Chaque village
voyait passer périodiquement des petits commerçants ou
artisans qui proposaient leurs services ou leur marchandise. Ils transportaient
leur marchandise ou leurs outils soit sur leur dos soit dans une petite
charrette qu'ils tiraient eux-mêmes ou qu'il faisaient tirer par
un chien.
On trouvait les colporteurs qui portaient, attachée à leurs épaules par des bretelles, une malle comportant de nombreux tiroirs. Ils proposaient et vantaient une marchandise que l'on ne trouvait nulle part : aiguilles, fil, ciseaux, étoffe, livres, almanachs, images pieuses et profanes et même des lunettes. Celui d'André Besson (Le secret du colporteur) portait une houppelande à double collet et un grand sac carré en cuir, surmonté d'une couverture roulée et était accompagné d'un grand chien. Il vendait des montres pour toutes les bourses. Il avait une clientèle attitrée de notables et travaillait aussi sur les foires et marchés. Il y avait aussi le "pattier" qui ramassait les vieux habits, les chiffons usés et surtout les peaux de lapins. Il traversait le village en criant "peaux de lapins". Rien ne se perdait alors. Quand on avait tué un lapin, on retournait la peau et on la bourrait de paille ou on la tendait avec une baguette de coudrier puis on la laissait sécher. Le pattier qui avait toujours avec lui une balance romaine, payait au poids. Il revendait sa "récolte" à un fabricant de papier pour les chiffons et à un tanneur pour les peaux. Une fois par an, passait aussi le "magnin". C'était un étameur. Il tirait sa charrette à bras attachée à ses épaules par une courroie, et installait ses outils sur la place du village puis il parcourait les rues pour annoncer son passage et recevoir les ustensiles qu'on lui donnait à "rétamer". C'était des casseroles, des bassines, parfois des cuillers et fourchettes, car à l'époque l'inox n'existait pas. Ensuite il préparait son réchaud, son soufflet, faisait fondre son étain et allait chercher un seau d'eau. Alors, si besoin, il bouchait les trous par soudure puis il plongeait les ustensiles dans l'étain bouillant et aussitôt après dans l'eau froide. Il ne lui restait qu'à reporter à leurs propriétaires, les ustensiles brillants, à se faire payer et à raconter ce qu'il avait appris et à écouter ce qu'il allait raconter. Il parait que les magnins avaient la réputation de toujours mettre la pièce à côté du trou.
Il y avait aussi les Pignards. Arraché au début de l'automne, le chanvre était battu pour en tirer la graine puis engerbé et mis à rouir dans l'eau d'un ruisseau pendant plusieurs semaines. Le rouissage facilitait la séparation de l'écorce ligneuse d'avec la tige. Enfin, après l'avoir égoutté, on cassait la tige à la naissance et on attendait les pignards. Ceux-ci étaient des artisans itinérants connaissant très bien leur métier. Après avoir procédé au teillage en séparant la tige de la teille (ou écorce), ils effectuaient le peignage à l'aide d'une brosse en fer et d'un peigne à dents d'acier très pointues. Restait à mettre les fils ainsi obtenus en écheveaux à l'aide d'un dévidoir à pédale et à porter les écheveaux chez le tissier (devenu tisserand) ou à tisser soi-même pour obtenir la toile qui servira entre autres à la confection des draps de lit. On sait que dans la première maison des Guyon à Entre deux Monts il y avait encore récemment des traces de métiers à tisser.
Henri Bouchot n'a pas manqué de consacrer quelques lignes à ces artisans du haut et qui sont certainement passés chez nous. "Au
mauvais temps" écrit il, "les hommes inoccupés,
descendent dans la plaine, ils s'en vont peigner le chanvre et se
faire un pécule. Dégringolant leurs chemins à
la file indienne, marchant lourdement de leur pied sûr, ils
semblent des canards cherchant une mare. Auvergnats d'instinct et
de goût, les pignard de chanvre étonnent par leur appétit
formidable et leur dédain du luxe. Quand une mouche tombe dans
un verre, disent les malicieux, si le verre est celui d'un monsieur
de Besançon, il en redemande un autre, s'il est à un
bourgeois de Nozeroy, celui-ci ôte la mouche et boit tout de
même, mais un pignard n'y fait pas tant de façons, il
avale la naufragée pour ne rien perdre. Il faut voir aussi
leur soupe, où la cuillère tient debout, où elle
coupe des tranches ainsi qu'en une motte de beurre. Leur pain noir
et serré frotté de lard chichement; leur accoutrement
rapiécé, leurs chapeaux larges, leurs souliers ferrés
qui mettent sur la terre une empreinte de géant". Les Rouliers Avant les chemins de fer, les montagnards du Haut Jura partaient en automne, en même temps que les hirondelles, dans toutes les directions, transportaient les marchandises de ville en ville, jusqu'au Havre et jusqu'à Marseille, sur leurs chariots massifs, au pas ralenti de leurs chevaux, en longues files. C'étaient les rouliers. Les rouliers (le chanoine MAILET-GUY dit qu'ils étaient du Grandvaux) ont ravitaillé les armées de Napoléon dans toutes leurs campagnes. En 1812, ils étaient sur les bords de la Berezina avec l'armée impériale en retraite. Les artilleurs avaient jeté dans le fleuve leurs canons qui risquaient de tomber aux mains des russes. Les rouliers les avaient repris et ramenés jusqu'à Paris. Ce sont ceux qui se trouvent aujourd'hui dans la cour des Invalides et dont bien peu de visiteurs connaissent l'histoire. (Un GUYON-VEUILLET qui n'était pas du Grandvaux mais de Chapelle des bois, avait fait fortune en ravitaillant la même armée en "fromage façon gruyère". Il était devenu le plus gros contribuable de Chapelle). Les rouliers du Grandvaux ont été rendus célèbres par Bernard Clavel qui a fait de l'un d'eux le héros d'un de ses romans (Meurtre sur le Grandvaux). Ceux de Foncine le sont moins. Henri Bouchot qui a un penchant tout particulier pour le Grandvaux, ne manque pas d'en dresser un portrait à sa manière. "Ils ne quittent pas leur pays sans esprit de retour. Ils s'en vont conduire au loin leurs produits spéciaux, leurs planches de sapin, leurs cuveaux cerclés de fer ou leurs fourrages, ils reviennent chargés de même des objets nécessaires à leur vie. Coiffés de chapeaux énormes, barbus et hirsutes, invaincus par la fatigue, hautains et méprisants pour autrui, les Grandvalliers ont au-dedans d'eux-mêmes une inconsciente réminiscence des misères passées. Ils sont d'instinct contre les seigneurs et la maréchaussée, en faveur des poursuivis. Témoins, ils n'ont jamais vu, ils tournaient le dos, monsieur le juge ! Mais ferait beau voir que des charrois les gênassent sur les routes et les contraignissent à descendre de leur tambour, le serf libre se transforme en un despote magnifique capable de brancher le rival au premier poteau". Si haut qu'on soit monté dans le Jura , les Grandvalliers rencontrés partout, y conduisent leur cavalerie tintinambulante. Il a vu dans les environs de Saint Claude, alors que le tonnerre grondait et qu'un vent terrible entraînait les poussières, les feuilles et les oiseaux, un gaillard tranquille, assis sur son tambour, laissant béatement divaguer sa tête au hasard des cahots, tout en conduisant une file de voitures avec ses chevaux carillonnant comme des jacquemarts. Ailleurs il parle des routes de cette montagne furieuse du Jura qui sont le calvaire des voituriers et de leurs chevaux rouges remorquant des billes de sapins, qui d'en haut, donnent l'illusion d'insectes traînant des pailles. Il y avait aussi les rebiqueurs |