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La Vie aux Serettes

Textes de Micheline (des Serettes)


Matin de givre Porteurs de lait La centrale électrique
Le cochon Silhouettes insolites Le travail du bois
L'automne La batteuse Souvenirs d'enfance à Foncine


Matin de givre

La nuit a brodé sur les carreaux de somptueuses fougères. A la chaleur de mon haleine, j'y perce un petit trou rond juste pour mon oeil. Le soleil ourle d'or le sommet des sapins. Il fait beau. En route !

Sur le siège du traîneau, bien emmitouflés, la couverture remontée jusque sous les bras, nous sommes en route pour l'école. L'un de nous trois tient les rennes. Derrière, il y a la bouille de lait toute chaude et les skis pour le retour ce soir.

C'est un matin craquant de glace, éblouissant de givre, scintillant de myriades de cristaux. Sur un ciel bleu cobalt, la neige immaculée ne porte que la trace du renard rôdeur de la nuit. Les sapins encapuchonnés s'appuient les uns sur les autres et les buissons figés, minéraux, sont écrasés sous leur charge de neige. Tout est beauté.

La grelotière sonne gaiement : dring ! dring dring ! Le traîneau file. La jument trotte. Devant nous, sa croupe danse. Sa queue se soulève, et pouet ! pouet ! On en prend plein le nez, elle nous pète allègrement à la figure ! Puis elle se paye un petit galop qui nous lance à la tête quelques sabotées de neige.

On arrive au village. La route est lisse. Depuis plusieurs jours il n'a pas neigé. Voilà l'Alcide qui revient sur son traîneau. Le fumier de chez François fume. Monsieur François tire son petit traîneau avec sa bouille. Les cheminées fument. L'Albert pelle la neige devant chez lui.

Oooh ! Oooh ! : la Poulette s'arrête devant le chalet. S'il n'y a personne d'autre, le fruitier décharge et coule notre lait. Les garçons montent vers l'école. La Poulette encense, serre les oreilles et mâche son mord, mais elle connaît son travail. La bouille rechargée, je la raccompagne jusqu'à la croix. J'attache les rênes après le banc du traîneau et, entre les hauts bourrelets de neige, comme un train sur ses rails, elle retourne seule à la maison. Les grelots signaleront son arrivée. Pendant ce temps, les parents qui ont fini le plus gros travail à l'écurie, déjeunent de café au lait, de pain et de fromage. Maman aime bien le serra grillé. Elle enveloppe son morceau dans du gros papier. Elle le pose dans le feu. Quand le papier est brûlé, elle récupère son morceau avec les pincettes. Papa l'aime puant et bleuâtre, comme l'aiment aussi les asticots ! Il déjeune souvent avec du lard grillé. Il y en a toujours une assiette dans le buffet. Quand il va au bois, c'est son casse-croûte. Après déjeuner, il reste à barrer les vaches, c'est à dire clore chaque crèche avec une planche. Puis il faut laver les bouilles, soigner les poules, les lapins, balayer, faire le repas. Pendant ce temps, papa va profiter de la bonne neige pour mener le fumier.



Porteurs de lait

Jusqu'en 1939, il y avait un âne aux Serettes : le Coco.

A la belle saison, c'était la marraine qui avait pour mission de porter le lait. Matin et soir, elle attelait la bourrique à la petite charrette, chargeait les bouilles, coiffait son grand chapeau et s'asseyait en travers de la carriole. Hue ! Coco ! En route ! Souvent, à la croix, elle croisait le même attelage : le coco du Voisinet.

Famille Cordier à Foncine le Bas

Nous allions à sa rencontre au retour et elle nous asseyait en rang d'oignons à côté d'elle. C'est ainsi qu'un soir, le petit frère, le Lolo rond et dodu, a basculé en avant. La roue de la charrette lui est passée dessus ! Sans dommage. Nous n'étions pas bien lourds.

Le Coco avait aussi un autre rôle assez inattendu de la part d'un âne ; remplacer un veau ! Au fond de l'écurie, il y avait une vache un peu caractérielle : la Colombe. Elle ne donnait son lait que si elle voyait son veau. Le veau vendu, c'était l'âne qui le remplaçait. On l'amenait faire un petit tour derrière la vache qui, après l'avoir vu, donnait son lait !

Après une dernière kermesse où, pomponné, le Coco a tiré une charette fleurie pour promener les enfants, il fut vendu.

Je n'ai jamais aimé la gymnastique, ni la course à pied. Je n'ai jamais pu me hisser de cinquante centimètres à la corde. Je tenais tout juste sur des skis. Mais il y avait un sport dans lequel j'étais championne. Drôle de sport en vérité ! Ce n'en était pas un, au sens olympique. Mais cela demandait rapidité, détente et précision. C'était très physique, très aérien et assez dangereux. Vous ne voyez pas ?

Pas étonnant. Ses adeptes n'étaient pas légions et il n'est plus du tout pratiqué. Ça s'appelait : porter le lait !

Le Coco vendu, ce sont nous, les enfants, qui avons remplacé l'âne à la belle saison. Foncine est blottie au creux des coteaux. Les chemins des fermes descendent presque tous vers le chalet (la fruitière) si bien que je n'étais pas la seule à pratiquer ce sport. La traite terminée, les bouilles bien fermées sont chargées dans une petite remorque à deux roues, munie d'un timon central. Le chargement est lourd à tirer et à retenir. Aussi à la descente, il y a une méthode : sur la droite du timon, je m'assoie sur une fesse sur un sac coincé dans la ferraille qui équerre le timon. Un coup de talon, le poids m'entraîne. Entre ciel et terre, je suis aux anges. Tout l'art consiste à maintenir le véhicule en équilibre du bout du pied,tout en roulant. Si ça frotte un peu à l'arrière c'est sans danger : c'est le frein ! Mais attention, laisser rabattre en avant, c'est risquer de se faire prendre sous la charrette et d'envoyer les bouilles rouler jusqu'à la rivière. Dans ce cas, l'arrivée au chalet n'est pas glorieuse : les genoux sont couronnés et une bouille est vide.

C'est un vrai plaisir de rouler en équilibre mais quelle émotion le jour où je suis passée au dessus d'une énorme vipère en balade en travers de la route.

A la grange à l'Olive, certains gamins, lorsque la bouille n'était pas assez lourde pour leur faire contre poids, chargeaient à côté d'elle une grosse pierre. A l'arrivée, ils la faisaient rouler tout en bas derrière le chalet si bien qu'un petit murger a poussé là. Suspendus entre les brancards de leur charrette à chien, ils arrivaient en pleine vitesse sur la place du chalet, stoppant le véhicule en faisant frotter l'arrière qui lâchait quelques étincelles sur les cailloux de la route. Heureusement, il y avait peu de circulation automobile.

Le chalet c'était le coeur du village vers lequel affluait deux fois par jour le monde du lait : porteurs de lait à bras, à dos, en carrioles de tous genres, tractés à la main, par les chiens ou autre attelages et les consommateurs : les gamins avec leurs petits bidons ou les belles dames du matin en mule et robe de chambre, leur casserole à la main.

Dans ce va-et-vient, entre les attelages divers, la carriole arrêtée, il fallait la décharger. Souvent un homme le faisait pour nous, sinon, entre gamins, nous nous aidions à porter les bouilles jusqu'au seuil. Le fruitier était un brave homme. Il ne nous grondait jamais et nous coulait notre lait.

Mais sa peste de femme nous laissait tirer, pousser et ne manquait pas de nous disputer pour des broutilles. La coulée faite, si c'était école, nous rincions les bouilles et chacun remisait sa carriole et son chien.

Enfant avec Charriot à lait, à Foncine le Bas (photo transmise par Alain Napoleoni)

Plusieurs d'entre nous avaient en effet la chance d'atteler un chien pour remonter la charrette chargée au retour d'une bouille de petit lait. Nous en avions eu un : le Barbet. Mais c'était le champion de la fugue et sa carrière fut courte. Il a disparu définitivement un beau jour.

Il y eut à un certain moment six attelages de chien. Avec certains il fallait garder ses distances.

Puis nous avons grandi, la guerre s'est terminée, l'essence est revenue, les pétrolettes, triporteurs, etc .. ont remplacé la traction animale ou la notre. C'était moins excitant à la descente, mais tellement moins pénible que ce fut sans regret ! Ainsi s'en alla doucement, sans en avoir l'air, tout ce qui faisait le charme du monde agricole : le machinisme arrivait.


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