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Préface des "Souvenirs d'un ex-Commandant des Grenadiers de la Vieille-Garde"
de Rodolphe Wagnair (février 1899)

14 janvier 1797, Bataille de Rivoli

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Vionnet Louis-Joseph est né et fut baptisé le 16 novembre 1769, aux Longevilles, commune qui fait partie du canton de Mouthe, arrondissement de Pontarlier, dans le département du Doubs. C'est un village d'environ 650 habitants. Fils d'un simple artisan, Antoine-François Vionnet et Jeanne-Claude Lanquetin, il eut pour parrain un de ses oncles, Pierre-Joseph Vionnet et pour marraine la belle soeur de sa mère, Claudine-Françoise Sarran, femme de Pierre-Antoine Lanquetin.

Aussitôt qu'il fut en âge de travailler, le futur général, pour gagner sa vie et apporter au logis paternel sa faible part de salaire, fût occupé aux travaux d'exploitation d'une mine de fer. Mais l'enfant avait été, précédemment mis à l'école du village et, grâce à son intelligence et à son désir d'apprendre, il avait conservé le goût de l'étude, tant et si bien qu'un beau jour on lui fit quitter les outils de mineur pour le placer comme instituteur communal à Métabief, petit village voisin des Longevilles. Il avait alors à peine dis-huit ans.

Les événements de la Révolution de 1789 en firent un soldat, comme tant d'autres; et, le 22 juillet, quatorze jours après la prise de la Bastille, Vionnet s'enrôlait comme aspirant d'artillerie.

En 1792, il fut désigné par le Directoire du Doubs pour faire partie de la garde constitutionnelle de Louis XVI, mais le licenciement de ce corps de troupes, au mois de mai de cette même année, l'empêcha alors de partir pour Paris.

Nommé sous-lieutenant, le 5 août, et lieutenant, le 1er décembre de la même année, au 6e bataillon des volontaires du Doubs, il fut dirigé sur l'armée du Rhin, commandée, en 1792, par le vieux maréchal Luckner et par Biron.

En 1793, passant successivement sous les ordres des généraux Desprès, Brassier, Custine et Houchard, il fit d'abord partie de l'armée du Haut-Rhin, ensuite de celle du Bas-Rhin, commandée, tour à tour, par Landremont, Beauharnais, Meunier, Michaud et Pichegru.

Les généraux en chef se succédaient rapidement, à cette époque de destitutions, de mises en jugement et de guillotinades.

Marengo, 14 juin 1800, victoire de Bonaparte sur les autrichiens

En l'an II, c'est à dire dans les trois derniers mois de 1793, et l'an III, le 6e bataillon du Doubs faisait partie de l'armée de Rhin et Moselle, commandée par Hoche; puis, de l'armée du Rhin, sous les ordres de Michaud et de Pichegru.

Le 13 octobre 1793 (22 vendémiaire an II), le lieutenant Vionnet se distingua à la défense et à la reprise des fameuses lignes de Wissembourg; suivant le rapport qui fut adressé au ministre de la guerre, il traversa avec deux pièces de canon toute l'armée ennemie, placée au village de Stemfaldt. Le 4 thermidor an II (22 juillet 1794), l'épaulette de capitaine de canonniers à la 170e demi-brigade venait récompenser les services de Vionnet. Désigné pour faire partie de l'armée des Alpes, commandée par Kellermann, en l'an IV (1796), puis de l'armée d'Italie, sous les ordres de Bonaparte, il fut blessé d'un coup de feu à la jambe gauche, à l'affaire de Brentino, devant Rivoli, le 11 thermidor an IV (29 juillet 1796).
Ce jour là, tous les canonniers qu'il commandait ayant été tués ou blessés, il continua, quoique blessé lui-même, à manoeuvrer avec un caporal seulement, pendant plus de deux heures, son unique pièce de canon, et pointait si juste que chaque coup emportait une file de l'ennemi auquel il démonta deux pièces. Quoiqu'il fût cerné de toutes parts, la position qu'il occupait ne fut abandonnée qu'après qu'il eut brûlé sa dernière charge.

Passé, comme capitaine de grenadiers, dans la 12e demi-brigade de ligne, le 1er octobre 1793 (10 vendémiaire an VII), il fit la campagne de Rome, en l'an VI, avec le général Saint-Cyr, et celle de Naples, en l'an VII, sous les ordres des généraux Championnet et Macdonald.

A l'affaire de Tyano, dans le royaume des Deux-Siciles, à la tête de 22 grenadiers, il emporta d'assaut le couvent de Saint-Antoine, bâti sur une montagne défendue par 300 hommes.

A la prise de Naples, il commandait les six compagnies de grenadiers qui traversèrent toute la ville, sous un feu très meurtrier, et entra le premier dans le fort de Saint Elme.

A l'affaire de Modène, il fit un colonel et six hommes prisonniers de guerre.

A la retraite de Plaisance, après la bataille de Trebbia, il défendit pendant plus d'une heure, avec sa compagnie, seule contre toute l'avant garde ennemie, le passage d'un pont; ce qui donna à notre armée le temps de se rallier.

Le capitaine Vionnet combattit encore à Novi, le 15 août 1799; il y fut blessé de deux coups de feu à la main gauche et à la poitrine.

Ulm fut prise par Napoléon à  Mack, qui y capitula le 20 octobre 1805

Après Marengo, où il combattit avec sa bravoure habituelle, il fit la campagne des Grisons, en l'an IX, sous les ordres de Macdonald. A l'affaire de Coire, le 26 novembre 1800, il fut, de nouveau blessé d'un coup de baïonnette au côté droit.

Le premier consul lui décerna, en récompense de son courage, un sabre d'honneur, le 20 septembre 1802 (troizième jour complémentaire, an IX); et lors de l'institution de la Légion 'honneur, le capitaine Vionnet fut promu officier de l'Ordre, le 14 juin 1804 (25 prairial an XII).

Il servit au camp de Bruges, en 1804 et 1805, et fit avec la Grande Armée, dans les rangs du 12e de ligne, la campagne d'Ulm et d'Austerlitz.

Le 1er mai 1806, il entrait comme capitaine de grenadiers à pied, dans la garde impériale, et faisait avec cette troupe d'élite les campagnes de France et de Pologne, en 1806 et 1807.

Employé à l'exode d'Espagne en 1808, il passa avec son grade dans le 1er régiment de tirailleurs-grenadiers, le 1er février 1808 ; et, ce jour là même, fut doté par l'Empereur d'une inscription de mille francs de rente sur le Monte Napoléone, en récompense d'Ulm, d'Austerlitz et de Friedland.

Dorsenne

La garde quitta l'Espagne en 1809, pour aller faire la campagne d'Autriche, et le jour de la bataille de Wagram, le 6 juillet, Vionnet était nommé chef de bataillon aux fusiliers-grenadiers. C'est en cette qualité qu'il prit part aux campagnes de 1810, 1811 et à une partie de celle de 1812, en Espagne, avec le corps de la Garde impériale, commandé par le général Dorsenne.

Il fut rappelé d'Espagne pour faire l'expédition de Russie et reçut deux fortes contusions, l'une à la jambe et l'autre au côté droit, pendant le combat de Krasnoé.

Après la retraite de Moscou, il passa, comme chef de bataillon, dans le 2e régiment de grenadiers à pied (Vieille Garde), le 8 avril 1813, et y fut promu au grade de colonel-major, le 14 du même mois.

Le 26 août suivant, à la bataille de Dresde, il fut blessé de deux coups de feu et de deux coups de mitraille.

L'Empereur le nomma chevalier de la couronne de fer, le 30 du même mois, et lui octroya le titre de baron de l'Empire (baron de Maringoné), le 14 septembre suivant.

Le 16 octobre 1813, à la bataille de Wachau, il fut atteint, de nouveau, d'un coup de feu au bras droit, et reçut, quelques semaines après, le 22 novembre suivant, la croix du commandeur la Légion d'honneur.

Il revient en France après la bataille de Hanau, et fit, en Belgique et en Flandre, la campagne de 1814, dans le corps commandé par la général Maison.

wagram, 5 et 6 juillet 1809, victoire de Napoléon sur les autrichiens de l'archiduc Charles

Telle fut, en résumé, l'existence militaire de Vionnet pendant les guerres de la première République et de l'Empire.

Elle a été véritablement glorieuse; et ce soldat qui avait troqué contre un sabre l'abécédaire de l'instituteur communal, ce paysan arraché au minerai qu'il exploitait, devenu baron, pouvait, à juste titre, revendiquer, pour sa part, le droit de porter haut et fier le titre et les décorations que l'Empereur lui avait accordés en récompense de ses bons services.

Assurément, son avancement n'avait pas été rapide; il a du voir, avec chagrin, les épaulettes de colonel et les étoiles de brigadier ou de divisionnaire, données, dans les derniers temps surtout, à quelques beaux fils des états majors de l'Empereur ou de Berthier; à certains privilégiés, aides de camp ou officiers d'ordonnance, poussés aux plus hauts grades, grâce à leur intimité avec certaines princesses de la famille impériale; mais on lui avait rendu justice dans la campagne de Saxe; et, se souvenant de son origine plébéienne, tout faisait croire que l'ancien capitaine de grenadiers de la Vieille Garde serait resté fidèle à son Empereur., à sa cocarde tricolore et à ses idées de volontaire de 1792. Il n'en fut rien. Aussitôt que l'abdication de Napoléon fut connue, le colonel Vionnet s'empressa d'envoyer son adhésion au gouvernement provisoire. Il fit prendre la cocarde blanche à son régiment, et avec les autres colonels du corps d'armée dont il faisait partie, il alla recevoir, à Calais, son nouveau maître, le roi Louis XVIII. "Messieurs, je vous fait tous maréchaux de camp", telle fut la première parole du nouveau souverain à ces hommes qu'une simple visite élevait subitement d'un grade dans la hiérarchie militaire.

Malgré ses actions d'éclat, Vionnet avait été confiné, pendant douze ans, dans le grade de capitaine. Au bout d'un an à peine, il changeait ses épaulettes de colonel contre l'habit brodé de général; le régime lui a semblé bon, il s'y est tenu depuis lors.

Mis en non activité, le 1er septembre 1814, il fut créé chevalier de Saint-Louis, le 17 du même mois.

Le 9 février 1815, il épousa, à Neuilly sur Seine, Melle de Beuzelin, fille d'un ancien officier de marine, propriétaire du château des Ternes, magnifique propriété qui s'élevait sur l'emplacement occupé aujourd'hui par l'église Saint-Ferdinand des Ternes et les rues environnantes.

Le retour de Napoléon vint le surprendre en pleine lune de miel; ses nouvelles convictions royalistes aidant, il refusa énergiquement de reprendre du service pendant les Cent Jours; il n'a pas compris que sa place était à la frontière menacée de nouveau par un million d'étrangers; il n'a pas, il est vrai, comme Bourmont et Clouet, déserté en face de l'ennemi; il n'a pas, comme Reiset, suivi fidèlement Louis XVIII à Gand, mais il n'a pas voulu non plus, comme Ney, Pajol, Letort, Duhesme, Kellermann, Milhaud, Gérard, Reille, Vandamme et tous les autres héros de Ligny et de Waterloo, se trouver au dernier rendez-vous de l'honneur et du patriotisme.

Il a voulu se ménager pour l'avenir, il prévoyait le retour des Bourbons, pressentait l'impossibilité pour l'Empereur de lutter contre les forces coalisées de l'Europe entière; il est resté tranquillement dans son château des Ternes, pendant qu'au milieu de l'armée en déroute, tandis que les tambours battaient la Grenadière, ses anciens soldats criaient aux anglais : "La garde meurt et ne se rend pas !".

Après la seconde abdication, pendant les quelques jours d'inter règne dans Paris, en juillet 1815, tandis que Carnot se lamentait de son impuissance, que Davout hésitait sur le parti à prendre envers Blücher qu'il pouvait écraser avec les forces dont il disposait; pendant que Fouché intriguait, le général Vionnet tenta, avec quelques autres royalistes, une démonstration qui faillit lui coûter cher.

Revêtu de son uniforme, la cocarde blanche au chapeau, il marchait à leur tête, parcourant la ville en criant : "Vivent les Bourbons : Vive Louis XVIII !" et en engageant les passants et les soldats isolés qu'ils rencontraient à les imiter.

Le hasard les fit se croiser avec un groupe de gardes nationaux fédérés qui, furieux du désastre de la patrie, loin de partager les vues des royalistes, se jetèrent à bras raccourcis sur eux, les dispersèrent et, se saisissant du général Vionnet, qui semblait le chef des manifestants, se disposaient à le pendre à un réverbère, quand la force armée vint, avec peine, l'arracher de leurs mains.

Pour le récompenser de son dévouement de fraîche date, la Restauration le nomma commandant du département du Rhône, le 15 novembre 1815. Il fut compromis dans les accusations de cruauté portées contre le général Cornuel, lors de la répression des troubles du Lyonnais et du Dauphiné, de 1815 à 1817.

Il existe, aux archives de la commune des Longevilles, son pays natal, une notice écrite par lui sur les événements auxquels il a été mêlé à cette époque. Elle est très intéressante à consulter, car elle établit réellement le rôle qu'il a joué à Lyon au milieu des cruelles répressions de cette époque néfaste.

Par suite de l'ordonnance qui supprimait une partie des états-majors, le général Vionnet fut privé de son emploi et mis en non-activité le 1er avril 1817.

Trois ans plus tard, il fut désigné, le 1er avril 1820, pour le commandement de la 3e subdivision de la 7e division militaire (départements des Hautes-Alpes), et passa à la 1ère subdivision (département de la Drôme), le 6 juin 1821.

Comme tant d'autres anoblis du premier Empire, il éprouva alors le besoin d'un titre moins peuple que celui dont l'avait gratifié Napoléon. Il y avait encore, à cette époque, tant de barons que tous ne demandaient qu'à ne plus l'être, et le titre de Vicomte de Maringoné, octroyé au général Vionnet, par ordonnance royale, en date du 17 août 1822, vint mettre le comble au bonheur du pauvre petit mineur des Longevilles, de l'ancien instituteur de Métabief.

Ce qui donne une singulière idée de l'état d'âme du nouveau Vicomte, c'est la lecture de différentes lettres qu'il écrivit à cette époque à ceux qui lui firent obtenir cette faveur. Il insiste à plusieurs reprises pour que, dans ses lettres patentes, on omette complètement son véritable nom, Vionnet; il semble honteux de l'avoir porté jusqu'au moment où l'Empereur a fait de lui un baron; il rougit d'être le fils d'un pauvre paysan et demande en vain, du reste, qu'il ne soit question que du baron de Maringoné sur le parchemin qui le range parmi les privilégiés de l'Armorial de France.

Le 13 février 1823, il fut désigné pour commander une brigade dans le 4e corps de l'armée des Pyrénées, et fit, en cette qualité, la campagne d'Espagne.

Nommé lieutenant-général, le 3 octobre de la même année, il prit le commandement de l'armée de Catalogne. Le 6 novembre, il s'empara, sous les ordres du maréchal Moncey, de Puycerda, et entra, sans coup férir, dans Figuières. L'ordre du jour, à la suite des affaires de Lhaïo et de Lhiéri, en Catalogne, porte que le général de Maringoné a eu la part principale de ce qui s'y est fait de distingué en ces circonstances.

Grand-croix de l'ordre de Saint-Ferdinand d'Espagne, le 23 novembre 1823, il fut mis en disponibilité, le 22 septembre 1824, et resta dans cette situation jusqu'en 1831, époque à laquelle il fut admis à la retraite. Il mourut à Paris, sans laisser de postérité directe, le 29 octobre 1834; sa veuve lui a survécu pendant quelques années.

Telle fut l'existence du soldat écrivain dont le lecteur appréciera, comme il mérite de l'être, nous n'en doutons pas, ce fragment de mémoires qu'une bonne fortune a sauvé de l'oubli.

 

février 1899, Rodolphe VAGNAIR


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