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La chasse aux loups

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Tiré d’un rapport de Christian Dugas de la Boissonny

Il y a deux cents ans, détruire les loups était une nécessité.

Les dommages qu’ils causaient étaient importants. Ils s’en prenaient au bétail, pénétraient dans les bergeries, parfois attaquaient les enfants, les jeunes pâtres, les bergers. L’administration devait réglementer.

En 1770 elle créait les lieutenants de louveteries qui organisaient des battues auxquelles la participation des habitants était obligatoire. Beaucoup refusaient d’obéir à ces convocations; d’autres y venaient mais une fois sur place, n’en faisaient qu’à leur tête. Il fallait trouver une autre solution. Elle va encourager la destruction en offrant des gratifications à ceux qui s’occuperont à en détruire.

Pour chaque vieux loup on donnera 18 livres; pour chaque jeune loup de l’année 12 livres; pour chaque louveteau 6 livres; et pour chaque louve 24 livres.

L’argent, tiré des fonds publics, n’est évidemment pas distribué sans vérification. Le destructeur se présente à la subdélégation avec l’animal abattu. Un greffier détermine l’âge et le sexe de l’animal, fait procéder aux amputations prévues, (couper les oreilles ou fendre et écraser la tête), rédige un procès-verbal où il indique nom, prénom, profession du requérant, origine, lieu, date et heure de la capture ... et remet un certificat destiné à l’intendant, lequel établira une ordonnance de paiement à présenter au receveur du bailliage.

La fraude est fréquente : certaines têtes sont présentées à plusieurs subdélégués. Il faut durcir ces précautions.

Le requérant devra certifier son identité avec témoignage de l’échevin, du curé, du seigneur .... Il faut faire vite pour éviter "le dépérissement des preuves". Parfois la chaleur s’en mêle; c’est le cas à Foncine, le 25 juillet 1785; une autre fois, c’est François Cordier du Lac des Rouges Truites qui, en janvier 1780 - pris par la neige, a présenté avec six semaines de retard l’animal qu’il avait détruit. Ailleurs le loup s’est enfui avec le piège qu’il a déclenché et n’a été retrouvé que beaucoup plus tard. Et puis il arrive que le loup soit atteint de la rage. Dans ce cas il est enfoui sur place.

Dans les années 1775-1790, on recense, en Franche-Comté, la destruction de 1030 loups, 1039 louves, 2459 louveteaux, soit 4528 bêtes abattues et en moyenne 312 par ans;

La destruction des louveteaux se fait entre mars et août. C’est une "véritable récolte". Celle des louves pleines de décembre à juillet, mais le "lupus conseptus" n’entre pas en ligne de compte.


 


La mort du loup

Alfred de VIGNY (1797-1863)
extrait de : Les Destinées (1864)


I
Les nuages couraient sur la lune enflammée
Comme sur l'incendie on voit fuir la fumée,
Et les bois étaient noirs jusques à l'horizon.
Nous marchions sans parler, dans l'humide gazon,
Dans la bruyère épaisse et dans les hautes brandes,
Lorsque, sous des sapins pareils à ceux des Landes,
Nous avons aperçu les grands ongles marqués
Par les loups voyageurs que nous avions traqués.
Nous avons écouté, retenant notre haleine
Et le pas suspendu. Ni le bois, ni la plaine
Ne poussaient un soupir dans les airs; Seulement
La girouette en deuil criait au firmament;
Car le vent élevé bien au dessus des terres,
N'effleurait de ses pieds que les tours solitaires,
Et les chênes d'en-bas, contre les rocs penchés,
Sur leurs coudes semblaient endormis et couchés.
 
Rien ne bruissait donc, lorsque baissant la tête,
Le plus vieux des chasseurs qui s'étaient mis en quête
A regardé le sable, attendant, à genoux,
Qu’une étoile jetât quelque lueur sur nous;
A déclaré tout bas que ces marques récentes
Annonçaient la démarche et les griffes puissantes
De deux grands loups-cerviers et de deux louveteaux.
Nous avons tous alors préparé nos couteaux,
Et, cachant nos fusils et leurs lueurs trop blanches,
Nous allions, pas à pas, en écartant les branches.
 
Trois s'arrêtent, et moi, cherchant ce qu'ils voyaient,
J'aperçois tout à coup deux yeux qui flamboyaient,
Et je vois au delà quatre formes légères
Qui dansaient sous la lune au milieu des bruyères,
Comme font chaque jour, à grand bruit sous nos yeux,
Quand le maître revient, les lévriers joyeux.
Leur forme était semblable et semblable la danse;
Mais les enfants du loup se jouaient en silence,
Sachant bien qu'à deux pas, ne dormant qu'à demi,
Se couche dans ses murs l'homme, leur ennemi.
Le père était debout, et plus loin, contre un arbre,
Sa louve reposait comme celle de marbre
Qu'adorait les romains, et dont les flancs velus
Couvaient les demi-dieux Rémus et Romulus.
 
Le Loup vient et s'assied, les deux jambes dressées
Par leurs ongles crochus dans le sable enfoncés.
Il s'est jugé perdu, puisqu'il était surpris,
Sa retraite coupée et tous ses chemins pris;
Alors il a saisi, dans sa gueule brûlante,
Du chien le plus hardi la gorge pantelante
Et n'a pas desserré ses mâchoires de fer,
Malgré nos coups de feu qui traversaient sa chair
Et nos couteaux aigus qui, comme des tenailles,
Se croisaient en plongeant dans ses larges entrailles,
Jusqu'au dernier moment où le chien étranglé,
Mort longtemps avant lui, sous ses pieds a roulé.
 
Le Loup le quitte alors et puis il nous regarde.
Les couteaux lui restaient au flanc jusqu'à la garde,
Le clouaient au gazon tout baigné dans son sang;
Nos fusils l'entouraient en sinistre croissant.
Il nous regarde encore, ensuite il se recouche,
Tout en léchant le sang répandu sur sa bouche,
Et, sans daigner savoir comment il a péri,
Refermant ses grands yeux, meurt sans jeter un cri.


II
J'ai reposé mon front sur mon fusil sans poudre,
Me prenant à penser, et n'ai pu me résoudre
À poursuivre sa Louve et ses fils qui, tous trois,
Avaient voulu l'attendre, et, comme je le crois,
Sans ses deux louveteaux la belle et sombre veuve
Ne l'eût pas laissé seul subir la grande épreuve ;
Mais son devoir était de les sauver, afin
De pouvoir leur apprendre à bien souffrir la faim,
À ne jamais entrer dans le pacte des villes
Que l'homme a fait avec les animaux serviles
Qui chassent devant lui, pour avoir le coucher,
Les premiers possesseurs du bois et du rocher.


III
Hélas ! ai-je pensé, malgré ce grand nom d'Hommes,
Que j'ai honte de nous, débiles que nous sommes !
Comment on doit quitter la vie et tous ses maux,
C'est vous qui le savez, sublimes animaux !
À voir ce que l’on fut sur terre et ce qu’on laisse,
Seul le silence est grand ; tout le reste est faiblesse.
Ah ! je t’ai bien compris, sauvage voyageur,
Et ton dernier regard m’est allé jusqu’au cœur.
Il disait :
"Si tu peux, fais que ton âme arrive,
À force de rester studieuse et pensive,
Jusqu’à ce haut degré de stoïque fierté
Où, naissant dans les bois, j’ai tout d’abord monté.
Gémir, pleurer prier est également lâche.
Fais énergiquement ta longue et lourde tâche
Dans la voie où le Sort a voulu t’appeler,
Puis, après, comme moi, souffre et meurs sans parler."

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