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L'installation de la centrale électrique

Texte de Micheline (des Serrettes), d'après les souvenirs de Paul

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Nous sommes en 1942, c'est la guerre. Les occupants sont là. Les magasins sont vides. Le pétrole est si rare qu'on utilise de plus en plus les lampes pigeons, car avec le tracteur, on obtient quelques bons d'essence. La bonne grosse suspension à pétrole ne sert que pour la soirée et le repas familial.

le pont des Serrettes, à Foncine le Bas

Ces loupiotes, comme on appelle les lampes pigeons, éclairaient autant qu'une bougie. Ce n'était déjà pas si mal. Mais elles fument plus qu'elles n'éclairent et nous les aidons un peu; c'est rigolo la fumée. De sorte que tous les petits écoliers des fermes arrivent à l'école avec de curieux petits masques clairs. En effet, le coin de torchon trempé dans un peu d'eau tiède puisée à la grande marmite, a tout juste éclairci nos frimousses enfumées.

Vaquer aux travaux de la ferme tout au long de l'hiver avec cet équipement lumineux, n'est pas une mince affaire. Aller à l'écurie en portant ce lumignon puant et fumant, c'est s'exposer à embraser le cul d'une vache !

Papa rumine depuis longtemps une idée : utiliser la force de l'eau pour faire de l'électricité. Il s'agit non seulement de réfléchir mais aussi d'élaborer le projet. Il n'est pas technicien en la matière et il faut lui trouver les matériaux. La ferraille est introuvable. Le ciment sévèrement rationné, à peine en avait-il quelques sacs. Il n'y a rien, et ce n'est guère facile de faire avec rien ! Il faut donc mettre le projet sur papier pour le soumettre au Génie Rural afin d'obtenir un accord et quelques bons pour des clous ou du ciment.

le pont des Serrettes

Papa est intelligent et bricoleur. Mais il ne sait pas bien dessiner ni faire des plans. C'est pourquoi il a fait appel à un voisin, jugé plus compétent. Mais comme disait ce Monsieur : "Sacré non de non ! faudrait au moins avoir du papier !". Qu'à cela ne tienne, le dos d'une affiche de propagande nazie va faire l'affaire.

L'étude est faite, les plans acceptés. Pour amener l'eau à l'endroit où l'on peut mettre une roue et la baraque pour l'installation, il faut rehausser le niveau de prise d'eau des arrivoirs qui conduiront l'eau sur cette roue. Il faut donc faire un barrage. Pas question d'utiliser le précieux ciment pour le barrage. Il servira pour le portique de la vanne ainsi que pour les assises de la roue et de la baraque. Le barrage est donc établi au-dessus de la cascade, en un endroit où le rocher sert d'assise à la poutre de front. Contre cette poutre, bien calée, couchée en biais et bloquée au fond par de grosses pierres, est montée une première épaisseur de planches. Puis, appuyé plus haut, un second rang est fixé. Entre les deux rangs de planches, reste l'épaisseur du barrage qu'il faudra combler.

Au premier tournant après Foncine, à la marnière, papa extrait de la terre glaise qu'il ramène avec le tombereau en traversant le clos jusqu'au bord de la rivière. L'année était très sèche, heureusement.

C'était en août, après les foins : le travail de la ferme était moins intense et laissait du temps pour la construction du barrage. Papa et ses ouvriers (ses trois gamins de sept à onze ans) tassent au maillet poignée par poignée cette glaise, de quoi remplir le ventre du barrage. Un beau jour, les deux côtés se rejoignent. On ferme le petit trou par où s'échappait l'eau et le barrage est mis en eau. La vanne est baissée dans son portique de ciment et le soir, une belle petite cascade saute par dessus le sommet du barrage. Ça n'a l'air de rien, mais quelle joie !

Pendant ce temps, à Foncine le Haut, le père M.... fabriquait la roue. Il avait réutilisé en les recoupant les godets d'une autre vieille roue de la Sisèche. Le Robert a donné un coup de main pour la maçonnerie.

Papa a coupé les frênes qui gênaient pour passer la ligne. Ils sont tombés dans le gouffre et la Poulette, moitié nageant, moitié marchant, les a tirés de l'autre côté. le cousin Michel, le charpentier du Brey, est venu sur son vélo pour bâtir la baraque. La grande roue est arrivée, couchée sur la voiture. Il a fallu la descendre à travers le clos en la glissant sur des perches et la redresser à sa place sur ses engrenages récupérés sur un vieux manège de batteuse à cheval. Papa avait déniché, dieu sait où, une dynamo.

A la première installation, elle ne marche pas ! Heureusement, le vieil italien qui s'occupait de l'installation en a trouvé une autre. Pour avoir du fil électrique et le reste, il avait fallu "graisser des pattes" avec le beurre confectionné avec la crème du lait prévu pour les veaux. L'installation est terminée, la mise au point faite.

C'est l'hiver et les jours sont courts. Nous sommes le 17 décembre 1942 et oh ! merveille, les lampes s'allument à la maison. La roue n'a pas une rotation parfaite alors la lumière a comme une respiration. On s'y fera très bien.

la cascade des Serrettes

Puis l'installation s'est fignolée. Papa a installé un levier pour ouvrir la vanne depuis l'intérieur de la maison, en haut des escaliers, de sorte qu'on avait le temps de se mettre au lit avant que la lumière s'éteigne. Avec le levier, prolongé par un câble, on soulève la vanne. L'eau s'engouffre dans les arrivoirs, tombe sur la roue qui se met en route. On entend tchoc, tchoc à chaque godet qui se vide.

En hiver, quelquefois la roue se prenait dans la glace. Il fallait la dégager à la hache. Par temps de bise, les courroies de mauvaise qualité se détendaient : on allait les mouiller. Certains étés étaient secs, il fallait faire des petits barrages de secours pour avoir de la lumière toute la soirée. Le barrage vieillissant, il fallait en colmater les fuites. Malgré ces désagréments, pendant une certaine période, nous étions les mieux éclairés de Foncine, la ligne y étant surchargée. Quel plaisir de n'avoir qu'un bouton à actionner pour y voir : passer de la grange aux écuries éclairées, jouer sur le foin le soir en voyant le bord du grenier !

Sur l'arbre de transmission, papa avait installé des poulies pour le concasseur (la meule pour affûter ses lames de faucheuses ou concasser le grain) : plus de corvée de manivelles. D'autres venaient concasser chez nous.

En 1954-55, EDF est arrivée.

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