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La motocyclette

 


L'anecdote se passe en 1944, après la libération du Jura, à l’époque où les objets réquisitionnés par les maquis attendaient d’être rendus à leurs propriétaires.


Cesancey

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Nous sommes en octobre 1944.
Le Jura est libéré; les maquis sont dissous; les officiers d’active et les plus jeunes partent, avec le 159 RIA chasser les italiens des Hautes Alpes.  D’autres rejoignent les divisions du général de Lattre. 

A Lons le Saunier, une compagnie demeure; c’est une sorte de dépôt, où l’on régularise les situations de quelques retardataires et ou l’on règle les dettes des maquisards auprès de la population.

Les bons de réquisitions défilent. Il faut alors tenter d’identifier les signataires, savoir à quoi et à qui étaient destinés les objets ou services requis. Ces bons n’étaient rédigés qu’en un seul exemplaire, remis au fournisseur. Il était donc difficile de les vérifier.
Avec l’habitude on finissait par reconnaître les abus. Je me souviens de quelques cas comme cette robe de mariée soit disant réquisitionnée pour faire office de pansements ou une autre fois, de centaines de bouteilles de vin d’Arbois.
Dans un bâtiment servant de garage, étaient entreposés toutes sortes de matériel mais aussi de véhicules allant du vélo à la voiture décapotable de luxe, dont les propriétaires ne s’étaient pas encore manifestés.

Les pneus du vélo que j’utilisais pour faire mes deux allers-retours quotidiens Lons le Saunier – Cesancey, étaient à bout de souffle. Pour les faire durer un peu, je tapissais l’intérieur de plusieurs couches de rustines, mais cela n’empêchait pas de les regonfler deux ou trois fois à chaque trajet.
C’est donc avec plaisir, et avec la bénédiction de mon chef, que j’empruntai une des motocyclettes qui dormait au garage.
Elle fonctionnait parfaitement. Je m’habituai rapidement à ce confort sans regretter mon précédent véhicule, d’autant, qu’outre l’économie de mes mollets je gagnais la possibilité de transporter colis et bagages sans fatigue.

C’est ainsi qu’un soir, je rentrais en ayant grossièrement posé sur le réservoir,  coincé entre mes genoux, un embarrassant sac de châtaignes.
A mi-chemin, surpris par une auto qui me dépassait, je fis un écart brutal. Le sac bascula, entraînant la moto et son pilote dans le décor.
Un peu grogui, je peinais à retrouver mes esprits, quand une normande venue s’abriter dans le Jura en juin et qui passait par là, me traîna jusqu’au bord de la route. 
Un ami qui rentrait chez lui en vélo, en m’apercevant, s’arrêta à son tour et détourna  la moto sur le bas côté. Il estima que je n’étais pas en bon état et parti avertir mon beau-père.

Celui-ci, rapidement, mais pas assez, avait attelé à une voiture la vache qui lui servait de bœuf, et se mit en route pour récupérer ma dépouille.
Entre temps, j’avais repris connaissance et je m’étais remis sur pieds. Je ramassai quelques châtaignes évadées du sac, je redressai la moto cabossée et je m’en allai en la poussant. Je rencontrai bientôt la voiture de secours.

Cesancey

Mon beau père et sa vache firent aussitôt demi-tour et je suivis, tête basse, une poignée de châtaignes dans chaque poche.
Le lendemain je conduisis la moto chez un garagiste de la rue des Salines pour la remettre en état.
Trois jours plus tard, comme demandé par le garagiste, je passai reprendre l’engin et  je payai la facture.
Mais un client qui m’avait observé, m’aborda et me dit poliment "Cette moto est à moi. C’est ici que je l’ai achetée et  je la cherche depuis un mois. Je vous remercie de me l’avoir ramenée".

C’est ainsi que je quittai le garage à pied, et sans même oser demander au garagiste  des pneus neufs pour mon vieux vélo. 
Quelques rustines supplémentaires le rendirent utilisable pour une semaine encore,
puis, en échange d’un jambon obtenu chez un oncle, je trouvai auprès d’un autre fournisseur, les pneus neufs devenus indispensables.


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