement à ses devoirs et agissait comme le voulait la coutume de l'avent : sonner par trois fois les matines et battre le tambour pour donner le bonjour.

1) "Histoire de l'Abbaye et de la Terre de Saint-Claude", Dom Benoît

2) "Mon pays Comtois", André Besson

3) Pierre David (laboureur à Septmoncel raconte à l'âge de 70 ans en 1571) Dom Benoit

4) Antoine de Grandvelle "Beauté de France", le Haut-Jura, Roger Brunet


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