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Le 30 août 1944 à Foncine le Haut
par Georges Rousseau

Cet évenement a été plusieurs fois relaté. Le récit émouvant qu’en a fait l’abbé Monneret, alors curé de Foncine le Haut, et qu’a repris le père Doudier dans son histoire de 1815-1980 est sans doute le plus connu. Mais l’origine de cet épisode tragique l’ est beaucoup moins.

Georges ROUSSEAU (alors colonel Richard) a rédigé un compte-rendu qui relate les faits quart d’heure par quart d’heure, citant les lieux et les noms, les ordres et les mouvements.

En Avril 1944, il est chargé de faire une reconnaissance dans le secteur Champagnole - Les Planches en Montagne. Il entre assez vite en liaison avec des résistants déjà en place. Assez vite il crée un groupement qui va s’installer dans des fermes de la région : Bouquillon, Entrecôtes, La Chancelle ...

Sans reprendre la totalité de son rapport concernant le Maquis du secteur "Les Planches Champagnole", en voici quelques extraits concernant les Foncines :


Foncine le Haut

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"On me signale l’arrivée de deux officiers de la 1ère armée qui recherchent renseignements et contacts à Foncine le bas. J’y cours. Nous déjeunons ensemble à l’hôtel de la Truite. J’évoque l’ennemi, l’ambiance, et les encourage vivement à pousser jusqu’à nous leurs avant-gardes. Hélas ils déplorent leur pénurie d’essence motivée par l’éloignement de leur base et me confient qu’ils sont en avance de 40 jours sur le planning prévu par les américains.

Une nuit nous partons attendre sur la montagne de Salins, un parachutage destiné au groupement. Attente. Le radio guide les avions. Nous les entendons. Malheureusement les FTP installés sur le Mont Poupet allument un grand feu et les avions leur livrent les colis. Nuit sombre.

Le 22 août Londres diffuse le message convenu ... Nous nous rendons sur le terrain, au lieu-dit "Sur Fresse" entre Cornu et Trépette à la Chaux des Crotenay. Deux avions, huit containers.

Le 27 août : nous recevons la mission suivante : interdire la circulation de l’ennemi sur ses itinéraires de repli;

Le 29 août : la "sixaine Langlais" s’installe sur les escarpements dominant la route entre Rapoutier-dessus et la cote 892 au nord de le Maréchet. Les rochers sont minés au plastic avec mise à feu à distance;
Sur la route Foncine le bas - Les Planches; le groupe "Gustave" s’est établi aux abords du Déloret;
Sur la route de Foncine le bas - Les Monnets, le groupe "Zorro" a pris position aux abords de la cote 844;
Au Nord-Est la route a été, entre la Trappe et le Moulin Jannet, barrée par des abattis sur 70 mètres. L’ancienne route Chatelblanc - Foncine a été barrée par abattis. Sept sixaines ont pris positions sur les escarpements de l’ancienne voie ferrée.

Je suis renseigné par téléphone et par agent observateurs.

Je considère l’attaque comme probable. Les précautions en vue de protéger les villages sont connues des allemands, le souci de sécurité l’ayant, dans ma pensée emporté sur le souci de préservation du secret de l’opération. J’alerte le chef du groupement, je téléphone ...

A 13h30, une moto et 6 camions s’engagent sur la route de Chapelle des bois et 6 camions se dirigent sur Chatelblanc, ils sont pour nous !
Vers 14h, tandis que les camions ennemis arrivent en vue du barrage, des éléments à pied se dirigent vers La Combe et La Trappe, tentent de prendre le barrage à revers, deux "sixaines" chargées de la défense du barrage échange une fusillade nourrie avec l’ennemi et décrochent vers 14h30, partie vers la voie ferrée, partie vers les sources de la Saine.

La mitrailleuse tire quelques rafales puis se tait. La mine du "gros rocher" a sauté mais n’a pu qu’incité l’ennemi à la prudence. Le carrier, André Muller dit "Quetquet", détale et se cache dans le ruisseau où il reste jusqu’au soir.

Des allemands s’évertuent à démanteler le barrage; d’autres les couvrent. La sixaine russe installée aux abords du Rocheret recueille celle de Jardon. Vers 16 heures une section allemande progresse en vue de couper la voie ferrée. La sixaine "Géo" en position sur cette voie se replie avec les ukrainiens, emmenant mitrailleuses et armes individuelles.

Les feux conjugués des ukrainiens et d’ éléments en position aux Dondays et au Gros Voisinet contiennent les allemands qui s’infiltrent et se camouflent dans les buissons. Le lieutenant russe, Grégori Stiwitcheff et le jeune Adenot se distinguent. Malheureusement vers 17 heures, Grégory est mortellement atteint et le groupe russe se replie en direction des Berthets. Vers 17h30 l’ennemi atteint le Rocheret, met le feu à une ferme et jette dans le brasier le corps du lieutenant ukrainien tandis que 3 petits groupes ennemis partent à la découverte du côté des sources de la Saine.

Sur le versement sud, de 14heures à 17h30, tandis qu’un détachement ennemi, tiraillé par tous nos éléments dispersés sur les pentes des Dondays et du Gros Voisiney, s’évertue à ouvrir la route, un autre détachement tente de protéger les travailleurs en débordant les Dondays sur la droite. Vers 15h30 la sixaine "Babiche" essuie un tir très violent auquel elle riposte en se repliant. Vers 17 heures les sixaines "Zorro", "Zan", "Serge", tirent sur le Rocheret et subissent des tirs de mitrailleuses légères. Elles accuseront, faussement les allemands d’avoir employé des balles explosives; il s’agissait simplement du claquement des balles.

Vers 17h30, je vois de mon P.C. une vingtaine de volontaires qui se replient sur le flanc nord en direction de la cote 938. Très inquiet je prends ma voiture et les attends sur le chemin de Foncine aux Chalesmes, à la sortie des virages au nord de chez Reudet. Il s’agit du groupe "Gustave" accompagné de son jeune médecin auxiliaire et de la sixaine de Sapois. Il faut soutenir les éléments qui tiennent encore sous le Bayard et débordant les Dondays sur la droite. Nos éléments des Dondays se retirent.

Vers 15h30, sur les pentes du Gros Voisiney, couvrir les villages, interdire la route. Je reprends en main les maquisards et nous nous dirigeons, par le haut des escarpements rocheux vers la cote 938. Nous dominons les lieux-dits "Sous le Bayard" et les "Berthets" et apercevons à 600 mètres environ le Rocheret qui flambe et les allemands qui s’agitent autour. Nous progressons encore d’une centaine de mètres; je me saisis du F.M. et prenant position dans les rochers, nous ouvrons le feu sur l’ennemi. Je suis en mesure de battre la route de Foncine le Haut où je ne décèle aucun mouvement.

Depuis le Bayard

En bas, des échanges sporadiques de coups de feu et de rafales d’armes automatiques me prouvent que le dispositif tient encore. Vers 19 heures les sixaines "Zorro", "Surcouf", "Babich", "Serge", subissent une nouvelle attaque. Elles ripostent et décrochent. Je les vois se retirer lentement tandis que je préserve leur repli par de courtes rafales. Vers 20 heures, la sixaine "Jardon" et les ukrainiens se replient sous moi, au pied des escarpements.
Les allemands ne suivent pas ... Ils ont eu d’autres ennuis. Vers 18 heures, de sourdes explosions de grenades nous sons parvenues de la route de Chapelle des Bois et leur autre convoi a été accroché.

vers 21 heures, après avoir salué de trois obus de petit calibre les maisons nord de Foncine le Haut les allemands se retirent sur Mouthe. Ils ont réquisitionné à Chaux Neuve des charrettes pour évacuer leurs morts et leurs blessés. Ils ne tenteront rien d’autres contre le bourg de Foncine mais avant et pendant leur repli ils exerceront leur vengeance sur les chalets d’été, les maisons isolées et leurs malheureux habitants. Les incendies, les pillages, les assassinats se continueront tard dans la nuit."



Le colonel Richard emmène ses hommes par le chemin d’Entre-côtes Bulay, Chalesmes, pour se reposer à la Chancelle et réorganise ses troupes, puis le 4 septembre il participe au combat de Mouthe.

Deux petites précisions :

Le soir du 30 août ,Vauthier avait conduit une de ses compagnies à Foncine le bas pour le cas !!! Mon père était de cette sortie. En 1986, il l’avait dit à Mr. Rousseau qui lui avait répondu "je n’ai pas su cela. Si je l’avais su, je l’aurais estimé inopportun, car une action éventuelle dans un village risquait de le faire incendier et piller".

Le livre "Champagnole 1940-1944" cite souvent Georges Rousseau et donne la liste de ses hommes. Il précise aussi que son équipe appartenait au Sous groupement Ain-Seine.

D’autre part le Lieutenant Colonel Lagarde lui avait donné un adjoint, Georges Lesèvre dit "capitaine Séverane", un jeune résistant de la première heure, devenu officier instructeur du Service Péricles et chef de "l’école nationale des maquis" installée aux Moussières.

Georges Rousseau termine son compte-rendu par une page sur Grégory Stiwitcheff , 25 ans, architecte, fait prisonnier en 1942. Comme beaucoup, pour survivre, il se laisse enrôler dans l’armée allemande, guerroie en 1943-44 en Roumanie. En juillet 1944 son unité est envoyée en France, à Pontarlier pour participer à la lutte contre-maquis, il entraîne sa section, déserte et se réfugie à la ferme d’Entrecôte où vers le 20 août, agissant sur renseignement donné par les habitants de La Perrena, le capitaine Richard les contacte et les amène au maquis de la Chancelle.
Le lieutenant Lagarde les annexera et en fera l’unité de choc de maquis.

Le Progrès, en 2002, à l’occasion de l’anniversaire de la libération de Champagnole; livre une interwiew de Georges Buguet (Géo). Celui-ci était le seul parmi les résistants de la Chancelle à parler l’allemand, langue que maniait aisément Grégory, chef des ukrainiens. Ils se lièrent donc.

Voici quelques lignes tirées de ce journal :

"Au camp de la Chancelle, la quantité d’armes et de munitions dont nous disposions était médiocre. Aussi, quand après des heures de tractation, nous vîmes arriver une soixantaine de soldats portant l’uniforme "vert de gris", ployant sous le poids des armes et des munitions empruntés à la garnison allemande, nous avons été agréablement surpris. L’armement flambant neuf contrastait avec nos vieux lebel et nos deux mitrailleuses Hotchkiss.

Ils étaient dans l’ensemble de grands solides et d’un abord sympathique. Ils se sont vite adaptés à la vie du camp. Ils nous chantaient des choeurs russes à deux voix. Leur lieutenant Grégory Stiwitcheff, chef des ukrainiens, lui aussi taillé en athlète, parlait allemand. Il me fit part de la triste opinion qu’il avait de notre armement. Des brassards FFI leur furent attribués, qu’ils apposèrent sur leurs uniformes allemands.

Gare de Foncine le Haut

Le 30 août, j’était posté avec mes hommes et un groupe d’ukrainiens fortement armés sur l’ancienne ligne du tramway Foncine le bas - Mouthe, à la Renardière. Peu avant le combat, Grégory nous recommanda de ne pas faire de prisonniers. Notre première mitrailleuse s’enraya dans la première rafale. La seconde fut touchée par tir de mortier allemand. Nous nous sommes retirés sur le Rocheret où malheureusement Grégory fut atteint d’une rafale mortelle.
Voyant cela les ukrainiens firent un feu d’enfer. Je suis persuadé que sans leur tir intense, l’équipe "Géo" et les FFI voisins avaient toute chance de terminer leur carrière de maquisards sur l’ancienne ligne du tram.

Peu de temps après les ukrainiens qui étaient restés en réserve aux Entrecôtes du haut sont arrivés à la rescousse dans un vieux car des Monts-Jura. Nous avons combattu jusqu’à la nuit, alors que les allemands commençaient à brûler les maisons et à abattre les civils. Dans la nuit nous avons gagné à pied le camp de la Chancelle où toutes les baraques avaient été démontées à la suite d’un ordre de panique que nous n’avons guère apprécié".


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