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Les tuyés, vus par Lequinio


Joseph Marie Lequinio (1755-1814) est un breton qui se distingue durant la Révolution par son activité politique. Député, il vote évidemment la mort du Roi. Plus tard il ordonne l’arrestation de tous les nobles d’un département de 17 à 60 ans (de 17 à 50 ans pour les femmes); il contraint la population de Vannes à assister à tous ses prêches athées.

Enfin, dénoncé par les habitants de Roquefort pour ses exactions et ses rapines, il doit se cacher. Amnistié, en 1798, il est élu dans le Nord, au Conseil des Cinq cents, mais son élection est annulée. Il redevient inspecteur des forêts. C’est sans doute ce qui lui permet de venir se promener dans le Jura et de rédiger un rapport qui lui vaut d’être encore cité souvent par les historiens de chez nous. On le voit en Bresse où la " fièvre endémique donne un aspect cadavérique aux jeunes des deux sexes qui gardent les troupeaux", puis il rencontre "l’homme robuste et hardi des montagnes, bien différent de l’homme timide et mou de la plaine".

Le Jura n’est pas la Bretagne et le surprend souvent. Les tuyés qui sont pour lui des "tuyaux", l’étonnent.

Il décrit longuement "cette espèce d’habitation tenue par une famille purement cultivatrice, que les irrigations du commerce et de l’industrie n’ont point encore fécondée. Tous les animaux logent dans la même étable" et il consacre cinq pages au logement. En voici un extrait où il décrit l'étrange cheminée :


Grand Combe Châteleu

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voir également un autre texte de Le Quinio : Mourillons sur l'Esme


Tuyé à Grand Combe Châteleux

C’est, pour bien dire, une espèce de cheminée carrée, de dix à douze pieds à chaque face; Un grand nombre de personnes se rangent aisément autour des brasiers, et la fumée s’élève perpendiculairement par le large tuyau qui est au-dessus. Le plafond de l’appartement n’est élevé au dessus du sol que de six à sept pieds et c’est au milieu de ce plafond qu’est pratiqué le tuyau de cheminée très remarquable, qui, toute l’année sert de fenêtre, et qui, dans les hivers excessivement neigeux, sert de porte.

Ce tuyau donc, est une pyramide creuse, courte, tronquée, quadrangulaire, de dix à douze pieds sur chaque base, c’est à dire au plafond de l’appartement; elle traverse le grenier, et s’élève d’un à deux pieds seulement au dessus du toit, où elle conserve encore environ trois pieds carrés d’ouverture, et cette cheminée pyramidale n’a pas plus de douze à quinze pieds dans toute sa hauteur.

Le haut de cette cheminée se termine en forme de triangle sur deux faces, et se trouve à moitié couvert d’une espèce de trappe qui est portée par un axe traversant la cheminée dans sa largeur, et reposant sur le sommet des deux triangles opposés; cette trappe est un carré long que son axe partage dans le milieu, et chacune de ses parties peut couvrir un des côtés de la cheminée, en reposant sur les bords correspondant des faces triangulaires; elle conserve sur son axe le mouvement de bascule, et sa destination est de fermer la cheminée au vent, à la neige et à la grêle, en un mot à tous les météores incommodes qui s’introduiraient aisément par sa large couverture.

Au moyen d’une perche accrochée à la trappe, et qui descend jusque dans l’appartement, on donne à la bascule le mouvement que l’on veut, et toujours on ferme le côté de la cheminée par où le vent souffle; l’autre côté qui se trouve ouvert donne l’entrée à la lumière, et la portion de la trappe qui s’élève au-dessus en écarte encore les météores malfaisants.

Cette cheminée, ce large tuyau pyramidal que les étincelles et la fumée traversent, en s’élevant comme dans les cheminées communes, est entièrement fait en bois ou au moins doublé dans tout son intérieur, de simples planches, encore ne sont-ce que des planches de sapin, de même que la trappe à bascule qui en forme l’ouverture. La grande largeur de cette pyramide est suffisante pour la préserver des incendies qui sembleraient devoir y être inévitables, à raison de la matière dont elle est construite. Il est presque inouï que le feu se soit communiqué par là. Il serait éteint avec toute facilité dès l’apparition de la première étincelle. Et quoique l’appartement n’ait que six à sept pieds de haut, c’est assez pour que les flammes du feu nécessaire à l’entretien du ménage, ne puissent jamais atteindre la base de la pyramide qui ne commence qu’au fond de la chambre.

Dans les hivers très abondants en neige, l’habitation en est quelques fois enveloppée jusqu’au dessus du toit; c’est alors par la cheminée, qu’à l’aide d’une petite échelle, on se donne issue à l’extérieur; il n’y en a point d’autre; elle est assez facile à raison de la grande largeur de cette cheminée, car c’est plutôt intérieurement une sorte de dôme pyramidal, qu’une cheminée; c’est au reste, au temps excessivement neigeux, la seule couverture par où l’air lui-même puisse arriver dans l’appartement; il est sans fenêtre et n’a, dans tous les temps, que la porte et la cheminée pour passage à la lumière
.
A côté de l’appartement où est la cheminée se trouve une mauvaise chambre où sont deux grabas, l’un pour le père et la mère et l’autres pour les filles; quant aux garçons, ils n’ont d’autre lit que le grenier au fourrage, dans lequel ils s’enfoncent ...

Pendant l’hiver toute la famille passe la plus grande partie du jour dans l’étable ... Les femmes y filent au rouet et les hommes s’occupent à faire ou raccommoder leurs instruments agraires ... La respiration et la transpiration du bétail y entretiennent une chaleur très douce ... Quiconque a connaissance des moeurs champêtres sait très bien que la société des animaux domestiques n’y est pas sans attraits.


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