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Lettres des Planches pendant l'occupation prussienne

 


En 1871, Adelina MONNIER, épouse du Docteur H. MONNIER, médecin militaire, est à Montliboz avec ses enfants et son beau-père, "un vieillard de 94 ans".

Elle écrit à son frère Théomède, des lettres qu'un descendant a remis à la mairie des Planches. Il s'agit d'un témoin direct de ces évènements. Voici ces lettres :


Les Planches, le 2 mars 1870

Mon cher Théomède, Je reçois à l'instant ta lettre datée du 22 courant. Je te réponds à la hâte quelques lignes attendu que le courrier est sur le point de partir. En effet, depuis le 28 janvier notre pauvre pays a été envahi pendant 9 grands jours par les Prussiens. Le 28 janvier, nous avions beaucoup de militaires français. Puis les Prussiens étant à quelques kilomètres des Planches les ont poursuivis ce qui nous a valu leur leur visite. Il y a eu quelques coups de fusils échangés aux Planches mais nous en sommes éloignés aussi n'avons nous rien attrapé. Plusieurs personnes ont quitté leur maison par frayeur. Moi je suis restée avec mes enfants près de mon beau-père, et il ne nous est rien arrivé de facheux. Je t'avoue que lorsque j'ai vu entrer quelques prussiens à la maison j'ai eu un peu peur. Mais cela n'a pas duré. Nous avons eu pendant la nuit et 2 jours un colonel et un officier major puis 4 ordonnances, dans les autres maisons ils arrivaient par 30 et 40. Ils étaient au nombre de 10000 tant aux Planches qu'à Mont-Liboz. Les premiers sont arrivés le 28 et sont partis le 30, alors d'autres sont revenus. Bref nous en avons eu comme je te l'ai dit plus haut pendant 9 jours, grâce à Dieu, la maison a toujours été occupée par des officiers et leurs ordonnances. Ils étaient tous très polis, aimaient les enfants et jouaient avec eux. Je t'assure qu'ayant un peu l'habitude de vivre au milieu des officiers cela m'a fait peur. Mais j'avais tellement lu de journaux qui marquaient tant d'atrocités que si nous n'avions pas été si tristement surpris je me serais sauvée avec mes enfants en Suisse. Je l'ai dit à un officier qui m'a répondu " Pas vous sauver, pas de mal à vous, nous ne sommes pas méchants ". Ils se sont nourris à nos frais seulement, ils tuaient beaucoup de bestiaux alors ils fournissaient leur viande et d'autres apportaient du café, du chocolat. Enfin ils mangeaient toute la journée.

Mon beau-père a bien supporté cette épreuve. Ils n'ont pas réquisitionné, seulement quand ils sont partis dans un autre pays, ils ont fait savoir qu'ils reviendraient pour une réquisition d'argent. Nous ne les avons pas revus. J'ai entré dans beaucoup de détails c'est à fin que tu vois qu'il ne faut pas trop s'effrayer d'eux. Les Planches ont été moins bien partagée que le hameau que j'habite, d'abord étant le chef-lieu de Canton, il y a plus de Prussien puis après leur départ l'épidémie de la petite vérole est arrivée qui a fait déjà plusieurs victimes. Dieu merci, la Sainte Vierge nous protège, nous nous portons très bien et n'avons pas été malades.

Tu me demandais des nouvelles du Docteur. Je reçois ses lettres entremêlées. J'en ai reçu une du 5 février puis une autre du 27 janvier et enfin la dernière du 16 février. Il a été un peu fatigué et enrhumé mais dans sa dernière lettre il me dit qu'il va mieux, qu'il est inquiet de nous ne recevant pas de nouvelles. Je lui ai écrit 2 fois depuis notre invasion mais je ne lui ai pas parlé de la maladie qui sévie aux Planches pour ne pas l'inquiéter. Il a 400 malades à soigner, il est médecin en chef de l'ambulance du Petit Séminaire aidé par 2 médecins civils et un aide-major. Il est toujours à Poitiers. Il paraît que la petite vérole est aussi à Poitiers. Je prie Dieu qu'il le protège et qu'il nous revienne bientôt. Dans sa lettre du 16, il m'a dit qu'il devait t'écrire. Il n'y a rien de nouveau depuis le départ de ces messieurs les Prussiens, nous attendons la paix avec impatience.

Mon cher Théomède, si j'ai décidé être à Montaigu, c'était bien dans les quelques jours d'épreuve. Maintenant j'espère que nous en sommes quittes.

Dis bien à Eugénie que j'ai bien pensé à elle. Que si nous n'avons rien éprouvé de fâcheux je le dois à ses bonnes et ferventes prières ainsi qu'à celles de vos charmants enfants. J'apprends avec peine que ton petit garçon est malade, espérons que ce ne sera rien.

Je t'ai écris plusieurs lettres avant notre invasion ; probablement qu'elles ne te sont pas parvenues. En attendant de bonnes nouvelles mes enfants et moi nous t'embrassons de tout cœur ainsi qu'Eugénie et tes petits enfants.

Ta sœur qui a été bien tourmenté et bien triste pendant quelques jours.

(signé) Nina Monnier

PS : Excuse mon griffonnage mais je t'ai donné tous ces détails comme si je les disais de vie voix. Espérons que bientôt je te compterai mieux mes grandes impressions.


Les Planches, le 9 avril 1871

Mon cher Théomède,

Je ne sais à quoi attribuer ton long silence. Je t'ai écris le 1er mars et je n'ai reçu aucune nouvelle. As-tu reçu ma lettre ? Je suis inquiète, veuille me donner une petite réponse tu me feras bien plaisir. Je suis si triste et si ennuyée depuis bien longtemps qu'aussitôt je reçois des lettres, je ne suis plus la même. Etant seule avec les enfants et un vieillard de 94 ans entourée de personnes de la campagne, tu vois que mes jours ne sont pas toujours heureux. Il y a par surcroît de tristesse. Une lettre que j'ai reçu du Docteur qui m'a dit que depuis quelque temps il a quitté les ambulances et qu'il remplace momentanément le médecin du 66ème régiment de marche alors il a quitté Poitiers pour se rendre à Tours à son nouveau poste. Te dire ce que j'ai été tourmentée est indescriptible, surtout maintenant que les événements sont de plus en plus tristes.

Il y a trois jours, je reçois une lettre du Docteur datée de Limoges dans laquelle il me dit que son régiment a été appelé en toute hâte pour aller rétablir l'ordre. Il se porte très bien et me dit qu'il pense bientôt rentrer à Tours sans cependant l'affirmer puisque, ajoute-t-il, du jour au lendemain ils reçoivent des ordres.

Quand tout cela finira t'il ? Une guerre affreuse avec les prussiens et au moment d'être un peu tranquilles une guerre civile plus triste et plus cruelle. Mon cher Théomède j'attends de vos nouvelles impatiemment. Je te prie de dire à Eugénie combien je pense de fois par jour à Montaigu que j'espère que bientôt Dieu exaucera mes vœux et qu'un jour je pourrai de vive voix lui exprimer tout ce que je pense. Dans tous nos ennuis, la Sainte Vierge, grâce à vos bonnes prières me protège ainsi que mon mari et mes chers enfants. La petite vérole sévit aux Planches (à un quart d'heure d'où je suis) avec assez d'intensité. A notre petit village de Mont-Liboz il n'y a pas encore eu de malade.

Nous sommes entourés de messieurs les prussiens. Ils viennent se promener de temps en temps aux Planches depuis près de 3 mois, ils sont à Champagnole environ 18 kilomètres des Planches.

Il n'y a rien de nouveau dans notre petite famille qui grâce à Dieu se porte à merveille.

Embrasse bien pour moi Eugénie et tes charmants enfants que je voudrais si bien connaître. Mes petits enfants me parlent souvent de leurs aimables petits cousins et cousines avec lesquels ils aimeraient tant à jouer. Ils me prient d'être leur interprète près de toi et de leur tante pour vous embrasser tous de cœur et d'affection espérant eux aussi de pouvoir bientôt le faire.

Je te renouvelle, mon cher Théomède, de m'écrire quelques lignes le plus tôt possible. Je ne puis croire que ma lettre du 1er mars , réponse à celle que tu m'avais adressée le 22 février et à laquelle j'ai répondu à la réception, ne te soit pas parvenue. Ainsi donc, en attendant un long épître, je suis ta sœur bien affectionnée.

(signé) Nina Monnier


Tours, le 30 mars 1871

Mon cher Beau-Frère,

J'ai reçu plusieurs lettres de Nina, toutes sont très rassurantes, et personne n'a été atteint de la variole qui a sévi aux Planches avec une grande intensité et qui a fait de nombreuses victimes eu égard à la population.

Les prussiens sont allés dans mon pays, aux Planches, où un combat de 20 à 25 minutes a eu lieu entre eux et les dragons français - résultat : victoire pour l'ennemi, deux tués de part et d'autre et quelques blessés; pendant 9 jours la maison de mon père a eu à loger un certain nombre d'officiers prussiens avec leurs ordonnances. Ils se sont bien conduits.

Je suis pour le moment, et à mon grand regret, détaché à Tours au 66ème régiment de marche, j'avais demandé un congé de convalescence de trois mois, cette demande a été arrêtée ici à cause de ce changement et des événements de Paris. J'espère pourtant qu'on y fera droit dans quelques temps. Je n'abandonne pas cette affaire et je vais m'en occuper prochainement. Je crois que le 66ème ne bougera pas de Tours. Je vais mieux et j'ai repris mon ancien logement, rue Verte 21.

En attendant le plaisir de recevoir bientôt de vos nouvelles, je vous embrasse de tout cœur ainsi que Madame Gaillard et vos charmants enfants. Dites moi si votre petit Léon va mieux. Tout à vous.

(signé) H. Monnier


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