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Le marquis de LULLIN, seigneur de la Chaux, face à Louis XIV

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Dom Juan de Watteville

On sait que le marquis Albert Eugène de Lullin seigneur de Genève Lullin, épousa en juillet 1622, Catherine de la Baume, dite aussi Catherine de Bruges, qu’il devint par ce mariage, seigneur de la Chaux des Crotenay où il vint habiter amenant avec lui la famille d’Avonay, et que sa Catherine fut inhumée dans l’église de la Chaux, devant l’autel (cf: Catherine de Bruges).

On sait moins qu’il était, en 1668, gouverneur de Gray, où il se trouva en face de XIV et d’un autre franc-comtois, bien connu, Dom Juan de Watteville.

Henry Mercier nous raconte dans son livre, d’abord la légende, puis l’histoire de Dom Juan de Watteville, abbé de Baume-les-Messieurs, ambassadeur extraordinaire d’Espagne et de Bourgogne auprès des Ligues Suisses, et il nous en apprend de belles tant sur l’abbé de Baume que sur sa famille.

.C’est au chapitre XI que Lullin apparaît.


Le siège de Besançon en 1674 par Van Meulen


Cela se passe en 1668, trente ans après les Suédois de Weymard et la peste. Comme son prédécesseur Louis XIV veut conquérir la Franche-Comté encore espagnole. Depuis longtemps il y a une communauté d’origine et d’affinité entre les deux versants du Jura. Il y a même un accord d’Alliance Perpétuelle. De Watteville, avait été chargé de négocier avec les Ligues Suisses. C’était son domaine. N’avait-on pas dit qu’il avait, à un moment, envisagé de faire de notre Comté le 14 ème canton de la Suisse ? On lui avait adjoint le marquis de Yenne. Leur mission était d’amener les suisses à défendre la Comté que la France revendiquait.

vue de la ville de Gray (Adam-Frans van der Meulen)

Les voilà tous deux, devant Gray où sont déjà, avec leurs troupes, Louis XIV et Condé. La ville est une forteresse imprenable. Le Marquis de Lullin en est le gouverneur. L’assaut est prévu; mais de Watteville a reçu une lettre de Condé, écrite le jour où Besançon a capitulé. Condé, l’informe de l’événement et de l’inutilité d’une lutte plus longue. En même temps il lui suggère l’idée de rentrer au pays pour y soigner ses intérêts et lui offre son concours dans ce but auprès de Louis XIV.

Dom Juan comprend toute la valeur d’une telle proposition et répond séance tenante au Prince qu’il devient français de coeur. Il continue cependant ses démarches aux fins de secours. Mais quarante huit heures plus tard Salins capitule. L’abbé de Baume s’incline devant le destin.

Prise de Dole le 14 février 1668

Au camp français, on décide de tenter un essai. On estime que Yenne et Watteville sont encore revêtus, pour les assiégés, d’attributions officielles et qu’ils pourraient obtenir du Marquis de Lullin, la capitulation si ardemment souhaitée. Ils sont menés aux portes ,déguisés en marchants.
Les deux négociateurs, habillés en colporteurs se présentent au corps de garde de la place, payent à boire aux soldats et réussissent à pénétrer en ville où ils se font connaître. Le marquis d’Yenne verse des larmes, peut-être est-ce de remord !

L’abbé de Watteville, lui, a un autre genre. Dans un langage très peu apostolique, il somme conseillés et bourgeois de se rendre au roi Très Chrétien, leur seul maître. "par la Tète-Dieu, crie-t-il, je veux qu’on me donne un coup de poignard dans le sein, si le roi d’Espagne a un meilleur serviteur que moi. On sait la peine que j’ai prise en Suisse pour sauver la Province et hier encore j’ai tout fait pour, en cette extrémité, obtenir un secours des Cantons. A présent c’est trop tard. Ce serait heurter la muraille en vain, et, partant, il faut capituler de suite sans remettre à demain car le roi est impatient de retourner à Paris et tout est disposé pour un assaut décisif. Si l’on fait la bête avec les suisses, dit-il en finissant, il ne faut pas faire le brave avec les français".
Le sort de la ville dépendait du marquis de Lullin. Une nature énergique eut vite remis chaque chose à sa place, mais Lullin semble fait du même bois de Yenne, même mollesse, même absence de décision et de virilité. C’est d’ailleurs les caractéristiques de tous les dirigeants comtois, Watteville excepté.

Le parti de la capitulation l’emporte. Le traité est scellé. Et le même jour encore (19 février) le Roi très Chrétien entre dans sa bonne ville. Le maire, en lui offrant les clés lui dit "sire, votre conquête eut été plus glorieuse si elle avait été disputée". Un autre aurait dit: "le roi de France aurait dû envoyer ses laquais prendre possession du pays au lieu d’y venir en personne".

Louis XIV a hâte de rejoindre son confesseur et ses maîtresses.

Pour célébrer cette victoire, De Watteville demanda et obtint 2000 pistoles, coût de ses deux voyages en Suisse, plus la promesse de la dignité de Haut-Doyen de Besançon.

Louis XIV au siège de Besançon en 1674

Louis XIV ajouta pour sa parente, Marie Angélique de Watteville la coadjuterie de l’abbaye royale de Château Vilain. Puis il se rendit au Castel de Château-Vilain, berceau de sa famille et propriété de son frère. Grâce à la sauvegarde accordée, leurs biens furent préservés de toute déprédation ou charges.
En reconnaissance l’abbé de Baume fit, pour les protéger, occuper par les troupes françaises quelques châteaux forts encore libres. Le gouverneur de Nozeroy s’opposant à ses tentatives, il fomenta une révolte parmi les bourgeois de cette ville qui, à la pensée d’être occis, s’emparèrent de leur gouverneur et le livrèrent aux français.

Le nom de Lullin ne paraît plus dans les chapitres suivants de H. Mercier.

Mais le traité de 1668 n’était qu’une trêve. Louis XIV aspire à l’hégémonie de l’Europe. Il cherche des prétextes pour attaquer de nouveau l’Espagne, tour en espérant rééditer sa technique de 1668 : palabres, conclusions provisoires puis rompues sous des prétextes spécieux. Les comtois se querellent. Les "traîtres" sont poursuivis. Dom juan n’en souffre pas trop.

Début 1673 le plan de Louis XIV est prêt. En février Turenne est devant Gray. Cette fois, cette ville résiste quatre jours. Le Roi très Chrétien décide d’aller au bout. Vesoul et Lons capitulent. Besançon résiste plus longtemps. mais capitule le 22 mai, et Dole le 7 juin. La bourgeoisie pleutre et veule comme partout ne pense qu’à conserver biens et privilèges. Les pauvres paysans sauvent l’honneur : ces croquants comtois, ces canailles, affublées de peaux de bêtes qui ne laissent aucun répit aux troupes françaises, sont branchés sans merci. Ils exigent, avant de sauter, de boire à la santé du roi d’Espagne et sautent d’eux-mêmes sans attendre que le bourreau les pousse.
La Franche-Comté devient française. Un arc de triomphe est élevé à Paris pour que les générations futures n’oublient pas ces deux victoires.

Dom Juan n’a rien perdu. Il revient à son abbaye de Baume où il reçoit des hôtes de marque, Il se crée un haras puis, nostalgique de l’Orient, il installe un harem dans son château de Saint Lothain sous le couvert d’une maison d’éducation. Mademoiselle Augustine en est la sultane. Il perfectionne l’éducation de ces vauriens de Baume armé d’un formidable gourdin ferré qu’il appelle son grand corrégidor. Impérieux et dur, il exige strictement les droits seigneuriaux même les plus désuets.

Puis avec l’âge, la mort lui fait peur. Il devient pieu, se rapproche de ses chartreux et demande à Dieu trois choses : oubli pour le passé, patience pour le présent, miséricorde pour l’avenir.
il meurt le 4 janvier 1702 à 84 ans. après bien d’autres aventures. Son corps gît dans l’église impériale et royale de Baume, inhumé dans son mausolée.


rochers de Baume les Messieurs

Puisqu’on vient d’aménager le belvédère des rochers de Baume, (Progrès du 3 juillet 2009), pourquoi ne pas rappeler ce paragraphe :

Dom juan était un grand chasseur. Presque chaque jour il va à l’affût dans la forêt au dessus des rochers de Baume, mais comme il n’y a pas de chemin au fond du vallon et que le long circuit pour détourner la montagne lui répugne, il prend le parti de faire tailler en ligne droite un escalier de plus de 400 pieds de hauteur débouchant à Crançot.

Cet escalier, peu de gens veulent l’utiliser, même pas les ouvriers qui l’ont taillé, préservés par des ponts volants solidement établis.
Froissé de voir que l’on fait si peu de cas de son œuvre, il veut donner un exemple de courage. Il a, dit-il, suivi des chemins autrement plus dangereux au cours de son aventureuse existence. Les moines de l’abbaye, Melle Augustine, alias Sultane Validé, veulent l’en dissuader; Monseigneur est bien trop âgé, le pied peut lui manquer, disent les habitants. Vous avez raison répond-t-il mais le pied n’a jamais manqué à ma jument Roxelane.
Sitôt dit, sitôt fait, il enfourche la bête et se hasarde dans le casse-cou suivi du regard par les uns et avec une espérance maligne par les autres. Ces derniers devaient être déçus, au bout d’un quart d‘heure, on vit apparaître le maître en haut des falaises toujours sur Roxelane, agitant son chapeau en triomphateur.


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