La fromagerie, il y a 300 ans |
Un petit livre écrit par deux meuthiards en 1902, raconte comment fonctionnaient les fromageries autrefois et je ne résiste pas au plaisir d’en tirer quelques extraits : |
Il y a plusieurs siècles, le fromage se faisait à tour de rôle chez chaque habitant. Le fromager fournissait les ustensiles nécessaires à la fabrication ou tout au moins la chaudière. Les fromagers étaient presque toujours Fribourgeois; ils allaient de maisons en maisons pour fabriquer le fromage de Gruyer. Ces fruitiers étaient forcement célibataires, d’une conduite plutôt douteuse si l’on en juge par la réputation qu’ils ont laissée. En outre, le maniement de la jauge était sans contrôle et à leur entière discrétion. S’ils aimaient boire un coup, ils payaient en litres de lait imaginaires le verre d’eau de vie qu’on lui glissait de temps en temps. De plus, chaque sociétaire soignait ses fromages et cherchait à les placer, ce qui ne se faisait toujours sans peine. Si, par accident, le fromage était manqué, c’était une perte pour le possesseur, qui ne recevait aucune indemnité de ses co-sociétaires. Et assez souvent ce malheur arrivait aux pauvres diables, les riches ayant plus de chance. Enfin, les produits accessoires : crème, beurre, vente du lait aux consommateurs, étaient inégalement répartis et sans compensation. Pour plus de clarté, supposons que le fruitier se trouve un soir chez Jean. Dans le foyer, pétille un feu clair. Une grosse brassée de branches de sapin d’un mètre de long environ est posée à côté. De l’autre côté est la grande chaudière, en cuivre rouge, d’une contenance de 300 à 400 litres. Elle est suspendue à une potence dont l’extrémité supérieure s’enfonce dans un trou pratiqué à la face inférieure de la grosse poutre de la cheminée. Ce trou se remarque encore dans quelques vieilles maisons. Chaque cultivateur verse à tour de rôle son lait dans la seille. Le long de la jauge, des clous et des chiffres indiquent les channes, 2 litres, et les pintes 1 litre. Le fruitier souffle sur le lait pour écarter le jai, mousse ou écume sur la surface du liquide, et lit la quantité apportée. Il retire la jauge, l’essuie avec un linge puis s’essuie les mains avec un autre. Les deux linges sont fournis par Jean. Sur une chaise, non loin de là, est une autre seille dans laquelle plonge un bassin de cuivre étamé. On la remplit. Ce sera le lait pour les consommateurs qui viendront se servir eux-mêmes et paieront un sou par chauveau. Le produit de la vente appartient à Jean. Chaque sociétaire apporte sa taille dont le fruitier a le double. Le fruitier marque au moyen de traits, de croix et de double-croix la quantité totale du lait fourni par le cultivateur depuis son dernier fromage. La taille de Jean est blanchie, c’est à dire qu’elle est à zéro litre. Ce soir là le fruitier annonce au public que c’est chez Pierre qu’on fera le fromage le lendemain matin. On remplit la chaudière. Il reste à peu près une cinquantaine de litres de lait qui sont portés chez Pierre. On les verse dans deux ou trois rondots , sorte de jattes en bois d’une hauteur de 10 cm. Et d’une contenance moyenne de 20 litres. Le lait va y reposer toute la nuit. Les sociétaires sont partis, le dernier acheteur est venu, Jean va aider au fruitier à faire le fromage et un second fromage, moins connu, quoique plus odorant, le serra Tous ces produits, ainsi que le petit-lait sont à Jean.
Le lendemain au matin, Pierre viendra, avec son attelage ou une voiture à bras pour chercher le fruitier et son mobilier. Celui-ci va installer sa chaudière chez Pierre où il déjeunera et dînera. Il va commencer par lever la crème qui est à la surface des rondots. Cette crème appartient à Pierre qui la vendra ou la convertira en beurre. La taille de Pierre est blanchie et comme c’est Jacques qui a le plus grand nombre de litres de lait, c’est chez lui qu’on ira le soir. A partir de 1750, ce travail va se moderniser. Le fruitier ne sera plus fribourgeois et deviendra fromager. Il travaillera dans un chalet, dont la porte n’est plus enfumée. C’est lui qui fabriquera le fromage. Le couloir dans lequel le cultivateur versait son lait en arrivant sera pourvu d’un filtre métallique à mailles très fines au lieu de branches de daie ou de racines de chiendent; Le pèse-lait remplacera la taille; De quatre chalets, le village passera à deux et bientôt à un seul ... Après 1900 on bâtira des chalets-modèles et puis ces chalets communaux deviendront des usines qui ne cesseront de grossir aux dépens des plus faibles. Le chalet d'Entre deux Monts (photo ci-dessus) est l'un des premiers chalets modèle de la région. Il est construit vers 1907 au milieu du village, après de sérieuses discussions. Il y avait même une chanson (cf le chalet modèle). Il remplace deux petits chalets déjà anciens. Celui du haut (quartier des Monnier) qui existe toujours. Et celui de Morillon, depuis longtemps disparu, qui était situé au bord de la Lemme et le long de la route de la Chèvre. Ludan et Damien Poncet en ont été les derniers habitants. Il n'avait déjà plus de toit. Le premier fruitier du chalet modèle d'Entre deux Monts, a été Jean Martinez, mort en 1931. Il était bien connu des gamins du village, à qui il donnait facilement une poignée de rognure, et des pauvres, qui avaient droit à un bidon de laitia ou à un morceau de serra. Jean Martinez était marié à la Mélia (Emilia Vuillet) nièce de Narcisse Guyon. |