Le Général Vionnet dans la Via Mala
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En 1796, Louis Joseph Vionnet est capitaine des grenadiers dans l’Armée d’Italie. Bonaparte est le général en chef de cette armée. Il a été nommé disait on, en échange de son mariage avec Joséphine de Beauharnais dont Barras voulait se débarrasser. De victoires en victoires (quatorze batailles rangées ,dont cinq en cinq mois, soixante-dix combats, cent milles prisonniers), il a conquis le Piémont et l’Italie du sud. Il a créé deux Républiques soeurs, la Ligurienne et la Cisalpine. Il est le libérateur de l’Italie. Il a aussi enrichi les musées français et les membres du Directoire. Mais "il n’est plus d’espérance pour la paix qu’en allant la chercher dans les états héréditaires de la Maison d’Autriche". Pour aller à Vienne, l’Armée d’Italie, que ne commande plus Bonaparte, devra franchir les cols des Alpes. Les autrichiens et les russes de Souvorov l’attendent dans les Grisons, à Coire. Le capitaine Vionnet appartient à la division du général Macdonald; Il a été blessé à Rivoli puis à Novi. Il s’est distingué à Tirano, à Naple, à Modène. Il va être encore blessé à Coire en novembre 1800 lorsque l’Armée d’Italie se retirera des Grisons, puis sa carrière le conduira en Belgique, en Prusse, en Pologne, en Espagne, en Russie puis de nouveau en Espagne, au secours cette fois de ses ennemis précédents. Pour ne parler que des chemins, celui qu’il a suivi en 1799-1800 est sans doute le plus spectaculaire et le plus dangereux. Quelques pages tirées de la "Suisse pittoresque" de 1836 méritent d’être relues. Il s'agit du chemin qui conduit du Lac de Come à Coire (Chur) par le col du Splügen et la Via Mala. |
Ce chemin était sans doute déjà connu des romains. Dès 1470 il a été une route importante entre l’Allemagne, la Suisse et l’Italie et il a rivalisé avec le Saint-Gothard ... Taillé dans les flancs occidentales des roches, sur une largeur de trois à quatre pieds. puis passant par un pont sur la rive opposée ... Il se dirigeait à travers une gorge effroyable par les abîmes profonds et les rochers surplombants, desquels se détachaient souvent de gros quartiers et se précipitaient d’énormes avalanches. Il fut appelé à juste titre la VIA MALA.
Dans les années 1738-1739 on le consolida en jetant deux nouveaux ponts de pierre à travers le gouffre. Il fallut descendre dans l’abîme et y affermir des troncs d’arbres d’une longueur extraordinaire pour poser l’échafaudage de la voûte et pour assujetir celle-ci des deux côtés. Ces trois ponts rendent la route infiniment plus sûre qu’elle n’était autrefois. Elle n’est point dangereuse du tout maintenant pendant l’été, et les avalanches ne sont à craindre que dans les hivers. L’abîme resserré dans lequel les flots écumés du Rhin sont à peine visibles à une profondeur de 129 pieds sous le premier pont, de 399 sous le second et 160 sous le troisième. Brisés par les tempêtes fréquentes, par la foudre et par les avalanches et couverts de pins énormes, les rochers s’étendent jusqu’à une profondeur de cinquante à quatre vingt toises vers le bas et au dessus des montagnes à une hauteur de six à huit milles pieds. Elever des ponts sur ce ravin était une entreprise dangereuse et très difficile. Pour faciliter la construction des arches, des grands pins coupés et abattus des deux côtés du ravin, et attachés fortement les uns aux autres avec des cordes, furent jetés en travers sur le gouffre et formèrent un échafaudage temporaire pour les ouvriers occupés à cette entreprise hardie. A cet endroit, un cheval de somme chargé de riz fut enlevé par une avalanche et jeté dans les précipices. Le propriétaire, en faisant sa déposition à Thusis, déclara qu’outre le riz dont la bête était porteur, elle avait aussi été chargée d’une somme d’argent renfermée dans un sac. Malgré le danger et même que l’on crût à l’impossibilité de descendre dans l’abîme, le propriétaire eut la témérité de le tenter. Attaché à des cordes il atteignit à la profondeur de 399 pieds, la surface de l’eau qui était prise dans la glace. Là se servant d’un croc pour la casser, il parvint à se saisir du sac, à le traîner sur le rebord du rocher et à en tirer l’argent qui était enveloppé dans du papier. Aussitôt qu’il s’en était muni, il donna le signal pour se faire remonter. Cette opération était extrêmement difficile à cause des saillies de rochers qui se croisent en tous sens dans l’abîme. Il fut plus d’une heure suspendu dans l’air et ce n’est qu’au moyen d’une perche qu’il put éviter de se brisé la tête. |
Plus loin, vers Chiavenna
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Un autre livre, le "Voyage pittoresque dans le canton des Grisons", édité en 1827 donne d’autres renseignements concernant le chemin de Splügen à Chiavenna qu’emprunte l’Armée du général Macdonald en 1800 lorsqu’elle quitte la Suisse. Ce n’est pas la Via Mala mais cela ne manque pas d’intérêt. |
Par suite de l’invasion des français en Suisse en 1798, ce pays qui était demeuré neutre depuis des siècles, devint le théâtre des opérations des armées française, autrichienne et russe. En 1800, les autrichiens occupaient toute l’Italie septentrionale et le pays des Grisons. Le premier consul Bonaparte franchit au mois de mai, avec une armée française, le Grand Saint Bernard et battit en juin à Marengo, l’Armée autrichienne. L’aile gauche des français, appelée armée ce réserve, qui occupait sous le commandement du général Macdonald, la Suisse orientale, attaqua les autrichiens en juillet, leur livra des combats dans toutes les parties des Grisons, les chassa de toutes les vallées et franchit le Splügen du 27 novembre au 4 décembre en les poursuivant. Cette division perdit un grand nombre de soldats et de chevaux par la chute des avalanches, par le froid, et par une tourmente horrible qui accabla les colonnes. C’est là que le 26 novembre, le capitaine Vionnet à reçu sa quatrième blessure, un coup de baïonnette au côté droit. La distance entre Splügen et Chiavenna est de 7 à 8 lieues. Au départ, à l’est de l’horrible gorge de la Cardinel où sont des gouffres profonds et où des avalanches énormes - "la terreur du Splügen" - se précipitent des rochers escarpés avec un bruit effroyable. Lorsque on s’approchait du bord de la gorge, on n’était pas peu surpris d’être obligé d’y descendre. Le chemin étroit était taillé dans le roc, le long des parois de rochers à pic, au dessus de gouffres effrayants. On concevra facilement que l’armée de réserve française, commandée par le général Macdonald, ait perdu dans sa marche beaucoup d’hommes et de chevaux. Lors du passage de cette armée, un coup de vent précipita un tambour dans les abîmes de la Cardinell où il parait s’être fait peu de mal, car en l’entendit battre le tambour pendant quelques heures; mais comme on ne lui porta pas secours, il succomba au froid et à la faim. Depuis le 14ème siècle que l’on commença à pratiquer le chemin par le Splügen, jusqu’à 1822, que l’on finit la grande route, ce défilé ne pouvait être franchi qu’à pied et avec des chevaux de bât. Chaque bête de somme portait un bât fait de bâtons joints ensemble qui descendait fort bas des deux côtés de l’animal. C’était sur ce bât que l’on attachait les balles de marchandises ... Un homme conduisait 6 ou 7 chevaux. Chaque bête portait une clochette. Les chemins étaient si étroits que des chevaux chargés ne pouvaient se croiser. De gros travaux ont amélioré ce chemin de 1818 à 1822, donc après le passage des armées françaises. |