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Le 6 avril 1814, je reçus le journal de Paris. Il annonçait que Louis Stanislas Xavier de France avait été proclamé Roi et que le Sénat avait prononcé la déchéance de Napoléon Bonaparte ... Le respect que j'avais manifesté pour les Bourbons m'attira des reproches de la part d'un colonel de mes amis qui me dit avec humeur : "Vous voilà content, vous aurez encore vos capets". Sa Majesté débarqua le dimanche 24 avril. Le 9 juin 1814, le 2eme régiment de tirailleurs arrive au Quesnoy.
Nous fumes d'abord si mal accueillis au Quesnoy que j'eus toutes les peine du monde à me loger, personne ne voulait me recevoir. Je me vis réduit à rester plus de deux heures sous un hangard où j'avais fait déposer mes effets, dans la maison de Mme Veuve de l'Epine dont le mari était commissaire des guerres avant la révolution, et chez laquelle j'avais un billet de logement délivré par la mairie. La cause de cette mauvaise réception venait de l'opinion que l'on avait que les corps de l'ex-garde impériale n'aimaient pas le Roi et les Bourbons, mais du moment où l'on vit que mon régiment était très royaliste, nous fumes recherchés et invités partout. On peut même regarder comme une chose extraordinaire qu'après une réception aussi froide tous les officiers restèrent dans les logements où ils avaient été placés, sans que les propriétaires voulussent recevoir le prix du loyer ni permettre à ces messieurs de se loger dans des hôtels garnis ainsi que cela se pratique. Cependant le désordre qui régnait partout dans l'administration nous réduisait à un état des plus déplorables. On ne payait plus la solde et on ne nous donnait aucun moyen d'existence. La bonne volonté des habitants nous tint lieu de tout, on fournissait de la viande aux soldats à crédit et l'on donnait à manger aux officiers chez un bon restaurateur qui prenait les promesses des officiers comme argent comptant. Il arriva vers la fin du mois de juin et dans les premiers jours de juillet un grand nombre d'officiers destinés à concourir à la formation du régiment de Condé Infanterie, ou 8em de ligne. Je reçus l'avis que le bataillon était destiné à faire partie de ce corps. Il me fut facile de m'assurer du mauvais esprit qui animait une partie de ces messieurs. C'était des plaintes continuelles, un mécontentement presque général. Il fut bien aisé de conjecturer dès lors ce qui devait succéder et combien il était à craindre que quelques ambitieux ne profitassent des circonstances pour se faire un parti dans l'état et exposer encore la France aux malheurs d'une guerre civile. Je dois dire qu'au milieu du désordre et de l'insubordination qui régnaient partout, au milieu de la misère que les circonstances rendaient plus insuportable, je n'eux qu'à me louer de la bonne conduite de mes officiers et de mes soldats. Ce fut dans une position aussi pénible que tous les officiers s'étant réunis chez moi me prièrent de permettre qu'ils rédigeassent une adresse au Roi pour exprimer leur soumission aux ordres de Sa Majesté et leur fidélité à sa personne sacrée et à son auguste famille. Je consentis avec joie à une demande aussi raisonnable et avant de nous séparer l'adresse suivante fut rédigée, signée par tous les officiers et adressée à S.E le Ministre de la Guerre, Monseigneur le Lieutenant Général Comte Dupont. Elle fut insérée dans le Moniteur du 28 juillet 1814. Elle est conçue en ces termes : " Les officiers du 2em régiment de Tirailleurs déposent aux pieds de V.M. l'hommage de leur profond respect, de leur fidélité et de leur dévouement. La France périssait, V.M. l'a sauvée. Votre sagesse l'a replacée au rang des grandes puissances. La paix a succédé aux désastres d'une guerre éternelle. Pénétrés de reconnaissance pour tant de bienfaits, nous vous supplions, Sire, d'accepter nos humbles remerciements avec la même satisfaction que nous avons à vous offrir. Daignez, Sire, nous accorder l'honneur de renouveller entre les mains de V.M. le serment de deffendre jusqu'à la mort le Trône de Saint Louis et l'auguste maison des Bourbons. Vive le Roi. Au Quesnoy le 7 juillet 1814" Monsieur le Lieutenant Général Rottembourg, inspecteur d'infanterie, fut chargé de l'organisation du 8em régiment (Condé), il eut pour adjoint M. le sous inspecteur aux revues Julien. La plupart des officiers du régiment de tirailleurs étaient connus du général qui les fit entrer presque tous dans le nouveau cadre. J'employai tous mes moyens pour rendre ce dernier service à mes anciens compagnons d'armes et je fus assez heureux pour faire placer ceux qui le désirèrent. Je n'avais été compris que comme colonel surnuméraire dans le travail d'organisation du régiment de Condé parceque quoi que l'on m'eut assuré que j'étais nommé Maréchal de Camp, je n'avais pas reçu ma nomination. L'organisation étant terminée je partis du Quesnoy et je me rendis à Paris. Je trouvai ma nomination qui avait été adressée à Lille, renvoyée à Paris, réexpédiée au Quesnoy et enfin une seconde fois renvoyée au Ministre. J'éprouvai un grand vide pendant les premiers jours de mon arrivée à Paris, depuis le commencement de la guerre je n'avais pas quitté un seul instant mon régiment, j'avais presque toujours été chargé de l'instruction des recrues, souvent de celle des officiers. J'avais servi de la manière la plus active et je me trouvais tout à coup sans emploi et sans aucun service obligé. J'avais beaucoup de peine à m'accoutumer à cette inaction ce qui me détermina à me retirer près de mon vieil ami Herman à Neuilly où je restai jusqu'au neuf de février 1815 jour où j'épousai Mademoiselle de Beuzelin et où je vins habiter sa maison des Ternes. Je vivais très heureux dans cette agréable retraite, nous avions un appartement dans la rue de Richelieu à Paris et je commençais à oublier la guerre et les camps lorsque le retour de Napoléon et le départ du Roi ralluma tous les brandons de la discorde et prépara tous les esprits à une nouvelle guerre. Je ne fus d'abord pas destiné à y participer et malgré mon dévouement pour le Roi et son auguste famille, malgré la peine que j'aurais eu à m'armer contre un souverain qui avait été mon bienfaiteur, j'avoue que je fus sensiblement affligé lorsque je vis l'armée entrer en campagne et que je n'en faisais pas partie. J'avais fait toutes les campagnes et j'éprouvais une peine très réelle que mes camarades en fissent une à laquelle je ne participais pas. Tout en déplorant l'aveuglement funeste qui les avait portés à abandonner le meilleur des rois pour servir celui qui ne pouvait plus être compté au nombre des souverains légitimes et qui ne serait plus pour la postérité qu'un usurpateur. J'aurais voulu combattre dans leurs rangs et donner encore mon sang pour éloigner de mon pays le fléau de la guerre et les maux que je prévoyais qu'il devait entraînerà sa suite. Je restais fort tranquille près de ma femme lorsque je reçus l'ordre d'aller prendre le commandement d'un des quartiers de Paris, sous les ordres de Monsieur le Comte de Baumont, Pair de France. Malgré que l'Empereur eut abdiqué une seconde fois et que le Gouvernement provisoire fut déjà établi je ne voulus accepter le commandement qui m'avait été offert qu'après avoir consulté MM. les Maréchaux de France, MacDonald et Oudinot que je savais avoir été nommés par le Roi pour gouverner en son absence, ils me conseillèrent l'un et l'autre de me rendre au poste qui m'avait été désigné et de travailler à procurer le retour de S.M. par les moyens qui seraient mis en mon pouvoir. Les événements se succédèrent avec tant de rapidité que le Maréchal Davoust, Prince d'Eckmul, qui commandait les troupes sous Paris fut obligé de capituler. Pendant que l'on traitait de la capitulation de Paris quelques fidèles du Roi tentèrent d'exciter un mouvement en sa faveur et de le faire entrer dans la capitale sans le secours des armées alliées. Ce fut dans un moment où ce mouvement s'éxécutait que je fus arrêté par une compagnie de chasseurs de la deuxième Légion de Garde Nationale. Je fus maltraité à coups de crosses de fusils, on m'arracha ma cocarde blanche, la croix de Saint Louis et tout ce qui avait le moindre rapport à la loyauté. Je fus conduit à pied entre deux hayes de soldats et de gendarmes jusqu'à l'état-major de la place. Je courus plusieurs fois le danger d'être massacré, j'étais suivi par la populace des faubourgs qui criait de me fusiller ou bien de m'accrocher à la lanterne. Mon aide de camp M. Thory eut le même sort que moi. Comme on me fit passer dans la rue des Capucines, devant l'hôtel de M. de la Marre où je logeais avec ma femme, elle fut instruite de mon arrestation et vint de suite me voir et solliciter mon élargissement qui fut accordé par le général Hulin, alors commandant de Paris, sous les ordres duquel j'avais servi dans la Garde. Le 8 juillet le Roi rentra dans Paris, je fus faire ma cour à S.M. à St Toin, j'y fus conduit dans la voiture de l'Amiral Sir Sidney Schemid qui logeait à la maison. Le jour de l'entrée du Roi je fus du nombre des officiers généraux qui l'escortèrent à cheval depuis St Denis jusqu'aux Tuileries, après quoi je rentrai chez moi et j'y restai jusqu'au vingt-quatre novembre suivant que je fus nommé commandant du département du Rhône. |