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Le sapin dans les armoiries comtoises

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I. Des origines à la Révolution française
....................................... -> Le sapin, grand absent de l'héraldique médiévale comtoise
........................................-> Le sapin arrive en ville
........................................-> Le sapin devient emblême familial
II. L'influence de Nozeroy et Saint-Claude
III. Des années 50 à nos jours

menuChapitre I : Des origines à la Révolution française

Ces deux premières parties de l'étude de Nicolas Vernot, sont parues dans les numéros 64 et 68 de la RACONTOTTE (25210 MONT de LAVAL).


Cet article est le premier volet d'une étude consacrée à l'usage des résineux dans les armoiries comtoises. Combien de fois m'a t-on demandé, en présence de telles ou telles armoiries, ce que signifiaient les éléments qui les composaient ? On imagine trop souvent qu'à chaque figure héraldique correspond une signification précise, donnée et immuable. C'est oublier que les armoiries sont filles de leur temps. Les sociétés évoluent, et avec elles le regard qu'elles portent sur les symboles qui les entourent. La perception que l'on peut avoir d'un symbole varie également en fonction de son contexte : la couleur rouge, selon qu'elle apparaît à un feu de circulation, sur un drapeau révolutionnaire ou sur une camionnette des pompiers n'a pas la même signification.
Rappelons d'abord qu'un emblème est un signe servant à identifier une personne physique ou morale. Il ne doit pas être confondu avec un symbole, qui lui est un signe qui exprime une idée, un concept, une notion ; il renvoie donc à l'abstraction. Ainsi, le coq est l'emblème de la France et le symbole du courage. Les raisons qui font que l'on se choisit un emblème peuvent donc être symboliques, mais pas uniquement : si la France a pour emblème le coq, ce n'est pas d'abord parce qu'il symbolise le courage, mais avant tout parce qu'en latin, le mot gallus désigne à la fois le coq et le Gaulois. Cela dit, si le coq avait été chargé d'une symbolique trop négative, il y a fort à penser que les Français n'en auraient jamais fait leur emblème national.
La présente étude s'efforcera donc de cerner les motivations, qu'elles soient symboliques, sociologiques, historiques, géographiques, phonétiques, etc., qui permettent d'expliquer que des communautés ou des particuliers aient choisi le sapin comme emblème héraldique.
Pour les anciens Comtois, sapin est un terme générique qui englobe à la fois le sapin pectiné, appelé également sapin blanc ou sapel, et l'épicéa, que nos aïeux désignaient sous les termes de sapin rouge, de pesse ou de fiotte . En héraldique, le terme sapin est également générique, et renvoit indifféremment au sapin ou à l'épicéa. Sur les armoiries, il n'a pas toujours la silhouette de sapin de Noël qu'on lui donne aujourd'hui, ce qui le rend parfois malaisé à identifier.


menuI Le sapin grand absent de l'héraldique médiévale comtoise

La plus ancienne attestation certaine d'un sapin dans des armoiries comtoises remonte à 1530 : avant elle, aucune trace. Comment expliquer cette absence ?

1) Pas de résine pour les nobles

D'une manière générale, les arbres sont très rares dans l'héraldique médiévale comtoise : pendant la période qui s'étend du XIIe au XIVe siècle, sur environ 300 armoiries comtoises connues, deux seulement sont ornées d'arbres et dans les deux cas, il s'agit de feuillus. Comment expliquer cette grande rareté des arbres ?
Tout d'abord, le répertoire des figures héraldiques employées à cette époque est relativement limité : lignes et figures géométriques (bandes, croix…), quelques animaux (lion, aigle et poissons presque exclusivement) et fleurs stylisées (rose…). Ce n'est qu'au fil des siècles que le nombre des figures va se multiplier. Ces choix originels sont imposés par le contexte militaire d'apparition et de développement des armoiries : les emblèmes choisis doivent être aisés à styliser afin d'être immédiatement reconnaissables sur les champs de bataille. Les premiers chevaliers ont donc massivement utilisé des constructions géométriques simples associées à des motifs comme le lion ou la rose déjà fortement stylisés en raison de leur usage antérieur sur d'autres supports (monnaies ou tissus par exemple).
Cela étant, le sapin est une figure relativement aisée à styliser, et tout comme les autres arbres, des raisons sociologiques peuvent expliquer son rejet en tant qu'emblème. La société médiévale se perçoit en effet traditionnellement comme étant divisée en trois groupes aux fonctions distinctes : les oratores (ceux qui prient), les bellatores (ceux qui combattent) et les laboratores (ceux qui travaillent, c'est à dire essentiellement les paysans). Si dans la Franche-Comté médiévale, les armoiries sont d'abord et surtout utilisées par la noblesse (les bellatores), l'arbre, en revanche, par l'exploitation abondante qui en est faite, renvoie avant tout au monde de ceux qui produisent (les laboratores) ; à ce titre, il est intéressant de constater que les végétaux utilisés au Moyen Age dans les armoiries des nobles comtois sont presque systématiquement des fleurs, c'est à dire des végétaux de peu d'utilité.

2) Le sapin, un élément essentiel de la culture paysanne comtoise

Le sapin était autrefois abondamment utilisé par les paysans de nos montagnes, comme en témoignent les observations réalisées par l'érudit Charles Beauquier au XIXe siècle (2). Hérités pour la plupart des siècles précédents, les usages qu'il rapporte permettent de distinguer quatre fonctions essentielles du sapin dans la culture traditionnelle comtoise.


1) Le sapin éclaire, que ce soit l'âtre ou d'autres lieux, puisque certaines de ses branches étaient communément employées en guise de torches.


2) Le sapin protège de l'eau et des intempéries en général : une forêt de sapin est un endroit sûr pour s'abriter en cas d'orage. Les paysans coupaient également la cime de certains sapins afin que les branches basses, continuant à pousser, forment un large parapluie capable d'abriter une vingtaine de vaches pendant la nuit. Ces sapins étaient appelés espagnols, car ils datent presque tous du temps où la Franche-Comté n'était pas encore française. Le sapin était également abondamment utilisé comme bois d'œuvre dans les maisons montagnonnes. On en tirait notamment les tavaillons, qui protègent du froid et surtout de la pluie. Dans l'âtre, le feu du sapin sèche et réchauffe. Enfin, la poix qu'on tire de l'épicéa servait à calfater les bateaux ; à ce titre, elle représente une importante source de revenus dès le Moyen Age : en août 1297, Rodolphe, comte de Neuchâtel sur le Lac et avoyer de Morteau, vend à Jean de Chalon, baron d'Arlay, toute la poix de ces deux seigneuries pour quatre cents livres petits tournois.


3) Le sapin purifie. On lui prête des vertus désinfectantes : pour chasser les mauvaises odeurs d'une fosse, on y jetait une brassée de branches de sapin, tandis que les montagnards étendaient sa résine sur les plaies et les coupures. Il nettoie enfin : les branches du sapin servaient également à confectionner des balais et des brosses. On ne craint d'ailleurs pas de lui confier la nourriture : outre qu'il parfume la viande qu'on expose à sa fumée, il sert à fabriquer boîtes et cuveaux pour conserver les produits laitiers. Enfin, on se servait de la poix dans les lessives : son odeur parfumait agréablement le linge tout en éloignant mites et souris (3).


4) Le sapin perdure : outre sa longévité (un sapin peut vivre plusieurs siècles), le fait qu'il demeure toujours vert alors même qu'il croît dans les endroits les plus escarpés et les plus soumis aux intempéries a toujours impressionné les montagnons. Il évoque pour les anciens la " permanence de la vie végétative et la victoire de la vie sur la mort " (4). Les branches de sapin demeurent vertes même lorsqu'elles sont coupées, ce qui en fait un élément de décoration privilégié lors des fêtes.


Protéger, éclairer, purifier, perdurer, telles sont les quatre principaux aspects positifs du sapin. Ces caractéristiques naturelles et leur utilisation par les hommes expliquent la place privilégiée qu'occupe le sapin dans la mythologie comtoise : il est associé aux fées dans les Vosges saônoises, à la vouivre et à la dame verte dans le Jura. La mythologie comtoise préchrétienne a fait du sapin un arbre éminemment positif. C'est peut-être ce qui explique que le christianisme en ait indirectement fait l'arbre du… Diable ! En effet, une légende comtoise rapporte que c'est Satan lui-même qui aurait créé un arbre qui ne perd pas ses feuilles afin de protéger ses diablotins du froid. Cette légende, postérieure au vieux fonds mythologique cité ci-dessus, a pu apparaître au cours des grands procès de sorcellerie qui enflammèrent la plaine et la montagne comtoise aux XVI et XVII siècles (5). Peut-être faut-il y voir une émanation populaire du courant de la Contre-Réforme, destinée à lutter contre les croyances et pratiques païennes attachées au sapin. Cette légende, qui fait de la persistance du feuillage non plus un symbole positif mais au contraire une marque diabolique, a pu s'appuyer sur l'aspect sombre des forêts ainsi que sur un trait caractéristique observé par les anciens : en mai, au moment de la floraison, le pollen forme souvent un brouillard jaune qui s'étend sur la forêt. On croyait autrefois que c'étaient des nuages de soufre provenant d'une grande réunion de sorciers (6).
Dans les contrées germaniques, on choisira d'intégrer le sapin au christianisme : il ne sera pas l'arbre du Diable mais au contraire celui de l'enfant Jésus. Le premier sapin de Noël aurait en effet été monté dans la cathédrale de Strasbourg en 1539, et ce n'est qu'à partir de 1870 que la tradition de décorer des sapins à Noël se répandra en Europe (7).

Si en Franche-Comté sapin et christianisme font donc pendant longtemps mauvais ménage, les attributions négatives de l'arbre, relativement superficielles et sans doute tardives, n'ont pas été suffisamment puissantes pour détourner les populations campagnardes : dans les communes de Franche-Comté au XIXe siècle, un sapin coupé est dressé devant la maison du maire et de chaque adjoint dès le résultat des élections connu (8). Une telle pratique ne peut s'expliquer que par la persistance de la fonction symbolique positive du sapin, sans doute liée ici encore à la longévité. La branche de sapin est également un mai très apprécié par les jeunes filles des villages du Doubs. Enfin, en raison de sa persistance, le sapin est employé pour décorer les rues lors des grandes fêtes, pour la confection d'arcs de triomphe ou de reposoirs par exemple. Dans les foyers, les jeunes filles réalisent également des guirlandes décoratives en sapin (9). Toutes ces pratiques contribuent sans doute à expliquer la facilité avec laquelle le sapin de Noël s'est imposé dans nos contrées.
Si la symbolique du sapin est donc globalement positive, elle demeure avant tout liée au monde rural et à ses croyances populaires. En raison de ses multiples aspects utilitaires, le sapin ne peut guère être considéré par l'élite chevaleresque comme une essence " noble ". Sa dimension symbolique était sans doute au moins en partie méprisée, incomprise voire inconnue de l'élite tant chevaleresque qu'ecclésiastique. C'est probablement ce qui explique l'absence du sapin dans les armoiries médiévales comtoises.

 


menuII Le sapin arrive en ville

C'est sans doute l'élargissement de l'emploi de l'héraldique hors du cercle des combattants à partir du XVe siècle qui permet l'apparition du sapin dans les armoiries au siècle suivant.

1) Nozeroy ou le sapin contre l'ours

Les premières armoiries comtoises connues arborant un sapin sont celles de la cité de Nozeroy, mentionnées pour la première fois en 1530. Le champ de l'écu est formé des armes de la famille de Chalon, de gueules (rouge) à la bande d'or (jaune). Sur le tout apparaît un sapin de sinople (vert) au pied duquel un ours debout, peint au naturel, paraît hésiter. Voici comment Jules Gauthier, éminent héraldiste comtois du XIXe siècle, interprète cette composition : " je vois volontiers dans cet ours méditatif reculant devant une escalade qui le tente mais l'effraie, l'emblème des suisses bernois, voisins dangereux, à cette époque, pour la sécurité des montagnes, et je crois qu'il faut ajouter pour compléter et expliquer cet emblème, un phylactère planté dans la gueule de l'ours avec ce mot à double sens : N'OSEROIS, expression de ses scrupules " (10). Dans ce cas, le sapin peut être vu comme le symbole de la résistance montagnarde contre laquelle l'ours, emblème héraldique des Bernois, "n'oseroit" s'attaquer.

1 et 2. Dans les armes de la cité de Nozeroy (fig. 1), gravées ici par Jean Oporin vers 1552, le sapin arrête la progression de l'ours, emblème héraldique du canton de Berne (fig. 2).

fig. 1
 
fig.2
armes de la cité de Nozeroy gravées par Jean Oporin en 1552
Armes de Berne
Armes de berne

Pourquoi avoir choisi le sapin, et non une tour, par exemple, pour symboliser la résistance de la ville ? D'abord, l'ours, quoique puissant, ne peut grimper au sapin, qui le domine de sa taille. Le sapin s'impose donc comme l'adversaire " naturel " de l'ours (bernois). En outre, le sapin fait partie du paysage perçu quotidiennement par les habitants de Nozeroy : il désigne ici une communauté qui dans son ensemble a beaucoup plus de considération pour le sapin que n'en aura un membre de la caste chevaleresque. Enfin, on peut également songer à une récupération plus ou moins consciente de la dimension symbolique du sapin, essence qui, dans des conditions difficiles, résiste et demeure toujours vert. Doté d'aiguilles, il se prête parfaitement à cette symbolisation de la résistance.


2) Saint-Claude : un cas épineux

L'essence de l'arbre qui orne les armoiries de Saint-Claude a changé plusieurs fois au cours des siècles (11).
La plus ancienne représentation des armes de la ville de Saint-Claude remonte à 1593. A cette date, elles sont simplement d'argent au pin arraché de sinople. Toutefois, plusieurs modifications apparaissent sur le sceau de la ville utilisé dès 1622 : on y reconnaît très clairement la silhouette d'un épicéa arraché, sous un chef (bande supérieure horizontale) chargé d'un croissant (fig. 3). Le sceau qui lui succède, utilisé en 1732 (fig. 4) (12), montre un arbre difficile à identifier : les antécédents emblématiques de la ville incitent à penser qu'il s'agit d'un résineux, et la silhouette triangulaire de sa frondaison fait d'avantage penser à un sapin qu'à un pin, encore qu'il soit impossible de trancher définitivement. Sur les deux sceaux, le chef est séparé de l'arbre par une sorte de bourrelet qui n'a sans doute pas de signification particulière et dont le but vraisemblable est d'accentuer dans la cire la séparation entre le chef et le reste de l'écu.


3 et 4. Les armes de la ville de Saint-Claude apparaissent sur deux sceaux différents, l'un utilisé en 1622 (à gauche), l'autre en 1732 (à droite) (dessins de J. Gauthier).

fig. 3
fig. 4
armes de la ville de Saint-Claude

Afin de se plier à l'édit de 1696 décrété par Louis XIV, la ville fait enregistrer ses armoiries. L'arrêt du 9 décembre 1701 qui les fixe officiellement les décrit comme étant "d'or, à un arbre arraché de sinople, et un chef d'azur chargé d'un croissant d'argent" (13) . Or en héraldique, un arbre sans spécification d'essence est toujours représenté comme un feuillu. De même, un arbre au dessin vague, mais ressemblant fort à un feuillu, apparaît sur une vue cavalière de la ville de Saint-Claude (fig. 5) que l'on peut dater du XVIIIe siècle.

5. Une représentation des armes de la ville de Saint-Claude au XVIIIe siècle (auteur inconnu).

fig. 5
arme de la ville de Saint-Claude, représentation du XVIIIe siècle

Comment expliquer que le résineux soit devenu un feuillu ? Il semble que le dessin du second sceau connu de la ville (fig. 4) soit à incriminer. Le sceau utilisé en 1622 était de taille modeste : pour que le sapin soit immédiatement reconnaissable malgré sa petite taille, le graveur en a accentué la silhouette caractéristique en dents de scie. En revanche, le second sceau étant plus grand, l'artiste a pu représenter l'arbre de manière plus naturaliste, et moins stylisée. Les détails du feuillage sont donc rendus avec d'avantage de précision, mais la silhouette est moins reconnaissable. On peut donc prendre cet arbre pour un feuillu.


Il est tout à fait probable que ce soit ce second sceau qui ait inspiré à la fois l'enregistrement des armoiries de 1701 et l'ornementation de la vue de Saint-Claude, ce qui expliquerait ainsi que certains aient pris cet arbre pour un feuillu. Plusieurs éléments permettent d'étayer cette hypothèse : premièrement, si ce sceau apparaît pour la première fois en 1732, rien n'interdit de penser qu'il ait été réalisé et employé plus tôt. Deuxiemement, afin de faire enregistrer leurs armoiries, les personnes concernées étaient autorisées à apposer leur sceau sur une feuille de papier en y joignant les compléments d'information nécessaires. Or l'enregistrement des armoiries dans la Terre de Saint-Claude a été globalement bâclé : il est vraisemblable que le fonctionnaire chargé de décrire celles de la ville se soit contenté d'apposer le sceau alors en usage, en l'accompagnant d'indications concernant les émaux, mais en omettant de préciser l'essence de l'arbre. Ce qui était évident pour l'administration de la ville l'était probablement beaucoup moins pour le fonctionnaire chargé d'enregistrer la déclaration, sans doute à Paris : s'il a scrupuleusement respecté les émaux, il n'aura en revanche pas été capable de préciser l'essence de l'arbre représenté sur le sceau. Par contre, et à juste titre, il a considéré le bourrelet non pas comme une figure à part entière, mais simplement comme une accentuation de la ligne de séparation du chef.
L'arbre au vague dessin représenté sur la vue cavalière de la ville au XVIIIe siècle (fig. 5) s'inspire très probablement également de ce même sceau. En effet, sur la gravure, le chef est souligné par un trait épaissi qui est sans doute une mauvaise interprétation du bourrelet observé sur les sceaux. Quoi qu'il en soit, ce n'est pas l'enregistrement officiel de 1701 qui a servi de source au graveur, puisque cet enregistrement ne mentionne pas de trait entre le chef et le fond de l'écu.

fig. 5b
armes de la ville au XVIIIe siècle, d'après un plan conservé aux Archives Départementales du Jura (publié par l'association des Amis du Vieux Saint-Claude dans son ouvrage collectif paru en 1996 : Saint-Claude à travers les Ages, p. 5

Néanmoins, le souvenir du résineux n'est pas totalement oublié, comme le montre cette élégante représentation de style rocaille des armes de la ville (fig. 5b), figurée sur un plan du XVIIIe siècle.


La décision prise par la municipalité de Saint-Claude le 14 mai 1810 augmente encore la confusion : en effet, les autorités municipales décident que " la ville de Saint-Claude reprendra ses anciennes armoiries qui sont d'or au pin de sinople, au chef d'azur surmonté d'un croissant d'or ". Le pin, déjà présent en 1593, n'a donc pas été oublié. Toutefois, on comprend mal pourquoi cet arbre a été préféré au sapin, arbre lui aussi également anciennement attesté et qui finira par s'imposer au XIXe siècle.

Jules Gauthier, qui a publié les deux sceaux de la ville en 1849, puis Rousset dans son Dictionnaire des communes du Jura en 1859, s'accordent à donner un sapin comme emblème de la ville. Cet usage est confirmé par les en-tête de lettres utilisés à la fin du XIXe siècle tant par la mairie que par certains commerçants : pour les autorités comme pour la population, le sapin s'est clairement imposé comme l'emblème de Saint-Claude. C'est d'ailleurs cette essence que retiendra l'artiste héraldiste Robert Louis lorsqu'il redessinera en 1968 les armoiries officielles de la ville (fig. 5c), désormais fixées comme étant d'or au sapin arraché de sinople, au chef d'azur chargé d'un croissant d'argent.
Si la présence du pin en 1593 et en 1810 mérite de plus amples investigations, l'apparition puis la domination du sapin dans les armoiries de la ville n'est guère étonnante, tant cette essence demeure liée à l'environnement et à l'histoire de Saint-Claude. En effet, c'est le défrichement des forêts de sapin san-claudiennes par les moines à partir du Ve siècle qui marque la véritable naissance de l'agglomération. La représentation arrachée du sapin est en harmonie avec cette explication, qui serait d'une évidence limpide si la présence du pin ne venait jeter le trouble…

fig.5c
Armes de la ville telles qu'elles furent dessinées par l'artiste héraldiste Robert LOUIS en 1968

 


menuIII Le sapin devient emblême familial

Les familles comtoises tarderont plus encore à incorporer le sapin dans leurs armoiries. Les plus anciennes armes familiales au sapin semblent être celles de la famille Sappel : d'or au sapin arraché de sinople accompagné de trois étoiles d'azur en chef et d'une tête de Maure de sable en pointe (fig. 6).

Faute de trace ancienne, on ne peut déterminer avec précision la date de création de ces armes. Toutefois, les Sappel, de noblesse douteuse, tenaient fief au Grand-Villars-d'Héria dès le XVe siècle. Noble Etienne de Sappel, seigneur de Pymont et du Grand-Villars-d'Héria en 1627, deviendra en 1636 maïeur de Lons-le-Saunier (14). Selon toute vraisemblance, les armoiries de la famille ont donc été créées entre le XVe et le XVIIe siècle. L'arbre est ici un emblème parlant, c'est-à-dire qui rappelle phonétiquement le nom du possesseur : sappel est en effet le nom donné par les Comtois au sapin blanc. Comme à Saint-Claude, il est arraché. Les trois étoiles n'ont rien à voir avec l'emblématique de Noël, puisque le sapin de Noël ne s'imposera que bien plus tard en Franche-Comté. On peut avancer l'hypothèse que la présence des astres cherche à renforcer l'idée de hauteur du sapin. Il faut toutefois garder à l'esprit que les étoiles sont très à la mode dans les armoiries comtoises et françaises en général dès le XVIe siècle : sous la domination des Habsbourg (1494-1678), près de 20 % des armoiries comtoises comportent l'étoile, seule ou en nombre, et cette proportion avoisinera le tiers sous le règne de Louis XIV (15). Selon toute vraisemblance, c'est donc d'avantage un phénomène de mode qui explique leur présence ici. Quant à la tête de Maure, son origine est inconnue.

fig. 6
Armoiries de la famille Sappel (dans le Jura) dessin N. Vernot

L'ancienneté et l'authenticité de la noblesse de la famille a toujours été contestée : peut-être les Sappel ajoutèrent-ils une tête de Maure a leurs armes pour évoquer l'idée d'une prétendue participation aux croisades, thème qui permettrait d'accréditer l'ancienneté de leur noblesse ? A moins qu'elle ne rappelle un lien avec la ville de Moirans, dont l'emblème héraldique parlant est également la tête de Maure ?

6. Armoiries de la famille Sappel, dans le Jura (dessin de l'auteur).

Les six autres armoiries familiales connues qui arborent un sapin (fig. 7-12) sont toutes apparues entre l'annexion de la région à la France (1678) et la Révolution, dans les actuels départements du Doubs pour quatre d'entre elles, et du Jura pour les deux autres. Toutes appartiennent à des familles non nobles, mais aisées. Le regard que jette cette élite économique sur le sapin n'est donc pas celui de l'aristocratie médiévale. Pour ces bourgeois plus proches de la culture populaire, le monde du travail n'est pas infamant : alors que la noblesse comtoise rejette le sapin sans doute en raison de son caractère utilitaire, c'est probablement pour cette même raison qu'il a trouvé la faveur de plusieurs familles aisées : le sapin est source de revenus, et il n'y a pas de honte à le regarder comme tel.
Du reste, l'emploi que ces particuliers font du sapin est très conventionnel : lorsque elle est connue, la couleur qui revient invariablement est le sinople (vert) : aucun ne se risque à lui attribuer des colorations plus originales.

fig. 7
armoiries de la famille Dubois, de Pontarlier, au XVIIIe siècle. (dessin N. Vernot)

On reste toutefois séduit par la simplicité et le bon goût qui ont présidé à la création de ces armoiries, et qui pourraient servir de modèle à bon nombre de créations d'aujourd'hui, que ce soit pour des particuliers ou des communes. Tel est le cas chez la famille Dubois, de Pontarlier, dont les armes parlantes sont d'argent au sapin de sinople (16) (fig. 7). Le bois évoqué par le patronyme appelait un arbre dans les armoiries, et l'environnement pontissalien a donné l'essence.


7. Armoiries de la famille Dubois, de Pontarlier, au XVIIIe siècle (dessin de l'auteur).

Un calembour est certainement à l'origine des armes de Claude-Honoré Poussot, notaire à Baume en 1787 : son cachet montre un sapin terrassé accosté de deux croissants (fig. 8) (17). Le sapin est en effet un arbre qui " pousse haut ". Sur le même principe, la présence simultanée des deux croissants, véritable curiosité astronomique, est peut-être un rappel facétieux de cette " croissance ". Il est amusant de constater qu'à Baume, d'autres Poussot, sans doute parents du notaire Claude-Honoré mais d'une condition plus élevée puisqu'ils étaient qualifiés de nobles, portaient des armes complètement différentes.

fig. 8
armoiries de Claude Honoré Poussot, notaire à Baume les Dames, en 1787 (dessin N. Vernot)

Jugeant sans doute qu'un calembour, incluant de surcroît un sapin, dont on a vu qu'il était très lié au mode paysan, ne siéyiait pas à leur condition de nobles, ils avaient adopté un écu d'azur au sautoir d'argent cantonné de quatre escargots de même, armes de la vieille famille chevaleresque de Lessan dont un Poussot était parvenu à épouser une fille (18) :

l'adoption de ces armes rappelle cette alliance prestigieuse, symbole de la réussite sociale de certains Poussot.

8. Armoiries de Claude-Honoré Poussot, notaire à Baume-lès-Dames, en 1787 (dessin de l'auteur).

Un cachet de 1722 nous apprend que les armoiries de la famille Brunet, d'Anteuil, près de Clerval, sont coupées, avec en chef un croissant accosté de deux étoiles et en pointe trois sapins posés en fasce (fig. 9) (19). Il est tentant d'expliquer le choix de ces figures par un rapprochement avec l'adjectif brun, dont le sens ancien est " sombre ". Ce sens est attesté notamment à Côtebrune, nom d'un village du canton de Baume qui signifie " versant sombre ", c'est-à-dire non exposé au soleil (20). Dans les armoiries des Brunet, les trois sapins représentent peut-être une forêt brune, c'est à dire obscure comme le sont toutes les forêts de sapin. Le rôle de la lune et des étoiles est peut-être d'accentuer par contraste cette obscurité, ou d'évoquer également " la brune ", expression d'ancien français désignant la nuit tombée que l'on retrouve dans certaines chansons anciennes : " l'autre jour à la brune, en m'y promenant… ".

fig. 9
armoiries de la famille Brunet, d'Anteuil, en 1722 (dessin N. Vernot)


9. Armoiries de la famille Brunet, d'Anteuil, en 1722 (dessin de l'auteur).

Il est encore plus délicat d'expliquer la présence de sapins dans les armes des familles Martin et Marchand décrites ci-dessous (fig. 10 et 11). Plusieurs hypothèses peuvent toutefois être avancées : lorsqu'ils se constituaient des armoiries parlantes, les anciens ne procédaient pas nécessairement à un découpage syllabique rigoureux : c'est ainsi que la ville de Clerval et la famille des princes de Clermont-Tonnerre portent deux clefs : ce n'est pas la syllabe cler- qui a été utilisée, mais simplement le son clé. En outre, dans les dialectes locaux, la prononciation de la lettre R peut être fortement affaiblie, voire inexistante : dans le pays de Montbéliard, " Martin " se dit Maitchin (21). Or les sapins comtois étant autrefois réputés fournir d'excellents mâts de navire, l'association entre le son ma et les sapins était aisée pour les esprits comtois de l'époque, et peut donc être une explication tout à fait vraisemblable de la présence de cet arbre dans les armes de Jean-François Martin et de Claude Marchand.
Pour se plier à l'édit de 1696, le bourgeois Jean-François Martin, de Poligny, est contraint de déclarer ses armoiries. Enregistrées le 19 décembre 1698, elles sont d'or au chevron de sable accompagné en pointe d'un sapin de sinople (fig. 10) (22).

fig. 10
armoiries de Jean-François Martin, de Poligny, en 1698 (dessin N. Vernot)


10. Armoiries de Jean-François Martin, de Poligny, en 1698 (dessin de l'auteur).

De même, un cachet de 1777 indique que celles de Claude Marchand, fermier des seigneuries de Chevigney et Moncley, sont d'argent à trois sapins terrassés de sinople, au chef de gueules chargé d'un cerf passant d'argent (fig. 11) (23). Ces armoiries sont peut-être doublement parlantes, à la fois par le son ma et par le cerf représenté marchant. Comme dans les armes des Poussot, les sapins sont terrassés, c'est-à-dire posés sur un tertre occupant la pointe de l'écu.


11. Armoiries de Claude Marchand en 1777 (dessin de l'auteur).

Enfin, les armoiries de Joseph Mercier, praticien à Besançon, sont-elles également parlantes ? En 1733, il utilise un cachet armorié à l'arbre (sapin) de sinople accosté de deux étoiles (24). Le début du patronyme ne fait-il pas de ce sapin un mai, cet arbre que les garçons dressent dans la nuit du 30 avril au premier mai devant le domicile des jeunes filles du village ?

fig. 11
armoiries de Claude Marchand, en 1777 (dessin N. Vernot)

En Franche-Comté, cette pratique est ancienne, et a inspiré les armoiries parlantes de plusieurs Comtois : la pierre tombale de Claude Demay, de Trévillers, montre dès 1578 un écu à l'arbre accosté des lettres d'imprimerie DE et MAY (25). Enregistrées en 1698, les armes de l'écuyer Claude du May, à Besançon, sont d'argent à un arbre de sinople enté sur un croissant d'azur (26). Enfin, les armes déclarées par Henry May, greffier du bailliage de Quingey, et enregistrées en 1701, sont d'or à un arbre de sinople (27). Dans ces trois cas, l'essence du mai n'est pas spécifiée : il s'agit donc d'un feuillu. Toutefois, le sapin était également un mai autrefois très apprécié dans ce qui deviendra le département du Doubs ; on peut donc très bien imaginer que Joseph Mercier ait choisi cette essence pour évoquer phonétiquement le début de son patronyme.


12. Armoiries de Joseph Mercier, de Besançon, en 1733 (dessin de l'auteur).

Néanmoins, ces propositions d'explication ne doivent pas faire oublier que d'autres hypothèses sont également envisageables. Ainsi, une allusion à l'origine géographique de la famille n'est pas à écarter : à la fin du XVIIe siècle, la famille Quettaud, de Pontarlier, porte un frêne dans ses armes pour rappeler qu'elle est originaire de Franois (28); la présence de sapins peut tout autant évoquer une origine montagnarde.

fig.12
armoiries de Joseph Mercier, de Besançon, en 1733 (dessin N. Vernot)

L'essence peut indiquer également une caractéristique géographique (l'arbre devant la maison, par exemple), ou encore la principale source de revenus de la famille.

Les hypothèses sont multiples car les personnes citées n'ont jamais écrit les raisons pour lesquelles elles avaient fait du sapin leur emblème, emblème dont cet article aura d'ailleurs fait ressortir la polysémie. Si Joseph Mercier a choisi un sapin, est-ce pour signifier un caractère opiniâtre, pour jouer avec son nom, pour indiquer une origine montagnarde, pour donner à voir l'origine de ses revenus ou pour garder le discret souvenir de ses galanteries d'adolescent ? Peut-être trouvait-il le sapin tout simplement beau, ce qui est en soi une justification suffisante ? Peut-être également la beauté qu'il attribuait au sapin tenait-elle à une ou plusieurs des raisons citées plus haut ? Quoi qu'il en soit, le sapin est d'une manière ou d'une autre lié, de manière plus ou moins consciente, à l'histoire personnelle de Joseph Mercier, histoire qui nous demeure inconnue. Mais le charme des armoiries ne tient-il pas également à cet appel constant à l'imagination ?


menuII. L'influence de Nozeroy et Saint-Claude


Après Nozeroy et Saint-Claude, il faut attendre le dernier tiers du XIXe siècle pour voir de nouvelles communes choisir le résineux comme emblème. Avec l'essor économique et industriel des vallées du Haut-Jura, plusieurs localités décident alors de marquer l'accroissement de leur importance par l'adoption d'armoiries. Ces créations nouvelles vont s'inspirer fortement des armoiries de Nozeroy et surtout de Saint-Claude, dont le sapin, dans les deux cas, évoque de manière particulièrement limpide le caractère montagnard. L'influence héraldique des armes de Saint-Claude, tout en se mêlant à d'autres sources d'inspiration locales, va aboutir à la mise en place d'une héraldique communale locale originale, alliant à la fois tradition et inventivité, à l'image des gens du Haut-Jura…

Morez : l'ombre de Saint-Claude et les eaux de la Bienne

Le 14 novembre 1867, le maire de Morez présente à ses conseillers le projet d'armoiries qu'il souhaite faire agréer par le Ministre de l'Intérieur. A l'évidence, il s'inspire des armoiries de la ville de Saint-Claude, dont on retrouve le sapin de sinople en figure principale sur un champ d'or.

Les armes actuelles de la ville de Morez, dessinées par Robert LOUIS

Elles se lisent en effet " d'or au sapin de sinople, accompagné en pointe d'une roue de sable issante d'une onde d'azur ". Sa symbolique est évidente : l'épicéa est l'essence dominante des forêts qui entourent la ville ; loin d'être un simple élément paysager, il représente par son exploitation une importante source de revenus. Il est accompagné en pointe, c'est-à-dire dans la partie inférieure de l'écu, d'une roue qui évoque la vocation industrielle de la ville : dès le XVIe siècle, les eaux de la Bienne entraînent les roues de nombreux moulins, battoirs, scieries, forges et autres clouteries. Au XIXe siècle, loin de faiblir, cette activité s'est encore renforcée pour faire de Morez un des principaux centres industriels du secteur.

On ne trouve dans les archives aucune trace de réponse de la part du Ministre de l'Intérieur. Quoi qu'il en soit, ces armoiries ornent les en-têtes de lettres ainsi que les extraits de délibérations du conseil municipal dès la chute du Second Empire en 1871, avant d'apparaître ensuite sur les cachets de la municipalité. Le sapin est alors représenté arraché, c'est-à-dire avec ses racines apparentes, tandis que l'écu est surmonté d'une couronne ducale dont la présence, ornementale, n'a pas de signification particulière (30). Une telle fantaisie n'est pas rare en héraldique : au XVIIIe siècle, les armes de la ville de Saint-Claude sont surmontées d'une couronne tantôt comtale, tantôt ou ducale, au gré des caprices de l'artiste qui les représente…
Les armoiries de Morez vont ensuite évoluer : la couronne ducale est remplacée par une couronne murale à trois tours, tandis que l'écu est lui-même entouré d'une branche de chêne et d'olivier. Les causes de ces changements ne sont pas à chercher dans l'histoire de la ville, qui n'eut en particulier aucune fortification digne de ce nom, mais plutôt du côté de l'évolution des modes et des sensibilités. La fin de l'Ancien régime connaît un regain d'intérêt pour l'Antiquité gréco-romaine. Cette tendance, que l'on retrouve dans le mobilier ou l'architecture (il suffit pour s'en convaincre de penser au néoclassicisme qui s'impose au château de Moncley comme sur les façades des hôtels particuliers bisontins à partir des années 1770), touche également le monde des symboles. Lorsque les révolutionnaires choisissent des piques, bonnets phrygiens et autres couronnes végétales pour symboliser le nouveau régime, ils puisent dans l'iconographie antique, se pliant en cela à la mode du temps (31). Cet usage est confirmé et amplifié par Napoléon qui, entre autres, impose aux villes de surmonter leurs armes d'une couronne murale, couronne qui ceignait déjà la tête de la déesse Cybèle.


Si le système héraldique napoléonien ne survit pas à la chute de l'empereur, le goût pour l'Antiquité, lui, persiste pendant une bonne partie du XIXe siècle, et avec lui certains usages emblématiques hérités de la Révolution et de l'Empire. C'est dans ce contexte que s'impose au cours du XIXe siècle la mode quasi-générale qui consiste à sommer les armoiries municipales françaises d'une couronne murale et à les encadrer d'une branche de chêne et de laurier, symboles respectivement de force et de victoire chez les Romains. Au-delà des effets de mode, la couronne murale s'impose d'autant mieux qu'elle permet d'identifier immédiatement des armoiries municipales. En effet, et le cas de Morez le prouve, si des communes ont parfois fait usage de couronnes de particuliers, en revanche, aucun particulier n'a jamais fait usage d'une couronne murale.

Version ancienne des armes de Morez, montrant le sapin détaché de la roue du moulin

Enfin, et contrairement aux couronnes nobiliaires, elle présente l'avantage de ne pas être liée à un régime particulier, ce qui est un atout dans une période aussi politiquement instable que le XIXe siècle.

1. Une version ancienne des armes de Morez, montrant le sapin détaché de la roue de moulin.

L'intérieur des armoiries de Morez connaît également quelques heureuses modifications : le sapin, d'abord montré avec ses racines comme sur cet écu en fonte ornant une fontaine sise à Auxon-Dessous (25) (32) mais sans doute produite à Morez, sera par la suite représenté comme paraissant naître de derrière la roue de moulin. La couleur de cette dernière est également modifiée, puisque de sable (noire), elle devient de gueules (rouge). Ainsi, les armoiries de Morez sont aujourd'hui d'or au sapin de sinople issant d'une roue de moulin de gueules elle-même issante d'une onde d'azur.


Les Planches-en-Montagne emboîte le pas à Morez

Armes actuelles des Planches

Les armoiries actuellement utilisées par la commune sont de sable à la fasce en divise d'argent accompagnée en chef d'un sapin d'or et en pointe d'une roue de moulin pleine de même (33). Elles diffèrent légèrement du modèle proposé par M. Duhem, directeur des archives départementales du Jura de 1939 à 1965. A l'origine, ce n'était pas un filet -appelé divise - qui traversait l'écu mais une large fasce, tandis que la roue de moulin, aujourd'hui pleine, était ajourée. Oubliées pendant plusieurs décennies, ces armoiries ont été remises à l'honneur dans les années 1980 suite à leur redécouverte fortuite par M. Socié, alors secrétaire de mairie.

2. Les armes actuelles des Planches-en-Montagne.

Les armoiries des Planches-en-Montagne s'inspirent manifestement de celles de Morey, autre localité montagnarde et industrielle. On retrouve en effet le sapin ainsi qu'une roue de moulin destinée à rappeler l'industrialisation des Planches entre 1850 et 1900. Si aucune explication n'est officiellement donnée pour justifier la présence de la fasce d'argent, il est raisonnable d'y voir, au-delà de son rôle structurant dans l'écu, la représentation stylisée d'une rivière. Orné des armoiries des chefs-lieux de cantons du Jura, le certificat d'études primaires émis dans le département à une date sans doute antérieure à celle de la création de ces armes est le seul document connu à donner aux Planches-en-Montagne un simple écu d'or à trois fasces de sable. Ces armoiries à l'origine inconnue, probablement seigneuriales, ont sans aucun doute inspiré les armes actuellement utilisées par la commune et dans lesquelles se retrouvent une des fasces ainsi que le sable et l'or en émaux dominants.


Saint-Laurent-en-Grandvaux, ou le sapin qui avait du mal à trouver sa place

La plus ancienne représentation connue des armoiries de Saint-Laurent-en-Grandvaux figure, avec celles des autres chefs-lieux de cantons du Jura, sur le certificat d'études primaires émis dans le département lors de la première moitié du XXe siècle. Elles étaient alors d'or à la bande d'argent, au sapin de sinople posé à dextre brochant, la bande accompagnée en chef d'une étoile à huit rais, sans doute d'azur.


L'influence des armoiries du bourg de Nozeroy est ici évidente : on retrouve en effet le sapin décentré brochant sur une bande. Si l'ours a disparu, apparaît en revanche une étoile à huit rais, figure rarissime dans l'héraldique comtoise dont la présence paraît s'expliquer avant tout par la volonté de combler un vide, avec peut-être en arrière-plan le souhait de se distinguer du croissant qui orne les armes de Saint-Claude. Il est donc difficile de dire si elle avait une signification propre.

Armes de Saint-Laurent en Grandvaux

Faut-il y voir un flocon de neige stylisé, évocation des hivers rigoureux, ou une rose des vents rappelant les voyages des Granvalliers, ces ancêtres de nos routiers qui transportaient parfois fort loin les troncs jurassiens ? L'azur de l'étoile pourrait dans ce cas évoquer les " roulières ", ces blouses bleues qui entraient dans le costume spécifique des Granvalliers (34). Reconnaissons toutefois que cette dernière hypothèse, aussi séduisante et élaborée qu'elles soit, semble peu s'accorder avec le caractère quelque peu maladroit des armoiries de Saint-Laurent.


On notera également des différences de couleurs entre les armes de Nozeroy et celles de Saint-Laurent, sans doute pour qu'elles s'en distinguent d'avantage : les gueules sont remplacées par de l'or, probablement pour que la silhouette du sapin se détache mieux, et peut-être aussi sous l'influence des armes de Saint-Claude. Quant à la bande, elle passe de l'or à l'argent. Quand on sait que l'argent est, avec l'azur, l'émail usuellement employé en héraldique pour évoquer l'eau, on peut se demander si cette bande n'a pas été argentée pour évoquer la " rivière ", nom sous lequel étaient désignées les cinq communes du Grandvaux au moment de la Révolution (35), à moins qu'il ne s'agisse tout simplement d'une évocation des enneigements hivernaux.


A une date inconnue, ces armoiries connaissent une modification notable : la bande d'argent qui passait sous le sapin est à présent brochante, c'est-à-dire qu'elle le recouvre en partie. Les armoiries aujourd'hui utilisées par la commune sont devenues d'or au sapin arraché et adextré de sinople, à la bande d'argent brochante accompagnée en chef d'une étoile à huit rais d'azur. L'écu est sommé d'une couronne murale à trois tours (36).

3. Les armes actuellement utilisées par Saint-Laurent-en-Grandvaux.

L'instabilité de ces armes est peu surprenante : trop marquées par l'influence de Nozeroy, elles manquent d'une cohérence propre. En effet, la position des figures les unes par rapport aux autres ne doit rien aux réalités de Saint-Laurent, mais est uniquement déterminée par le modèle de Nozeroy. Or si la présence de la bande et le décalage du sapin se justifient à Nozeroy, de telles caractéristiques perdent leur sens à Saint-Laurent. De telles armoiries mériteraient d'être repensées.


La Pesse sous la neige

La première mention connue des armoiries de la commune est un courrier du 3 octobre 1935 dans lequel l'archiviste du Jura écrit au maire de Saint-Claude pour lui donner diverses informations au sujet des armoiries de sa ville. Il lui indique notamment d'autres localités du département dont les armoiries sont ornées d'un sapin, dont La Pesse. S'il ne donne aucune autre information sur la composition de ces armes, il précise en revanche qu'il s'agit d'armes parlantes, la pesse étant le nom local de l'épicéa (37). Il est à noter que la commune de La Pesse se nommait Haute-Molune jusqu'en 1907, et qu'elle avait été détachée des Bouchoux en 1832. C'est donc vraisemblablement en 1907 ou peu après la commune se dota d'armoiries parlantes ornées d'une pesse. On ne peut toutefois écarter complètement l'hypothèse inverse, à savoir que la pesse aurait été l'emblème de la commune dès l'époque où elle se dénommait Haute-Molune, et que ce soit l'emblème qui ait inspiré le nouveau nom de la commune.

Armes de La Pesse (dessin Nicolas Vernot)

4. Les armoiries nouvellement fixées de La Pesse.


La commune vient d'enregistrer officiellement ses armoiries 19 avril 2002 avec le blasonnement suivant : " de gueules au sapin de sinople enneigé d'argent, au chef cousu d'azur billetté d'or, chargé d'un lion issant couronné de même, armé et lampassé de gueules " (38). L'auteur de ces lignes en a fixé le blasonnement en apportant quelques menues corrections par rapport au modèle utilisé jusqu'alors : le lion a été mis en conformité avec celui des armoiries comtoises par l'ajout d'une couronne et de la couleur rouge pour la langue et les griffes, tandis que le pied du sapin, empâté par un socle maladroit, a été dégagé. Il est à noter que le sapin présente l'originalité, à ma connaissance unique dans l'héraldique française, d'être enneigé.

Ces armoiries portent la marque d'une double influence héraldique : celle de la ville de Saint-Claude, avec le conifère comme meuble principal placé sous un chef, et celle de la plupart des villes comtoises comme Dole, Vesoul, Gray, Poligny ou Baume-lès-Dames, qui placent dans la partie supérieure de leur écu les armes de la Franche-Comté. On ne peut enfin écarter totalement l'influence des armes de la ville de Paris, avec sa nef d'argent sur champ de gueules et son chef d'azur à trois fleurs de lys d'or.


Longchaumois, ou le mariage réussi du sapin et de l'épée

Créées dans le cadre du Syndicat Intercommunal d'Aménagement et de Développement du Haut-Jura et adoptées officiellement par le conseil municipal le 12 avril 1984, ces armoiries sont remarquables par leur qualité tant graphique que symbolique. Leur blasonnement est d'azur au sapin arraché d'argent dont le tronc est une épée pommetée sans garde de même, au chef de gueules chargé d'une fleur de souci d'or (fig. 5) (39).

Les armes récentes de Longchaumois, inspirées de celles de Lacuzon

5. Les belles armes de Longchaumois.

Ces armoiries ont elles aussi subi une double influence : la première, plus ou moins consciente (elle n'est pas mentionnée dans les explications fournies par la mairie) est ici encore celles de Saint-Claude avec, comme à la Pesse, un sapin en figure principale sous un chef. Mais cet arbre, emblème des ressources forestières de la commune, a pour particularité d'avoir pour tronc une épée sans garde dont l'origine est à chercher dans les armoiries du plus célèbre des enfants du pays, le capitaine Lacuzon.

Dans le numéro 62 de la Racontotte, j'ai donné les armes qui apparaissaient sur les cachets de cire utilisés par Lacuzon. Toutefois, les armoriaux donnent également au résistant comtois un écu coupé de gueules au souci d'or et d'azur à l'épée en pal d'argent. Ces armoiries furent vraisemblablement accordées à Lacuzon en 1667, lorsqu'il reçut de Charles II d'Espagne des lettres confirmatives de noblesse (40).

La partie supérieure de ces armes montre une fleur de souci, (la cuzon en patois), surnom du célèbre capitaine. Quant à la présence de l'épée, elle accepte deux interprétations : si elle peut en effet rappeler les exploits militaires de célèbre capitaine, elle peut également évoquer le patronyme du résistant comtois, de son vrai nom Claude Prost.

Armes de Lacuzon (dessin de Nicolas Vernot)

Le patronyme Prost est une forme locale de prévôt, à l'origine un officier seigneurial ou royal chargé de maintenir l'ordre et de rendre la justice au nom de son maître. Or dès le Moyen âge, l'épée est un symbole du pouvoir temporel et judiciaire. De plus, on rencontre en 1698 un certain Pierre Prost, marchand à Besançon, dont les armes comportent également une épée enfilée dans une couronne. On peut donc à bon droit supposer que l'épée des armes de Lacuzon est soit un rappel de ses exploits guerriers, soit une évocation parlante de son patronyme. Les deux hypothèse, du reste, ne s'excluent nullement.

Quoi qu'il en soit, c'est la symbolique de résistance qui a été retenue par la commune, puisque " dans les racines de cet arbre on retrouve le pommeau de l'épée de Lacuzon, épée qui est le symbole de la résistance comtoise (la résistance comtoise tire ses racines du sol) ".

L'association étroite de l'épée et du sapin pour symboliser la résistance puise peut-être, de manière inconsciente, dans le vieux fonds symbolique du conifère : en effet, plusieurs siècles plus tôt, dans les armes de Nozeroy, le sapin s'opposant aux assauts de l'ours Bernois est déjà un symbole de résistance.

La région de Saint-Claude a donc réussi à inventer une héraldique cohérente avec ses propres particularismes. Puisant de manière originale dans l'identité locale, ces armoiries au sapin nous donnent dans l'ensemble un bel exemple de transition réussie entre tradition et modernité : les créations les plus récentes s'inscrivent en effet dans le droit fil de leur ancêtre la ville de Saint-Claude. Mais c'est bien là le propre du sapin que de persister… voire de proliférer.

Nicolas VERNOT


1) C'est à Madame Edith Montelle, conteuse à Ornans, que je dois cet éclaircissement de vocabulaire ainsi que la communication de plusieurs autres documents et informations fort utiles à l'élaboration de cet article. Qu'elle trouve ici l'expression de ma plus vive reconnaissance.
2) Ch. BEAUQUIER, Flore populaire de Franche-Comté, 1910.
3) Ch. BEAUQUIER, Blason populaire de Franche-Comté, Rosheim, 1985, (première impression : Paris, 1897), p. 133.
4) Information transmise par Madame Edith MONTELLE.
5) Précisions mythologiques transmises par Madame Edith MONTELLE.
6) Rapporté par Ch. BEAUQUIER, Flore….
7) M.-L. HUBERT et J.-L. KLEIN, Connaître les arbres, Colmar, 1991, p. 71.
8) Ch. BEAUQUIER, Flore…
9) Id., ibid.
10) GAUTHIER (Jules), " Nozeroy ", dans Archives héraldiques suisses, 1992, t. II, p. 149.
11) Je tiens à exprimer mes plus vifs remerciements à Madame Véronique ROSSI, archiviste de la ville de Saint-Claude, qui n'a pas hésité à me transmettre tous les documents qu'elle possédait sur la question. Les armoiries de la ville et leur évolution feront de ma part l'objet d'un article plus détaillé à paraître dans la revue des Amis du Vieux Saint-Claude.
12) J. GAUTHIER, Les sceaux et les armoiries des villes et bourgs de Franche-Comté, Besançon, 1883, pl. III.
13) Ch. d'HOZIER, Armorial général de France, recueil officiel dressé en vertu de l'édit de 1696, publié par Henry Bouchot, Franche-Comté, Dijon, 1875, p. 164, n°1.
14) R. de LURION, Nobiliaire de Franche-Comté, Besançon, 1890, pp. 725-726.
15) N. VERNOT, D'azur et d'or. La partie comtoise de l'Armorial général de 1696, Besançon, 1998, pp. 184-186.
16) Bibliothèque municipale de Besançon, Ms. 108 (fonds Baverel), fol. 85 v°. La date précise de ces armoiries n'est pas connue. Toutefois, elles ne sont pas postérieures à 1820, date à laquelle le manuscrit paraît s'interrompre définitivement.
17) J. et L. GAUTHIER, Armorial de Franche-Comté, Paris, 1911, p. 180, n° 2628.
18) R. de LURION, op. cit., p. 643.
19) J. et L. GAUTHIER, op. cit., p. 113, n° 1448.
20) G. TAVERDET, Les noms de lieux du Doubs, Fontaine-lès-Dijon, 1980, p. 28.
21) C. CONTEJEAN, Glossaire du patois du Pays de Montbéliard, Société d'Emulation du Pays de Montbéliard, Montbéliard, 1982, p. 154.
22) C. d'HOZIER, op. cit., p. 156, n° 6.
23) J. et L. GAUTHIER, op. cit., p. 159, n° 2252.
24) Id., ibid., p. 163, n° 2317.
25) J.-M. THIEBAUD, " Trévillers ", dans Dictionnaire des communes du Doubs, t. 6, Besançon, 1987, p. 3173.
26) C. d'HOZIER, op. cit., p. 29, n° 354.
27) Id., ibid., p. 77, n° 690.
28) Renseignement transmis par M. Michel RENAUD, de Franois.
30) Concernant les armes de Morez, tout ce qui précède et une bonne partie de ce qui suit est tiré de la notice anonyme et non datée transmise par la municipalité, que je remercie vivement.
31) Sur ces questions, voir PASTOUREAU (Michel), Les emblèmes de la France, Paris, 1998.
32) Photographie dans Denis BRUN, " Auxon-Dessous ", dans Dictionnaire des communes du département du Doubs, t. I, p. 191.
33) L'essentiel des informations sur les armes des Planches-en-Montagne provient des renseignements transmis par Mme la secrétaire de Mairie et par son prédécesseur à ce poste, M. Socié, ainsi que par M. Cuer, directeur des archives départementales du Jura. Qu'ils trouvent ici l'expression de ma reconnaissance.
34) DEMARD (Albert et Jean-Christophe), L'artisanat en Franche-Comté, Wettolsheim, 1976, p. 23-24.
35) AMBRIERE (Francis) (dir.), Franche-Comté, Monts-Jura, les Guides bleus, Paris, 1961, p. 277.
36) Je remercie la mairie de Saint-Laurent pour les recherches qu'elle a bien voulu faire pour moi.
37) Lettre conservée aux archives municipales de Saint-Claude.
38) Rappelons que la seule manière légale - et gratuite ! - pour une commune d'enregistrer ses armoiries de manière précise et officielle est la délibération du conseil municipal décrivant les armoiries en langage héraldique, qui en fixe les éléments et les couleurs. Il est conseillé de vérifier auprès d'un personne compétente l'orthodoxie des armoiries avant de procéder à un tel acte.
39) Je remercie M. Jean-Gabriel Nast, maire de Longchaumois, pour les précieux renseignements qu'il m'a apportés.
40) LURION (Roger de), Nobiliaire de Franche-Comté, Besançon, 1890, pp. 649-650.


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