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Les bois du Risoux

Voir également : l'Arbézie


La charte de 1372 concédait aux habitants des Foncines (demeurant en Foncine), des droits d'usages, dans les bois depuis le val de Sirod jusqu'à la rivière d'Orbe; aujourd'hui les Suisses possèdent tout le terrain qui s'étend depuis la rivière d'Orbe jusqu'au sommet du Risoux; voyons quels sont les titres en vertu desquels ils possèdent, tandis que nos communes sont privées de cette propriété qui cependant leur avait été concédée.

Assis comme une muraille entre l'Helvétie et la France, le Mont-Jura servait dès les temps les plus reculés de limite immuable entre les deux états. César dit dans ses commentaires : altera ex parte, monte Jura altissimo, qui est inter Sequanos et Helvetios. Cette limite fut constamment respectée sous les Celtes, sous les Romains, sous les rois du premier royaume de Bourgogne, et cette limite reçut une nouvelle et solennelle consécration par la charte de Charlemagne de 790, qui concédait à l'abbaye de Condat toutes les terres qui s'étendent jusqu'à la rivière d'Orbe. Silvam quoe vocatur Juris, a termino Braciole aquae vocabulo Orba. L'Orbe est la limite de la Suisse. Sicut Orba exit e lacu quincenonis, le Mont-Jura et ses deux versants sont à la France, la nature elle-même s'était chargée de la délimitation, et on s'inclinait devant ses lois.

Des diplômes de l'empereur Lothaire (855), de l'empereur Frédéric 1er (1175 et 1184), de Frédéric II (1238), d'Henri VII (1311), de Charles IV (1300), de Sigismond (1415 et 1434), confirment à l'abbaye de Condat la donation de Charlemagne.

A qui l'abbaye de Condat a-t-elle concédé des droits sur cette vaste terre ? En novembre 1200, Guido, abbé de Condat, donna en fief à jean de Châlons l'Antique, ce vaste terrain, à charge d'y appeler des habitants, de le mettre en culture et de le protéger, habitari, tueri et ad culturam redigidit, la charte qui a bien soin de rappeler exactement les limites : Orba exit et lacu quincenoneys et curit versus lacum de Guarucia, usque ad Marenses et a Marensibus usque ad terminos de Mutua. Les véritables propriétaires de ces terrains étaient donc les abbés de Saint-Claude et des descendants de Jean l'Antique; les Foncines et les Planches tenaient donc leurs droits des véritables et anciens propriétaires représentés par l'abbé de Saint-Claude et Hugues de Châlons. es communes de Chaux-Neuve, Châtel-Blanc, Chapelle des Bois, Bois d'Amont, Bellefontaine, les Rousses et toutes les communes en deça du Jura, à qui des concessions semblables avaient été faites tenaient aussi leurs droits des légitimes propriétaires. Nous allons voir que les Suisses ne doivent les leurs qu'à la fraude, la violence et l'usurpation.

Ce ne fut que vers 1126 que les premières contestations sur les limites commencèrent; elles furent mêmes si vives que le Saint Siège et l'empereur eurent à en décider, enfin la transaction de 1157, ratifiée par l'Empereur en 1184, mit fin pour un temps à ces dissensions. Les prétentions des Suisses furent bien réduites; il leur fut défendu à perpétuité de faire aucun abergement dans le Risoux, entre le lieu de dom Poncet et Mouthe; les suisses ne pouvaient défricher au-delà d'un jet d'arbalète, lancé en suivant le sentier qui longe la rive occidentale du lac, le mont Risoux restait donc tout entier la propriété de l'abbaye de Saint-Claude.

Cette transaction fut respectée jusqu'en 1536, époque à laquelle les bernois, ayant pris possession de la vallée du lac de Joux, commencèrent à l'enfreindre, les baillis de Nyon et de Morges ordonnèrent d'enlever les habitants, de saisir leur bétail, de piller et de brûler leurs maisons, car les habitants de nos montagnes résistaient autant qu'il était en eux, et on trouve dans les archives de Romain-Mouthier, des procès-verbaux de ces collisions dans lesquelles plusieurs fois a coulé le sang de nos concitoyens qui défendaient avec énergie les chalets qu'ils avaient construits jusqu'au sommet du Noirmont et par conséquent sur leur propriété incontestable d'après leurs titres.

Le roi d'Espagne chargea ses délégués de s'entendre avec ceux du canton de Berne pour terminer à l'amiable une querelle qui pouvait amener une conflagration après une vue de lieu qui était loin de conserver les prétentions des suisses, leurs commissaires déclarèrent n'avoir pas d'autres pouvoirs que celui de faire un rapport, ils arrivaient ainsi à leurs fins qui étaient d'ajourner d'un terme à l'autre. Il fallait cependant en finir et des arbitres nommés de nouveau, 2 pour chaque partie, le 8 août 1575, à la suite d'opérations préliminaires assez longues, dressèrent un procès-verbal portant règlement des frontières. Nos députés l'acceptèrent, mais ceux de Berne ne voulurent point l'accueillir, en motivant ce refus sur l'insuffisance de leur mandat. Cependant la diète arrêta, dans sa séance du 13, que pour le maintien de l'amitié et du bon voisinage, il serait pourvu, de part et d'autre, à ce que l'on n'attentât ni innovât aucune chose, quant aux limites, et qu'en cas d'entreprise ou nouvelleté, la connaissance lui en serait dévolue pour juger par sentence définitive, soit par une autre voie plus agréable aux deux états souverains. Les voies de fait continuaient.

Le souverain du comté de Bourgogne, dont toutes les tentatives de conciliation avaient échoué, montrait une juste impatience d'arriver au terme de cette lutte déjà longue, il semblait disposé à en finir à tout prix. Les envoyés à la diète du mois de novembre 1585, Jean de Gilley, seigneur de Marnoz, et l'écuyer Vincent Benoit, offrirent de sa part d'abandonner la contestation au jugement de cette assemblée. Cette proposition fut renvoyée à une nouvelle diète qui l'accueillit l'an suivant. La diète proposa en 1588, au roi d'Espagne, de désigner trois ou quatre personnes de la confédération, à son choix, que l'état de Berne ferait de même; qu'ils visiteraient les territoires contestés et auraient le pouvoir de vider le différend par amiable composition ou par sentence judiciaire. Les bernois entravèrent cette négociation par toutes sortes d'influences; ils firent valoir une foule de moyens dilatoires, mirent en jeu d'indignes pratiques, renouvelèrent les attentats et les voies de fait les plus graves.

C'est ainsi que le 17 juin 1493, cinquante hommes armés, du balliage de Nyon, envahirent inopinément la vallée des Landes avec tambours et fifres sonnants; non contents de se livrer au pillage, ils mirent le feu à 17 maison : 20 habitants, dont plusieurs avaient été blessés en se défendant, furent garottés et emmenés prisonniers par ces misérables qui annonçaient l'intention de faire pis encore, si la population de la vallée persistait à méconnaître la souveraineté de Berne. Les excès se renouvelèrent jusqu'en 1505; par un traité de 1524, on avait relâché tout ce qui était prétendu par les bernois dans une ligne d'environ 10 lieux. La perte que l'on souffrait par ce traité était si évidente, que Marguerite d'Autriche, qui jouissait alors du comté de Bourgogne, dit, en le ratifiant, qu'elle ne le faisait que pour complaire à messieurs des ligues, et dans le dessein de bien vivre avec eux.

Les suisses avaient arraché les anciennes bornes plantées dans leur voisinage, abattu des croix et coupé plus de 8000 pieds d'arbres sur le comté de Bourgogne, ce qui amena les conférences et l'accord du 1er juin 1542 et un traité du dernier août 1552, on céda tout ce que les bernois voulurent, depuis Jougne à Sainte-Croix. Peu contents, les suisses formèrent ensuite des contestations sur les limites depuis Rochejean, par Mouthe, Châtel-Blanc, la rivière d'Orbe, les Rousses, Bois d'Amont et Mijoux et traitèrent les comtois en ennemis, car ils enlevèrent leurs personnes et leurs bestiaux, pillèrent et brûlèrent des maisons dans le territoire qui appartenait à la Comté et qu'ils contestaient. Le village des Maisons-brûlées, qui appartient aujourd'hui au canton de Vaud, et qui était alors à la Comté, ainsi que le Chalet-Brûlé et la Grange-Brûlée, ont pris leurs noms de cette violation du territoire franc-comtois.

L'archiduc Albert, gouverneur des Pays-Bas, voyant ce qui se passait, manda à la diète qu'il fallait nommer des arbitres pour mettre fin à ces contestations. Le choix de Berne tomba sur les bourguemestres de Zurich et de Schaffouse, celui de l'archiduc s'était porté sur les avoyers de Fribourg et de Lucerne. Ces arbitres taillèrent sur la pièce adjugeant Saint-Cergues qui appartenait à l'abbaye de Saint-Claude (chartes de 1279 et 1299), aux bernois leurs compatriotes, désignèrent des lieux où l'on planterait cinq bornes, notoirement insuffisantes pour une opération qui embrassait quinze lieues d'étendue, mais ce qui fait voir la mauvaise foi avec laquelle ils avaient rendu leur sentence, c'est qu'ils eurent l'imprudence d'y insérer cette clause que la Bourgogne ne pourrait jamais se prévaloir à l'avenir d'un titre pour recouvrer le terrain dont elle était dépouillée par cette inique délimitation, ainsi quelles que fussent l'authenticité et la légitimité des titres produits ou qui pourraient être retrouvés, la Bourgogne était déchue du droit de s'en servir. Il fallait des arbitres pris en Suisse pour essayer de s'inscrire en faux contre cette maxime consacrée par la raison et par le droit, error non facit jus; aussi l'histoire à toutes les époques n'a cessé de flétrir cette décision. Les suisses ne s'en tiennent pas à cette décision, ils continuèrent de nouvelles usurpations, ceux qui possèdaient des domaines dans cette frontière les étendirent à leur gré, et ils furent soutenus par les baillis de Nyon. Le dommage causé aux propriétaires de la frontière troublés dans leur repos et dans leur fortune, les déprédations dans les forêts, les anticipations sur es communaux, les violences de toute nature, provoquèrent des plaintes si énergiques et si unanimes, que les états de la province se firent un devoir d'adresser à la veuve d'Albert (Isabelle d'Espagne), qui gouvernait la Franche-Comté, l'instante prière d'apporter un remède à tant de maux; ce qui détermina même de plus ardentes plaintes, c'est que les suisses agissaient avec tant d'audace qu'ils ne reculaient pas devant le meurtre des comtois sur leurs propriétés mêmes, nous pouvons le constater dans un procès-verbal du 31 juillet 1635, inséré dans les archives de Romain-Mouthier, nous lisons que Claude Brocard, de Chaux-Neuve, avait envoyé deux ouvriers de Foncine dans sa propriété couper du bois, les suisses tirèrent dessus, en tuèrent un et arrêtèrent l'autres qu'ils emmenèrent prisonnier.

Des conférences s'ouvrirent aux Rousses en 1631, le baron d'Oiselet et le président Boivin représentaient la Comté, elles durèrent trois ans sans rien produire, parce que les députés de Berne ne voulaient ni déférer aux titres des comtois, ni s'en tenir à la possession de trente ans, ni partager ce qui était en contestation comme on le leur offrait. Les Bernois avaient tout à gagner en temporisant, c'est effectivement ce qui eut lieu par le traité du 8 septembre 1648, rempli de concessions arrachés à l'épuisement du pays. Cet acte qui devait fixer irrévocablement la ligne des frontières, fut suivi d'une plantation de bornes effectuée le 21 juillet 1649 par les commissaires des deux états. Le père Salivet, supérieur du prieuré de Mouthe, réclama fortement et fit une opposition vigoureuse à cette plantation de bornes qui enlevait à son couvent une trop vaste étendue de forêts. Bien que les bornes eussent été plantées au gré des suisses, encore ne s'y tinrent-ils pas, car ils en arrachèrent une partie et firent de nouvelles entreprises qui donna lieu à une seconde délimitation faite en septembre 1658. Bien que les transactions eussent positivement convenu que la délimitation ne porterait aucune atteinte aux droits des particuliers, et que les propriétaires continueraient de jouir de leurs héritages comme par le passé, cependant le bailli de Romain-Mouthier autorisa les nobles et bourgeois de Morges à faire déguerpir tous les comtois qui habitaient le revers occidental du Noirmont et ils furent sur toute la ligne impitoyablement chassés de leurs maisons.

Le Noirmont

Les suisses s'emparèrent par force d'une partie des biens des particuliers de Bois-d'Amont qu'ils donnèrent en avènement, en 1661. Les Loges et Petits Plats se trouvèrent ainsi confisqués. En 1704 le conseil de Berne ordonna de laisser les comtois jouir en paix des biens qui étaient dans les limites suisses, mais ces ordres restèrent sans exécution, car le 15 septembre de la même année, 30 hommes à pied et 8 cavaliers de Morges s'emparèrent d'un troupeau de 18 vaches appartenant à un propriétaire de Bois d'Amont, et du berger qui les gardait. Les gens du voisinage accourus pour s'opposer à cet enlèvement, furent maltraités; cinq d'entre eux furent conduits aux prisons de Nyon. Le 8 avril 1727, trente habitants de Bois d'Amont achetèrent la montagne des Petits-Plats, ils en furent dépossédés en 1775.

Les habitants de la frontière du comté de Bourgogne n'ont jamais manqué de protester contre les violences et les usurpations des suisses, en réclamant leur propriété et l'exécution des traités. Le roi, de temps en temps, nommait des commissaires chargés de recueillir leurs plaintes et leurs titres; parmi ces commissaires, celui qui a le plus étudié la question est le sieur faton, subdélégué de Quingey, nommé en 1765, ainsi qu'on peut s'en convaincre par son mémoire publié in extenso dans l'annuaire du Jura pour 1863. Son mémoire fut déposé le 25 juin 1789. M. le comte de Montmorin, alors ministre de France, lui écrivait à la date du 12 août 1788 :

"J'ai reçu, monsieur, le mémoire que vous m'avez adressé relativement aux usurpations des bernois sur les limites du Noirmont et les pièces de cette même affaire qui y étaient jointes; je ne puis qu'être satisfait de la manière dont vous exposez la suite des entreprises et des procédés par lesquels messieurs de Berne ont cherché à obscurcir ou dénaturer les expressions du traité de 1648, pour en tirer avantage, ainsi que les moyens que le roi peut employer pour rentrer dans ses droits. Mais la saison étant trop avancée pour qu'on puisse se transporter sur les lieux avant l'hiver, je pense qu'on ne peut se dispenser d'attendre jusqu'au courant de l'année prochaine".

Par son mémoire, M. Faton justifie que la sérénissime république de Berne a usurpé dix-huit cents journaux de terre labourable et sept mille arpents de bois. Le baron d'Erber, bailli de Romain-Mouthier, était tellement convaincu de la justice et de l'exactitude du travail du commissaire du roi, qu'il écrivit à l'état de Berne que les prétentions suisses étaient insoutenables , que tôt ou tard il faudrait revenir à la vérification des titres.

Mais ce n'était pas là l'intention des bernois. Pour s'assurer leurs usurpations, ils avaient eu soin en 1780 de creuser un fossé, d'établir un mur à la limite de leurs usurpations. Ce mur, à Bois d'Amont, est à 3 kilomètres des bornes de 1648, qui subsistent encore dans quelques endroits, entre autres la borne dite des Trois-Fichons.

Le 25 juillet 1778, M. de Vergennes, alors ministre de France, écrivait à M. Faton :

"Diverses circonstances ont empêché de s'occuper de la limite du Noirmont, depuis le temps où vous avez remis un mémoire à ce sujet. J'ai pris connaissance de la nouvelle copie de ce mémoire et je viens d'en faire part à M. le vicomte de Polignac. J'ai fait parvenir en même temps à cet ambassadeur les ordres du roi pour qu'il obtienne de messieurs de Berne qu'ils suspendent la construction du mur qu'ils élèvent à la frontière".

Ainsi la France protestait contre cette usurpation, et elle avait raison de protester, car les limites n'étaient fixées que par ce traité de 1648, et on les franchissait sur toute l'étendue de la frontière. Voici ce qu'écrivait M. Montmorin, à la date du 11 septembre 1787 :

"Je serais d' autant plus satisfait, monsieur, de connaître le travail que vous avez fait sur les limites de la frontière de la Franche-Comté, qu'il ne reste plus que ce point à mettre en ordre pour que les limites du royaume soient fixées de manière à ne plus faire naître aucune contestation. J'espère que messieurs de Berne ne voudront pas soutenir des usurpations au préjudice des sujets du roi".

Foncine le Bas, les Serettes

Loin d'interrompre le cours de ces discussions, la révolution de 1789 leur communiqua l'ardeur que l'on mettait en ce temps-là en toutes choses. les habitants de la frontière ne manquèrent pas d'insérer leurs plaintes à ce sujet dans les cahiers des députés des baillage d'aval. Au nom des habitants des hautes montagnes du Jura, M. le curé Grandmottet alla même jusqu'à offrir à l'assemblée nationale, comme don patriotique, la valeur des produits des terrains usurpés par les suisses depuis 1648, et s'élevant selon lui, à la somme de 188 millions, à condition que l'assemblée les fasse rétablir dans leur patrimoine usurpé. Une correspondance active s'établit à ce sujet entre M. Faton et l'avocat Christin de Saint-Claude, membre de l'assemblée constituante, une lettre du 2 mars 1790 écrite à ce député par M. Faton, donne une idée du jour nouveau sous lequel la question était envisagée à cette époque, cette lettre imprimée dans l'annuaire du Jura de 1863, entre autre constate que M. de Vergennes, alors ministre, était dans l'intention de donner aux bernois les levées faites par eux au Risoux en compensation de notre dette envers eux, cependant, et malgré l'offre avantageuse faite par les habitants des villages limitrophes de la Suisse aux représentants de la France, l'affaire n'eut pas de suite. La question fut ajournée, elle mit sept ans à revenir à l'avant de la scène.

Ce fut le citoyen Rapina, commissaire du gouvernement près de l'armée de la République en Helvétie, en demandant à l'administration centrale du Jura des renseignements sur les limites respectives de ce département et de la Suisse qui la fit renaître. Par arrêté du 3 messidor, an VI, l'ingénieur en chef du département du Jura, Aubert, fut donc commis par l'administration centrale : 1) pour se transporter sur la frontière et désigner les points d'après lesquels on pourrait fixer les limites du département vers la Suisse; 2) pour tracer la ligne de séparation entre les deux états; 3) pour indiquer la communication la plus avantageuse du département du Jura; en même temps on lui adjoignit une commission pour l'aider de ses renseignements, elle était composée des citoyens Baud de aint-Claude, Christin ex-constituant, Aubert ingénieur, Revechar juge de paix, et Perrad négocant; quant à la première question il fut répondu tant par l'ingénieur Aubert que par la commission : "Qu'une limite immuable posée par la nature entre la France et la Suisse, est la sommité de la chaîne du Jura, la plus proche du Lac Léman"..

Quant à la seconde, après l'avoir parcourue sur tous les points tels que les suisses l'ont constituée par leurs anticipations successives, leur arbitraire plantation de bornes, le creusage d'un fossé, et l'indue construction d'un mur dont nous avons parlé, il fut répondu : "qu'une semblable délimitation qui laisse aux suisses toutes les hauteurs et une grande partie des revers, suffirait seul pour prouver anticipations; que ce n'est pas par des bornes arbitrairement posées, et qui peuvent être facilement déplacées, mais par des points fixes et immuables, tels que les sommités les plus élevées, que les états doivent être séparés".

Sous l'empire, Napoléon qui refaisait la carte de l'Europe, son épée à la main, n'avait pas le temps de s'occuper à peser les droits et à lire les titres de nos montagnes, seulement le 13 août 1802, le sénat helvétique céda à la France une partie de la montagne des Tuffes et la vallée des Dappes.

En échange de la vallée des Dappes, l'Empereur détacha de la Souabe, por le donner aux Suisses, le Frickthal, vallée d'une importance considérable, il constitue encore aujourd'hui le 11e district du canton d'Argovie, a pour chef-lieu la ville de Sauffenbourg (1000 habitants) , le gros bourg de Frich (700 habitants) et qui donne son nom à la vallée qui contient alors 20000 habitants. Ainsi les suisses obtenaient en échange de leurs prétentions sur la vallée des Dappes, un beau pays et 21000 habitants, tandis que la vallée des Dappes n'a que 704 hectares de terrain, 16 maisons et 50 habitants.

Malgré cet avantage incontestable et dont ils jouissent encore, les suisses ont bien pensé à profiter de nos désastres pour reprendre la vallée des Dappes, mais ils n' ont jamais songé à rendre le Frickthal, qui appartient à la France et non à la Suisse. Si les traités de 1815 ont brisé l'échange, chacun est rentré dans ses droits avant l'échange, et nous ne voyons nul part que les traités aient accordé à la fois le Frickthal et la vallée des Dappes à la Suisse. A quel titre lui auraient-ils donné ces deux pays ? Ou la Suisse veut conserver le Frickthal, alors elle ne peut élever des prétentions sur la vallée des Dappes, ou elle veut briser le traité d'échange, alors elle doit rendre le Frickthal à la France; elle n'a aucun titre pour le conserver. Le traité de 1814 prévoit que la France doit rentrer dans les limites qu'elle avait au 1er janvier 1790.

En échangeant, par le traité du 8 décembre, la vallée des Dappes contre une partie des communes de Bois d'Amont et les Rousses, la Suisse fait un traité nul, car il est de principe en droit que pour échanger, il faut être propriétaire, et de quelque côté que se tourne la Suisse, elle n'est pas propriétaire de la vallée des Dappes; en vain la Suisse pense-t-elle s'appuyer sur la déclaration du 20 mars 1815, et sur l'article75 du traité de Vienne du 9 juin 1815, qui dit que "la vallée des Dappes, ayant fait partie du canton de Vaud, lui est rendue"; car jamais la vallée des Dappes n'a fait partie du canton de Vaud, c'est une erreur qui anéantit le consentement dans son principe même, "Non videntur consentie qui errant". mais par la conséquence du même principe, le Frickthal, qui faisait partie de la France, quel droit la Suisse avait elle pour le conserver ? Elle n'a d'autres titres que l'échange, s'il est rompu, chacun rentre dans ses droits. Les traités précités n'ont donc pas brisé l'échange, ils n'ont fait que le consacrer. Mais les suisses voudraient : 1) garder le Frickthal, qu'ils ont reçu en échange 2) au moyen d'une erreur, en gardant ces pas, reprendre la vallée des Dappes 3) obtenir encore une partie des communes de Bois d'Amont et des Rousses. Mais seuls les Suisses interprètent ainsi les traités, la France, non plus que les puissances étrangères, ne les ont jamais interprétés de cette manière.

Le duc de Richelieu, alors ministre de France, persuadé, et d'après les titres anciens, et d'après l'acte d'échange de 1807, que la vallée des Dappes n'avait jamais cessé d'appartenir à la France, par lettre du 11 juin 1816, ordonnait expressément aux autorités du Jura de ne pas l'évacuer.

Mais les suisses avaient guidé et aidé les bandes du général Firmon, que l'héroïque défense des gens des Rousses et de Bois d'Amont arrêtait à la frontière et près de la Cure, par où passe la ligne limite du traité du 8 décembre (c'est là qu'un jeune colonel autrichien, le neveu du général en chef comte de Bubna trouvait la mort), et dont le petit nombre dut céder devant 25000 autrichiens, renforcés encore par les violateurs du traité de neutralité. Pendant six mois les suisses occupèrent les Rousses et les villages voisins; ils avaient arraché les bornes de la vallée des Dappes et pris possession de cette vallée qu'ils ne voulaient plus quitter. Le duc de Richelieu réclama, et les ministres des puissances alliées qui avaient assisté au Congrès ne tardèrent pas à prendre l'engagement de concerter leurs démarches pour assurer la possession de la vallée des Dappes à la France; ce n'était là que justice car la Suisse conservait en échange le Frickthal et ses 21000 habitants. On le voit, la Suisse, avant 1815 n'avait aucun droit sur la vallée des Dappes; elle n'en a point acquis depuis 1815; elle n'a jamais été propriétaire et reste sans qualité pour négocier un échange. Depuis 1815 la France a toujours empêché la Suisse de faire acte d'autorité dans la vallée des Dappes, d'y percevoir l'impôt; chaque année, depuis 1831, Louis-Philippe y faisait passer un ou deux bataillons de troupes et faire l'exercice. En 1842, le canton de Vaud ayant essayé d'ouvrir une route partant de la limite orientale de la vallée et devant aboutir aux Cressonnières, l'autorité française fit sur les lieux un déploiement de forces et fit cesser les travaux. La France a toujours entretenu à ses frais la route de Paris à Genève dans la traversée de la vallée des Dappes ainsi que celle de Saint-Cergues.

la carte du traité de rectification de frontière de 1862 entre la France et la Suisse dans la vallée des Dappes

Les fourrages, les produits du sol et de l'industrie de la vallée des Dappes ont toujours été reçus en France comme produits français non soumis à la douane et à l'acquit des droits d'entrée que paient les produits suisses. Les habitants de la vallée des Dappes remplissent leurs devoirs civils et religieux aux Rousses et à Prémanon, s'y marient, s'y font enterrer, y prennent part à la loi du recrutement; ils ne sont jamais considérés comme suisses et ont constamment exécuté le décret du 10 février 1811. La Suisse n'a donc aucun titre, ni ancien ni moderne, elle n'a ni la propriété ni la jouissance de cette vallée jusqu'à ce jour.

Une commission de démarcation entre la France et les cantons de Genève et de Vaud, ayant pour président M. le lieutenant-général comte Guilleminot, avait été créée en 1816. Mais ses opérations durèrent 8 ans et les commissaires avaient été priés par leurs gouvernements respectifs, de laisser de côté "l'affaire des Dappes, dont l'ambassadeur de France en Suisse devait traiter directement avec la diète"; ces commissaires étaient pour la France, M. Marion de Baulieu, représentant du comte Guilleminot, et le capitaine d'état-major Lostende; pour la Suisse, le colonel Guigner de Prangin et le capitaine Royer, ingénieur fédéral représentant le général Finsler. Tous les abornements furent successivement mesurés et reconnus, mais les choses en restèrent là.

Aussi en 1823 la question fut plusieurs fois reprise et discutée dans les assemblées nationales, et toutes les communes injustement spoliées par usurpations des suisses, n'ont cessé de solliciter les différents gouvernements qui se sont succédés en France depuis 1789, de leur faire restituer les terrains usurpés par la violence. Pour ne citer que la dernière déclaration, quinze communes du Doubs et du Jura ont adressé une pétition à S.M. l'Empereur, le 21 mars 1858. Cette pétition a été transmise par M. le Préfet du Jura et publiée par tous les journaux du département.

Le dernier traité du 8 décembre donne à la Suisse 703 hectares de terrain pris à Bois d'Amont et aux Rousses, en échange de 704 hectares que renferme la vallée des Dappes.


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