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Le sel comtois

 


Charles THEVENIN, dans le Progrès du 18 janvier 2004, nous parle de cette richesse qu'était le sel comtois à une époque où l'on construisait pour son commerce, des routes et entrepôts gardés.

La Suisse le préférait à celui d'Autriche ou d'Allemagne. Objet de toutes les convoitises, et symbole du pouvoir royal, il fut naturellement la cible de Mandrin.

Charles THEVENIN nous montre dans son article, les traces encore visibles, routes où "magasins" d'une époque où le sel comtois voyageait dans les montagnes.


Louis Mandrin

voir également : Mandrin, 1754 une année de feu


C'est la possession des gisements de sel qui garantit une position dominante pendant une période fort longue de l'histoire. Le Jura, bien loin des rivages marins, possède dans ses fondements, d'épaisses couches géologiques du Keuper, réservoirs salins déposés lors des époques immensément lointaines où ces sols justement, gisaient au fond d'une mer. La nature géographique de nos montagnes fait que les hasards d'un plissements rend parfois ces lits accessibles et exploitables. C'est surtout le cas à Salins, mais on trouve encore des affleurements semblables à Montmorot. Bien des régions ne possédaient pas cette faculté. C'était notamment le cas de la Suisse. Dès les heures les plus reculées de l'histoire, l'exportation du sel s'organisa en direction de ce pays. La "concurrence" sur place demeura toujours relative.

Les Suisses préféraient le sel comtois aux productions tyroliennes ou bavaroises "pour lesquelles leurs bestiaux ont une répugnance invincible". en outre, on les disait "point propres pour la fabrication des fromages". Et au pays du Gruyère, cela devient vite rédhibitoire. Bien entendu, ce monopole régalien fut toujours l'objet de convoitise les plus diverses.

Quelle est la part de la propagande dans ces affirmations ? Difficiles à dire. En tout cas, dès l'époque des Habsbourg et de façon encore plus perceptible ultérieurement, lorsque la Libre Comté fut tombée dans l'orbite française, la livraison du sel aux "cantons" devint une affaire éminemment politique. D'ailleurs, les prix auxquels étaient cédés les "pains", furent avec constance, inférieurs outre Jura que dans la région même où ils étaient produits. Les "faux sauniers" et les "gabelous" s'affrontèrent longtemps et en tous lieux dans ce jeux du gendarme et du voleur à l'échelle de la nation.

Des règlements très stricts, des pratiques sévèrement contrôlées s'appliquaient, de la saline proprement dite, aux dépôts les plus lointains, à annihiler toutes formes d'interventions malhonnêtes. Des "voies" du sel furent établies. Les convois, charriant les "bosses" numérotées, munies du "cebillot", sont tenus de les emprunter, restant ainsi sous contrôle permanent ou presque. A partir du 16e siècle, des magasins, des entrepôts rythmèrent ces étapes imposées par le pas serein des boeufs. Deux de ces axes traversaient les cantons de Champagnole et de Nozeroy. Au départ de Salins ou de Montmorot, leurs objectifs était, pour les deux, helvétiques.

Deux voies qui se croisent

Salins disposait d'un réseau étoilé "tous azimuts", depuis les Portes Malpertuis, vers l'ouest, Chambenoz, vers le nord-est, et Oudin en direction de l'est et du sud. Plusieurs itinéraires importants sortaient par Oudin. L'un d'eux empruntait la vallée de la furieuse, atteignait Pont d'Héry, puis Andelot. Un entrepôt, terme de cette première étape, y fonctionna dès le 17em siècle. Le périple, à travers la forêts de la Joux se poursuivait vers Censeau. Cette seconde étape donna naissance au hameau "du Magasin".

Les bâtiments des Salines se trouvaient vers le carrefour, lorsque la départementale, s'accrochant à la RN 471, permet de gagner le village de Censeau. Ces entrepôts devaient posséder une entreprise non négligeable. Outre la protection proprement dite, le couvert devait assurer la conservation de ces marchandises éminemment dommageables, notamment en période humide. Après le Magasin, la voie du sel tirait sur Vaux et Chantegrue, étape suivante, puis Lignerolle avant la frontière et Yverdon.

Salins, jusqu'au milieu du 18em siècle, livra 50% de sa production aux Suisses. L'ouverture des salines de Montmorot modifia sensiblement ce schéma. On voit, juste avant la Révolution, plus de 75% des sels fabriqués à Montmorot, commercialisés dans les canton "catholiques". On l'appelle d'ailleurs "le sel d'alliance". Or, les chemins, à l'est de la cuvette lédonienne, s'engagent dans les montagnes des pays de l'Ain. A partir de 1750, une nouvelle voie, au départ de Montmorot fut organisée. La première étape, à "deux lieues" fut établie à Crançot. La seconde, à distance égale, s'accouda commodément au Pont du Navoy. Le bâtiment, largement modernisé et agrandi, contient aujourd'hui une boulangerie. Jadis, c'est face au débouché de cette rue du Magasin que se trouvait le pont sur l'Ain. Ces deux étapes rapportaient chacune treize sols aux voituriers. L'étape Pont du Navoy - Champagnole, deux lieues également, était jugée plus difficile et était, par conséquent, mieux dotée. Les Monts Barrés, en hiver, ne devaient pas être faciles à effacer.

L'entrepôt à sel de Champagnole fut inauguré en 1749. Les Salines avaient conçu un projet ambitieux. La "Ferme" s'était assurée la maîtrise d'une bande de terrain démarrant au niveau de l'actuelle Fontaine Blanche et se terminant au carrefour Foch-Clémenceau, soit la totalité du côté impair de cette partie avale de la rue Clémenceau. Un vaste bâtiment en occupait le centre. Ces rares vestiges sont inclus aujourd'hui dans les maisons qui portent les numéros 5,7 et 9. Il sera vendu par l'État à l'issue d'un siècle ou presque de bons et loyaux services, le 28 avril 1832. Le receveur, Léger, habitait alors l'ultime maison de la Grand Rue, au niveau actuel de la Maison de la Presse. Cette route Montmorot-Suisse avait bien entendu encore besoin d'étapes. Sur cette orientation, on se retrouvait sur le second plateau.

Mandrin

Le "Magasin" fut à nouveau sollicité. Les mêmes locaux, le long de la route de "Châlon à la Suisse", abritèrent aussi quelques services administratifs parallèles. Ce qui leur valu l'ire du célèbre Mandrin.

Le 28 ou 29 juillet 1754, la bande dauphinoise pénétra pour la troisième fois en Franche-Comté. Les chemins de ces "invasions" étaient désormais classiques. Les troupes royales l'attendaient donc à proximité du couloir Rhône-Saône. Or c'est par la Suisse, qu'arriva cette fois le populaire fléau. Les postes douaniers de Mouthe et Chaux-Neuve furent attaqués. Plusieurs agents furent tués. Le soir même, Mandrin s'installait au Magasin de Censeau où était entreposé le sel comtois. Normalement, une étape sur les voies du sel, ne dépassait pas deux lieues. Champagnole-Censeau en mesurait trois, soulignant par la même qu'on avait jugé opportun d'utiliser "l'existant" au Magasin, plutôt que de créer un autre entrepôt à distance normale, vers Onglière par exemple.

Ce trajet, d'autres parts, empruntait les redoutables pentes de la Vieille Fresse. Il était qualifié de "très monteux" et donc largement surpayé. Un "voiturage" coûtait 2 livres 9 sols. Ce déséquilibre était "régularisé" le lendemain. Le Magasin suivant se trouvait peu éloigné, à Frasne. L'itinéraire se poursuivait par Pontarlier avant de gagner le pays neuchatelois. Mais le "croisement" du Magasin de Censeau conservait aussi, pour cet itinéraire, sa pureté étymologique. Le sel de Montmorot, suivant le même chemin que celui de Salins, transitait également par Lignerolle et Yverdon. Les "Salines de l'Est", à l'image de ce qu'elles avaient réalisé à Champagnole rendirent, avant le milieu du XIXème siècle, leur patrimoine bâti, au domaine privé.


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