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Mes vacances en Grandvaux, en août 1940

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Il y avait eu la drôle de guerre, puis la débâcle. On avait vu passer, les civils, les soldats français puis les allemands arrivés le 19 juin.

Nous avions eu à peine le temps de rendre les internes à leurs parents, que déjà, ma chambre était réquisitionnée une nuit, pour le repos d' un capitaine; juste le temps pour que ma collection de pipes, offertes par les élèves en échange de bonnes notes, se volatilise.

On avait tout classé, rangé, et les jeunes, surveillants ou enseignants, avaient été invités à partir en vacances. Mon contrat était renouvelé et les cours devaient reprendre le 1er septembre à 8 heures.  

Je faisais ma valise début juillet et je prenais mon vélo. Une collègue, qui surveillait les petits, s' invite à m' accompagner jusqu' à Saint Laurent, mais elle est à pieds. Alors nous attachons les bagages sur ma bicyclette et nous partons tous deux en marchant.  Valfin, La Rixouse, Château des prés… à Chaux des prés  ma collègue se souvient qu'un de ses oncle habite ici, et que nous pourrions lui rendre visite et "faire quatre heures". Quand on a faim et soif on ne résiste pas ... Nous sommes bien accueillis

Au moment de repartir, la tante nous annonce que son mari n' ayant pas encore été démobilisé, et que les foins n'étant pas finis, elle aurait bien besoin d' un peu d'aide. Elle me demande si je sais manier une fourche et conduire un cheval. Je n' ose pas refuser et pendant 4 jours je me fais des ampoules aux mains. Ma collègue avait profité de la gentillesse d' un voisin qui partait à Saint Laurent avec son break et son cheval, pour continuer sa route. Elle avait cru me rendre service en emportant ma valise.

ligne de démarcation

Les foins terminés,  je pars pour Foncine, avec l' intention de récupérer ma valise en passant à Saint-Laurent. Hélas, aux Chauvins,  la route est barrée par une perche à foin allongée sur deux  tréteaux et trois gardes allemands, les bras en croix, répétant  "verboten  verboten !". La ligne de démarcation prévue par le traité d' armistice venait d' être mise en place (elle sera un peu modifiée le 5 septembre).

Par chance j' avais un oncle en zone libre, à Uxelles. C' est donc à lui que je suis allé demander asile. Il avait perdu une jambe et là encore, les foins n'étaient pas terminés. Je repris donc la fourche pour quelques jours.

Mais je n' avais ni rasoir, ni linge de rechange. Je parvins à  contacter ma collègue et à convenir d'un rendez-vous au poste de Saint-Pierre où elle me passerait, en cachette, à chaque fois, quelques effets tirés de ma valise.

Les deux premières fois , tout se passa bien, les allemands étaient d' ailleurs corrects. Mais ces rendez-vous répétés  risquaient de nous rendre suspects. Alors nous cherchons s' il ne serait pas possible d' aller plus tard aux Chauvins 

La troisième fois, je vins encore une fois à Saint-Pierre;  j' attendis une heure au moins en échangeant quelques mots avec les gardes;  puis je pensai que c' était peut-être aux Chauvins que nous avions rendez-vous ce jour-là. Il me semblait d' ailleurs facile de m' y rendre par les sentiers forestiers : Deux  km direction  sud,  90 degrés à gauche et deux Km vers l' est et je devais m' y  trouver. C' est ce qui arriva  … à 500 mètres près.

J' étais bien arrivé aux Chauvins, mais du mauvais côté de la ligne. Puisque j' étais malgré moi en zone occupée, autant y  rester. Je préviendrai mon oncle César plus tard. A vrai dire j' oubliai, et pour cause.

A Saint-Laurent  ma collègue était sur la place. Elle bavardait. Surprise ! C' était bien à Saint Pierre que nous avions rendez-vous,  mais le lendemain seulement. Et comble de malchance, pendant que nous parlions, les gardes allemands avec qui j' avais discuté deux heures plus tôt en zone libre, nous observaient. .

Je venais à peine de saluer les parents de ma collègue chez qui ma valise m' attendait, que surviennent deux allemands. "Kommen sie mit!", ils m' emmènent sans autre explication à l' hôtel Malfroy tout proche, où se tient la Kommandantur. Je récupère tout de même ma valise et mon vélo.

Une demi-heure de questions, un peu en français, beaucoup en allemand . J'ai bien du mal à les comprendre et à me faire comprendre. Ils semblent surtout intéressés par les lettres qu' ils trouvent dans mes poches. Pour finir, je dois déposer cravate, ceinture, lacets de chaussures et bien entendu  portefeuille et je suis conduit à  la prison de la gendarmerie (aujourd'hui la poste).

Deux portes avec des serrures énormes et bruyantes s'ouvrent devant moi et j'entre dans une cellule sombre ... A l'intérieur, le mobilier se limite à une planche large de 60 cm scellée au mur, destinée à servir de siège le jour et de lit la nuit. Me voici à l' ombre ... Je ne savais pas encore que ce serait pour trente jours.

L' emploi du temps tenait en deux lignes : à 7 et à 18  heures, sortie d' un quart d' heure sous l' oeil d' un gardien, WC, robinet pour se laver un peu les mains et la figure, puis retour avec le broc d' eau, avec le matin, un pain K.  Vers 19 heures visite de l' "interprète" aussi difficile à comprendre que les autres, sa tête  n' inspire pas confiance. Il a coutume de me lancer en guise de bonsoir :   "demain vous serez tiré !", et ceci avec un accent effrayant.

Ce cérémonial et cette promesse se renouvellaient chaque soir.                

Mon gardien changeait chaque jour. Ils étaient quatre. Trois ne disaient jamais un mot. Mais le 4 août  surprise. Le quatrième gardien souriant, parlait presque correctement notre langue, et me raconta sa vie; Autrichien, il n' aimait pas Hitler, s' ennuyait de ses enfants dont il me montrait  des photographies.

Puis il me demanda si j' avais des parents à  Saint-Laurent. Une de mes tantes tenait effectivement un café près du passage à niveau.

Il lui rendit visite et il fut sans doute bien reçu puisque le 8 août, lorsqu'il fut de nouveau assigné à ma garde, j' eus droit à des oeufs cuits dur, des tranches de saucisson, du pain et un bidon de chocolat au lait.

Un  véritable banquet qui faisait oublier le pain K qu' une nuit passée dans le broc d' eau ne ramollissait pas. Cinq fois je pus ainsi manger à ma faim

La sixième fut moins heureuse. Mon autrichien qui m' avait quitté depuis quelques minutes, après m'avoir fait la livraison habituelle, revint tout essoufflé, récupéra les coquilles d' oeufs et tout ce qu' il avait apporté et partit sans un mot.

Puis très peu de temps après les portes s' ouvrirent à nouveau, et je me trouvai en face de ttrois gradés allemands, dont un a deux galons.

Ce lieutenant me questionna  longuement, d' abord correctement. Il  parlait assez bien le français, puis il se fit presque familier. Je me voyais déjà  sorti d'affaire.

Il sortit un paquet de cigarettes et le présenta à son acolyte de droite à qui il parlait. Sans interrompre sa conversation, il mit son paquet devant moi, mais sans me regarder.

Naïvement je crus qu' il m' offrait aussi une cigarette et je tandis la main. Mais je me trompais, il la destinait à son acolyte qui se trouvait à sa gauche. Je ne compris rien bien entendu, mais le ton changea aussitôt. Mes trois visiteurs disparurent. 

Les portes claquèrent et les serrures grincèrent. La peur remplaça l'espoir.

Enfin le 1er septembre, bien avant que le jour paraisse, le bruit des clés me réveilla.

Deux gardes m' emmenèrent à la feldkommandantur, à l' hôtel Malfroy. On me rendit cravate, ceinture, lacets, porte-monnaie, mais lorsque je réclamais mon vélo on me répondit : "Vous n' avez pas besoin de votre vélo pour là où vous allez". Voilà qui était rassurant ...

En route pour l' inconnu, surveillé par trois gardes, l' un portant ma valise, j'avance en direction du passage à niveau.  Ma tante doit encore dormir, il n' y a pas de lumière chez elle. Puis nous quittons la route pour prendre à gauche, un sentier conduisant à la forêt.

C' est toujours l' incertitude absolue, nous marchons sous les sapins, le jour se lève à peine. Soudain un cri retentit derrière moi : "halt  sie sind  frei !". L' espoir revient mais le doute subsiste. 

Les gardes me rendent ma valise avec un sourire moqueur, et me font signe de partir; ce que je fais aussitôt. Mais plus que jamais je crains d' être "tiré". Le temps d' un court acte de contrition, je fais un pas sur la droite pour m' abriter derrière un sapin et jeter un regard vers l' arrière pour constater que mes gardiens ont disparu. Ils m' ont reconduit jusqu' à la ligne de démarcation.

Je prends alors la direction Saint-Claude, car les "vacances" sont terminées. 24 Km à pieds, même en zone libre, cela reste long.

J' ai dû maigrir beaucoup et je n' ai sans doute pas le bronzage d' un aoûtien rentrant de congés.

J' arrive à "La Poyat" vers midi, le ventre vide.

 

Le directeur est sur la porte de l' école. Ma barbe de 30 jours masque peut-être le reste de mon apparence, mes vêtements devenus des guenilles ne le scandalisent apparemment pas.

En tous cas la réception est sèche :

"C' est maintenant que vous arrivez ? Vous aviez un cours à 8 heures.. Mademoiselle F. a bien voulu vous remplacer. Soyez à votre place à 13 heures ! ".

A 13 heures, un peu plus présentable, je fais connaissance de mes nouveaux potaches. N' ayant, bien entendu rien préparé, je leur raconte mes vacances en Grandvaux, et à l' ombre ...

 

G.G


LA LIGNE DE DEMARCATION

Le 22 juin 1940, dans le traité d’Armistice, Hitler décide d’occuper une partie de la France, vaincue.

Pour cela il impose une ligne de démarcation séparant la zone occupée, soumise à un gouverneur militaire allemand de la zone non-occupée - on dira la "zone Nono" -, restant sous l’autorité théorique du gouvernement de Vichy.

Le tracé exact de cette ligne devait être défini après discussion avec les préfets. En fait, bien souvent il ne tint pas compte des intérêts légitimes des populations. Il fut pourtant quelques fois modifié. C’est ainsi que dans notre région, le 5 septembre : les communes de Saint-Pierre, de La Chaumusse et du Vaudioux, initialement occupées, furent partiellement libérées. Mais cette faveur entraîna de nouvelles complications. Ainsi à La Chaumusse, le local de la mairie était maintenu en zone occupée. Il en était de même de 22 autres communes du Jura, sur les 35 que la ligne coupait en deux.

Cette ligne était signalée par de nombreuses pancartes. Les routes étaient fermées par des barrières gardées par deux ou trois sentinelles (au début, une perche à foin posée sur deux tréteaux). Pour passer il fallait présenter un aussweiss.

Ceux qui habitaient à moins de dix kms de cette ligne pouvaient, sur justification, recevoir un aussweiss temporaire délivré par la kommandantur la plus proche. Les autres devaient s’adresser à un bureau allemand de Chalons sur Saône.

Ceux qui n’avaient pas ce papier pouvaient tenter leur chance en passant clandestinement, seuls s’ils étaient du pays où s’ils y avaient des amis, avec le recours à un passeur dans le cas contraire. C’était le cas des prisonniers de guerre évadés ou, des jeunes venant des départements d’Alsace Lorraine qui ne voulaient pas être incorporés dans les armées d’Hitler, car dès le 7 août, ces départements avaient été annexés à l’Allemagne. Tous le faisaient à leur risque et péril. Les allemands patrouillaient de chaque côté de la ligne. Les passeurs se faisaient parfois payer. Souvent ils ne donnaient que la direction sans franchir eux-même la ligne; et, il faut le dire, parfois ils disparaissaient après avoir empoché l’argent.

carte postale interzones

Le courrier passait aussi la ligne, mais à des conditions qui méritent d’être rappelées; on ne pouvait correspondre de zone à zone qu’au moyen de cartes pré-imprimées et pré-timbrées. On ne pouvait écrire sur ces cartes que des noms et des dates et rayer "légèrement", ou "gravement" avant les mots "malade" ou "blessé". Même la formule finale "affectueuses pensées. Baisers " était pré-imprimée.

Il était bien précisé en caractères gras "après avoir complété cette carte strictement réservée à la correspondance d’ordre familial, biffer les indications inutiles. Ne rien écrire en dehors des lignes".


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