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Mourillons sur l'Esme

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Joseph Marie Lequinio (1755 - 1814), le député breton qui voyageait dans le Jura en l’an VI, venait de passer à Champagnole qu’un incendie resté dans les mémoires, avait détruit. A Syam il avait constaté que les taupes avaient saccagé toutes les prairies. Il avait également remarqué d'autres curiosités en longeant cette rivière qui s'appelait alors l'Esme.

Il nous apprend qu'en 1798, une promenade le long du Rachet pouvait consoler un député de ses déboires. Ne serait-ce pas là un objet de publicité ?
Il est vrai qu’à cette époque la Route Blanche n’amenait pas avec elle les voitures et leur CO2 !


les rochers du Rachet à Morillon

voir également : les tuyés vus par Lequinio et Lequinio à Foncine


"Une fontaine intermittente en face de la montagne nommée Niotrau, Nid au trou, ou Grande Cheminée, dont les intermittences sont à peu près réglées à sept minutes.
En sortant de Siam, j’entends le bruit terrible d’un torrent qui de cascade en cascade se répète pendant que je marche au milieu des sapins pour aller rejoindre le grand chemin de Paris à Genève. Il avait beaucoup plu cette nuit. La rivière que je côtoyais avait débordé. Je me décidai à sonder le gué et je passai l’eau jusqu’aux hanches.

la Billaude

J’arrivai à l’auberge de la Billaude, sain et sauf mais tremblant, non de peur, mais d’humidité et de froid. J’achevai de m’y sécher et je repris ma route. Le chemin était tout neuf.
C’est dans un vallon très resserré que l’on monte entre deux côteaux, élevés et couverts de sapins. Le chemin est tout neuf et très beau. Quatre ou cinq cent pieds au-dessous, on voit, on entend, la rivière de l’Esme qui naît dans le Grand Vaux. Elle bondit, circule et blanchit de chute en chute. Elle fait, elle seule, vingt cascades, il faudrait dire vingt torrents, dans l’espace d’une lieue, depuis le pont Cornu jusqu’à la Maison Neuve.

C’est à bon titre qu’on pourrait nommer ce trait de route la vallée des cascades, elles y sont multiples, ou plutôt, elles s’y succèdent sans interruption, et leur fracas est le seul bruit qui s’y fasse entendre.

Au haut de cette vallée, une nappe d’eau de vingt pieds de haut et de cent pieds de large coule sur des zones de rochers très horizontales et qui sur le devant, sont taillées perpendiculairement. Elle est embellie par le tournant de quelques usines à son bord et par l’aspect d’un petit pont qui va de l’autre côté vous conduire au très grand bâtiment où se tient la poste et qu’on nomme Maison Neuve.

Le fracas de cette cascade et celui de quelques martinets de forge, et de plusieurs moulins que la même rivière fait aller, vous suivent et vous étourdissent deux ou trois cents pas au-delà. J’étais encore troublé par ce bruit imposant, et je marchais seul avec mes rêveries, écoutant, regardant, et cherchant à penser, lorsque, tout d’un coup, mon oreille se sent caressée, ma tête se détourne, et mes yeux sont charmés. Ma poitrine se dilate malgré moi, comme pour se délasser.

la Lemme

C’était un joli petit ruisseau qui descendait à main droite, il voulait se hâter sur la colline à travers les cailloux, et ces cailloux l’arrêtaient. Il fuyait l’un et se retournait pour éviter l’autre. Son onde timide qui gazouillait encore en mourant à mes pieds, portant dans mon âme la surprise du plaisir et les délices de la paix. Qu’il est agréable de cueillir ces sensations en voyageant !
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En marchant encore quelque temps, je me trouvai près d’une usine qu’on venait d’achever. On préparait alors un lit au bras de rivière qu’il fallait détourner pour la servir. Un simple rang de pierres, posées à sec les unes sur les autres. Nul mastic ne liait ces pierres. Entre chacune, au lieu de mortier on faisait un lit mince de mousse fraîche des forêts. Cette méthode constamment suivie dans cette contrée où l’industrie met, à chaque pas, les rivières à contribution et fait à la pauvreté succéder l’aisance, en joignant l’économie sévère au travail intelligent et réfléchi.

La Maison Neuve, est un bassin ovale, garni de quelques granges et de quelques usines, traversé par la rivière d’Esme qui serpente horizontalement à sa surface et qui se grossit de ruisseaux.

Cette plaine est appelée les Mourillons. Elle est entourée de monts plus ou moins élevés, et ces monts sont garnis de sapins, qui descendent jusqu’en bas, ou de taillis d’arbres communs qui cachent ses rochers. Dans quelques endroits cependant la pierre se découvre et sa nudité ne fait qu’ajouter un agrément au site. Ici le rocher se jette à plomb, les sapins s’élèvent les uns au-dessus des autres, ils paraissent disputer à qui montera le plus haut.

la Lemme au Pont de la Chaux

La route suit le pied des montagnes de la droite à l’abri des zéphyrs du matin. C’était peu avant le lever du soleil et ses rayons brillants entraient par le dessus les arbres. Le baume des plantes odorantes, le séduisant parfum des foins nouveaux et l’amoureuse vapeur de la rosée.

Nul importun ne m’interrogeait, le souvenir des méchants se taisait et rien en cet instant ne troublait l’ivresse paisible de ma jouissance".

Le 10 fructidor an VI (12 ème jour de son voyage), Le Quinio quitte les Morillons pour le Grandvaux.

Vous montez encore et vous arrivez bientôt dans un grand et riche village appelé Saint-Laurent. Un quart d’heure avant d’arriver à ce village vous aurez à remarquer de très grands bâtiments sur la droite, vous êtes au pays de la misère, et les chaumières y sont inconnues, la nature ne vous offre que des sapins et des rochers.


(L’abbé Luc Maillet-Guy a repris la suite de ce chapitre concernant Saint-Laurent et ses environs, dans son Histoire du Grandvaux, et il ajoute son avis : "Ces pages" écrit-il " sont fort intéressantes par la description du pays et des usages du pays." et plus loin " il délaie en de longues phrases, de menus détails qu’il répète, à la manière d’un enfant émerveillé de tout ce qu’il voit et qu’il n’avait jamais vu".

 


Le péage de Morillon

le Pic de l'Aigle (photo Bernard Girard)


Lequinio ne parle pas du Péage de Morillon puisque, lorsqu’il écrivait, la révolution venait de le supprimer.

Mais il est intéressant de rappeler ici ce qu’en dit l’abbé Maillet-Guy, car l’existence de ce péage est une preuve supplémentaire de l‘importance qu’eut le hameau de Morillon.

Le Dombief sert de frontière entre les Chartreux de Bonlieu et les Chanoines de l’Abbaye du Grandvaux. Entre ces deux voisins auxquels se joint le seigneur de l’Aigle, les querelles sont permanentes depuis des siècles. En 1714, une nouvelle "descente de lieux" est organisée pour tenter de fixer les limites des territoires de chacun. C’est le procès-verbal de cette descente, qui se fit du 12 au 27 septembre, qui nous amène à ce péage.

A Morillon, sur l’insistance des représentants de Bonlieu, les commissaires reconnaissent "le placard ou feuille en fer blanc, cloué contre la maison de Claude Morel, qui a pour enseigne le Lion d’or, sur le grand chemin de Besançon à Saint-Claude et à Genève".

On lit sur ce placard :

"Péage de la Chartreuse de Bonlieu sur le pont de l’Ayme, Mourillon et le pont du Saut Girard.

Tout passant et repassant, excepté les sujets de Bonlieu et autres qui ont titres d’exemption pour leurs propres denrées tant seulement, doivent payer, à peine de cinquante sols estevenants et de confiscation de leurs marchandises : pour un chariot ferré, 4 blans; pour deux chariots 2 blans; pour un cheval ou jument ferré mené en foire, 2 blans; non ferré 1 blan; toutes bestes à pied fendu 1 blanc; un mulet chargé 4 blans; un cheval chargé 1 blan; un chariot de bois chargé de marchandises, pour chaque jument qui tire, 1 blan; un mercier à pied, demy blan; un magnin portant sur son dos, 1 blan".

Plus loin ( page 318 nota) on lit :

Le texte de Rousset "Dès 1532 accenssement du cours de Laime à Morillon, par la Chartreuse de Bonlieu et les seigneurs de L’Aigle aux sieurs Etiévant et Morel de Morbier pour y établir des martinets et des clouteries" est précieux à noter, car il nous montre un Morel de Morbier établissant son premier martinet sur notre rivière de L’Ayme.

la Lemme

N’est-ce pas à lui que pourrait s’appliquer cette curieuse note de D. Monnier "Jean-Denys Morel (avant 1639) était sans doute un descendant du premier du nom qui s’était fixé dans ce quartier de la vallée (de Morez).

On tient par tradition qu’un certain Morel des Rousses ou de Longchaumois (pourquoi pas de Morbier ?) ayant incendié le moulin du Saut, qui appartenait à monsieur de Lézay et qui était situé sur le territoire de Fort du Plasne, se vit obligé, pour échapper aux explications qu’aurait pu lui en demander la justice, de cacher son existence dans un désert presque inaccessible.

Il choisit son refuge vers la source de Bellefontaine. Artisan industrieux, il ne voulut point y passer une vie oisive. Il se mit à bâtir de ses propres mains, une petite forge sur la Bienne, et telle aurait été la véritable origine de Morez. Ce nom diffère bien peu du sien, et il se prononçait de la même manière, car on sait que dans le langage des hauts montagnards du Jura, la lettre l ne se prononce pas à la fin d’un nom.

L’incendie prétendu n’est nullement nécessaire à l’histoire. Disons plus simplement que Morel voulut établir sur la Bienne ce qu’il avait vu et pratiqué sur l’Ayme. Ainsi le premier martinet de Morez remonterait au milieu XVIème siècle, à l’imitation de celui du Grandvaux. Le martinet était sur l’Ayme, rive gauche ou rive droite suivant que le propriétaire était le seigneur de l’Aigle ou M. de Lézay.


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