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Le 30 août 1944 à Foncine le Haut

Col de la Furka, 3 juin 2003


Voir également : Gregori Stiwitcheff, le soldat russe de Foncine le Haut

Le père Monneret, curé de Foncine le haut à cette période, fit sur le vif le récit des événements du 30 août 1944. C'est un témoignage intéressant, car peu de gens se souviennent sans doute aussi précisément de ce qui s'est passé ce jour là.

Merci à Henri Vivant de m'avoir communiqué ce document précieux.



Il me semble utile de relater ici les tristes événements qui viennent de se dérouler et de jeter toute la population dans l’angoisse, bien que ces événements ne soient pas d’ordre religieux.

Le mercredi 30 août dès le matin, circulait le bruit que le groupe de soldats du maquis campé à Entrecôtes, devait l’après-midi attaquer des soldats allemands qui, croyait-on, devaient venir de Mouthe en camions (ce qu’on appelait vulgairement "le maquis" était primitivement en 1942, des jeunes gens qui, requis pour aller travailler en Allemagne, n’avaient pas obéi à l’ordre et se cachaient dans des bois, d’où le nom de maquis, puis ces mêmes jeunes gens à qui se joignirent d’autres partisans de la résistance à l’Allemagne, formèrent une sorte d’armée se donnant pour but de désorganiser la résistance allemande, surtout depuis 1944 et davantage encore depuis les débarquements des anglo-américains (juin 1944).

Donc, un barrage d’arbres ayant été placé à la limite des deux départements pour empêcher les soldats allemands de passer, et le maquis ayant appris (ou cru apprendre) que ceux-ci devaient venir en camions, il décida de se battre pour empêcher le passage des camions. En effet, dès le début de l’après-midi, on voyait défiler les maquisards à pieds, en moto, ou en camions dans la direction du barrage à défendre.

Dès 3 heures on commençait à entendre des coups de feu. D’abord isolés, ils devenaient de plus en plus fréquents, et bientôt on avait l’impression qu’une véritable bataille était engagée d’autant plus qu’au bruit des fusils mitraillettes et mitrailleuses, se joignait le son du canon et mortier allemand. Les soldats allemands et les soldats russes combattant à leurs côtés, n’étaient pas venus en camions, mais à pied, et nombreux bien armés. Ils eurent le dessus et les maquisards se replièrent semant partout la panique dans la population. Panique d’autant plus grande que les balles sifflaient de tous côtés, blessant plusieurs personnes qui allaient se réfugier dans le Bayard, et que vers 5 heures, on voyait des incendies s’allumer sur le territoire de Chatelblanc, puis sur celui de Foncine le Haut.

Les soldats allemands se conduisirent en effet en vandales, pillant, incendiant les maisons et tuant des personnes inoffensives et sans défense, ou les emmenant avec eux.

Vers 5 heures au Rocheret, Madame veuve Philomène Bourgeois et Mademoiselle Marie Fumey demeurant tout au haut du Rocheret, arrivaient toutes essoufflées et éperdues se réfugier à la cure, poursuivies par les balles des mitrailleuses allemandes. Les soldats du maquis leur avaient dit "sauvez-vous vite". Les pauvres femmes étaient persuadées que leur maison serait brûlée car déjà les maisons de Madame Veuve Poux (vers chez Doudier) et celle de Monsieur Louis Monnier (Gros Voisiney) flambaient. A la cure nous cherchions à les rassurer de notre mieux tout en craignant nous-mêmes l’incendie de leur maison, puisqu’un maquisard grièvement blessé y avait été apporté.

En effet, bientôt les incendies s’allumaient au Rocheret et le feu détruisait d’abord une petite maison inhabitée non loin de la Doye et appartenant à Madame veuve Ardiet, puis la maison de Madame veuve Léon Poux dont les deux autres maisons flambaient déjà (vers chez Doudier), puis celle des Fumey-Cadet et enfin celle qu’habitait Madame Veuve Philomène Bourgeois. Les fusillades continuèrent à faire rage, les balles crépitaient de partout et le canon tonnait toujours. Un obus vint frapper en plein, le mur nord-est de l’école libre, ne causant que quelques dégâts insignifiant au crépissage.

Vers 7 heures1/2 le bruit de la bataille ayant cessé, nous pouvons enfin sortir et prendre des informations. Nous apprenons alors que deux personnes ont été blessées en se sauvant, et non loin de la cure. Monsieur Henri Poux, 63 ans (le gros Poux, comme chacun l’appelle) et sa femme Anna Jeunet, 64 ans (information JP. Poux du 16.3.2006). Portés chez Monsieur Gely, ils furent soignés en attendant d’être conduits le jeudi à l’hôpital de Champagnole.

Dans la nuit une véritable tempête se déchaînait. N’allait-elle pas provoquer de nouveaux incendies ? Cette prévision se réalisait et la maison de Monsieur Louis Doudier (Gros Voisiney) ainsi que celle attenant de Madame veuve Daclin, prenaient feu dans la nuit. Mais ce n’est que le lendemain matin que nous allions apprendre toute l’étendue du malheur qui frappait la malheureuse population. Aussitôt ma messe terminée, on vint me chercher pour aller administrer Madame veuve Léon Jacquet du Rocheret, grièvement blessée. On l’avait transportée chez son fils François.

Là j’apprends que les soldats allemands ont pillé les maisons. Chez Monsieur François Jacquet ils ont emporté tout l’argent. Bien plus, ils ont, sans raison emmené François et son neveu Jacques Gaugier, jeune homme de 17 ans.

Qu’en ont-ils fait ? Ne les ont-ils pas fusillés après, quelque part dans la campagne ? J’apprends aussi que mercredi après-midi, ils ont également tué Monsieur Louis Doudier (45 ans) au Gros Voisiney (ainsi que 2 hommes et un domestique de 17 ans). Monsieur Besançon de Chaux-Choulet aussi.

Ce n’est pas tout hélas, pour Foncine le Haut : Monsieur Louis Monnier, dont la ferme était incendiée, était disparu sans qu’on puisse savoir ce qu’il était devenu. A-t’il lui aussi été abattu par les allemands ? Est-il quelque part dans les bois ? Est-il resté dans les décombres de sa maison ? Cependant il a eu largement le temps de se sauver. Quoiqu’il en soit, vendredi 1er septembre au moment où j’écris ces lignes (6heures ½ du soi) on en est encore sans nouvelles.

Lundi 4 septembre un médecin militaire (3em tirailleur tunisien) a reconnu dans les décombres de la maison de Madame Monnier, au Gros Voisiney, des ossements humains : ceux de Louis Monnier.

A-t’il été tué d’abord par les allemands, jeté ensuite dans la maison en feu ? On ne le saura jamais. Ce même lundi, Jacques Gaugier se trouvait avec son oncle François dans un camion de soldats allemands fuyant devant le 3em tirailleur tunisien. Près des Hôpitaux la troupe française mitraille le camion (qui était bâché, ce qui empêchait de voir qui il transportait), et malheureusement, le pauvre Jacques fut touché et mourut après avoir eu cependant le temps de faire une prière. Dieu ait son âme. C’était d’ailleurs un des meilleurs jeunes gens de la paroisse.

Quant à son oncle François, qui lui avait servi de père, il était blessé au genou et conduit par les soldats français à l’hôpital de ? ? ? en Suisse. Sa vie n’était pas en danger, mais il sera long à se rétablir. Quant à sa mère, la veuve Marthe Jacquet dont il a été parlé plus haut, elle avait été amenée à l’hôpital de Champagnole, puis son état empirant, elle est revenue chez elle, ou plutôt sa maison ayant été complètement pillée, chez son autre fils Valentin "vers les chalets". Elle devait mourir des suites de ses blessures le 16 septembre.


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