Le Lac à la Dame |
et aussi, un autre lac : Bonlieu
C’est un petit lac, très poissonneux, de deux ou trois hectares et profond d’à peine 15 mètres. Sur sa rive nord un petit hameau, à l’extrémité ouest les Monnets, à l’autre extrémité une seule maison proche d’un petit pont qui donne passage au Seigne, ruisselet, qui s’en va rejoindre la Saine par Grataloup, au bas de Malvaux. Outre la route qui le relie à Foncine le bas par les Fumey et à Fort du Plasne, ce hameau est proche d’un chemin forestier menant à la Vie du Four puis à Entre deux Monts. Ce chemin était encore très fréquenté en 1925. La Gabrielle, la sage femme de la Sange Renaud, comme le père Blondeau menuisier à Foncine le bas l’empruntaient régulièrement, à pied bien sûr.
On sait par Jean-Baptiste Munier, que le 19 décembre 1735, le sieur Marmet, avocat au parlement, ancien mayeur de Salins, procureur général de M. le comte de Watteville seigneur de Château-Vilain, Foncine et autres lieux, passa acte d’assensement du lac de Foncine le bas dit le lac à la Dame par le sieur Etienne-François Jeannin, horloger. Le prix de cet assensement fut payé au moyen de la construction de la sonnerie d’une horloge posée au Château-Vilain et d’un cens annuel de trois sols ... Par le même acte d’assensement, le sieur Jeannin s’était fait concéder par le seigneur de Château-Vilain le terrain nécessaire pour construire deux martinets en deux places différentes à son choix sur le ruisseau du Galavot ou Chatenot à prendre de la planche dite Raguin inclusivement jusqu’au pont de dessous la chapelle du bas de Foncine. Rousset nous apprend d’autre part que vers 1850, le lac à la Dame appartenait à M. Guérillot, ancien seigneur de la Chaux des Crotenay. A la fin du 19eme siècle, on trouve au hameau, dit tantôt "lac à la dame", tantôt "vers le lac", de nombreux Michoudet et quelques Jacquet et Blondeau. Qui était donc cette Dame qui a laissé son titre à cette grange et à ce lac ?
Or, dit M. Monnier dans l’annuaire de 1848, ces particularités nous renseignent sur une époque de transition du culte des Gals, au nouveau culte romain elles nous portent à considérer la Dame de fons Sène, comme une druidesse ou comme un oracle attaché d’abord au culte de la source; puis converti au christianisme, à l’époque où l’évangile prévalut au fond de nos montagnes, dernier refuge des druides. Dans cette supposition qui ne nous semble pas dénuée de toute vraisemblance, il est permis de reconnaître près du petit lac de la grange à la Dame, le séjour d’une des prêtresse gauloises qu’on appelle Sènes, parce qu’elles vivaient saintement. La dame du lac s'est promenée un peu partout dans le canton des Planches. Le "Jura Français" a publié en 1978 un charmant "Conte pour une veillée" de Cl. VALROCHE dont voici les dernières lignes :
Jean-Baptiste Munier rapporte une histoire qui se passe entre Fort du Plasne et Foncine le bas, c’est à dire, pourquoi pas à la Grange à la Dame. La voici encore :
D’où vinrent les premiers habitants de Fort du Plasne ? La tradition populaire nous l’apprend. A la limite septentrionale du territoire de Fort du Plasne existait avant 1793, l’oratoire à pardon que tous les vieillards assurent avoir été un lieu d’asile, auquel avaient recours les individus qui, s’étant brouillés avec la justice, ne voulaient avoir affaire qu’à la miséricorde de Dieu. Les seigneurs établissaient de ces lieux privilégiés dans les contrées où ils désiraient attirer les colons pour défricher les déserts et les peupler de sujets. Il est bien à présumer que l’oratoire à pardon dût son établissement à des considération temporelles et politiques. Nous nous garderions bien cependant de prendre pour une famille de réfugiés de ce genre, la petite population qui s’est groupée près de là et qui est connue de tout le monde sous le nom emprunté de "famille du pardon". Il est plus que probable que les habitants de toute la commune se sont renouvelés, sans y laisser de filiation de la race primitive. L’enceinte, privilégiée était circonscrite; il s’en suit que, lorsque le transfuge en sortait, rentrant dans la condition commune, il avait aussitôt à rendre compte de ses actions antérieures; ce n’était qu’à la faveur d’un déguisement que notre homme parvenait à se tirer d’affaire; et dès lors, rien de plus simple que de s’affubler des peaux de bêtes fauves. Voilà l’histoire des loups-garous de nos montagnes.
Les loups-garous du Maréchet, hameau de Fort du Plasne, le plus voisin de l’oratoire à pardon, sont célèbres dans tous les contes des veillées. Les vieux narrateurs de l’âtre enfumé vous débitent d’un air sérieux, comment, pendant les nuits d’hiver, des troupes de loups-garous visitaient autrefois les villages et venaient s’asseoir autour de votre feu sans quitter leur horrible fourrure. Le chanoine Maillet-Guy raconte une histoire un peu semblable. Il s‘agit d’un homme qui a été brûlé pour un grand maléfice et dont le cas l’amène à cette réflexion. On pourrait se demander si ce malheureux n’était pas un habitant du Maréchet ou de Sous le Mont-Noir. Selon le manuscrit de Buchet en 1810, on croyait anciennement que les gens de cette région étaient pour la plupart des sorciers, et que tous les soirs ils se rendaient dans les forêts, au lieu-dit de la Bajuette, pour se divertir et conférer avec le diable. Pour y être transportés, il leur suffisait de mettre un manche à balai entre leurs cuisses. Le "Progrès du Dimanche" a publié deux articles intéressants sur le Lac à la Dame dont voici de cours extraits : "AU XIIème siècle, le Haut-Jura sortait de ces périodes tragiques qui, de calamités en désastres anéantissaient en quelques mois toutes les populations pré-installées. Ils étaient 43, originaires de Savoie ou des plaines suisses, en quête de lieux favorables pour installer leurs communautés. On leur accorda à chacun un "voisinal", coin de terre sur lequel ils pourraient bâtir leur maison et pratiquer une culture de subsistance. On connaît leurs noms. Certains y ont attaché leurs patronymes. C'est le cas autour du Lac à la Dame, des MONNETS et des FUMEY.
Selon certains, la Grange à la Dame a mauvaise réputation; Ce serait un hameau où l’on se chamaille et ou les accidents sont nombreux. Les sorciers auraient-ils pollué l'endroit ?
Olivier Bisiaux, qui a grandi à la Grange à la Dame et qui s’est expatrié dans la Haute Garonne, se souvient d’un climat rude et des habitants qui sont un peu à son image. Le froid isole les familles; les terres et le bétail alimentent les querelles ancestrales. L’un menace de son fusil son voisin chaque fois qu’avec ses vaches, il passe devant chez lui. Il a fini pendu dans sa grange, victime de la gentiane. Une dame paranoïaque, appelée la Chique, avait peur qu’on la tue. Elle se promenait en calèche avec son mari installé derrière et armé d’un fusil. Après sa mort on a raconté qu’une horloge fonctionna pendant un an sans que personne ne vienne la remonter. Il semblerait que son fantôme continue à hanter les lieux. Des bruits de pas nocturnes confirmeraient sa présence. Plus grave : le 16 juillet 1876, cinq jeunes filles, toutes originaires des villages voisins, s'embarquèrent sur un frêle esquif. Le bateau, trop lourdement chargé, chavira au milieu de la nappe. Évidemment Marie BLONDEAU 15 ans, Marie FUMEY 27 ans, Eugènie MICHOUDET 18 ans, Marie POUX-MOINE 18 ans et Marie POILBLANC 18 ans également, ne savaient pas nager. L'endroit semble décidément propice à la noyade : le 1er janvier 1879, Joseph Guy est retrouvé mort dans la rivière, près du Lac à la Dame. Le 11 février 1871, c'est François Joseph Blondeau qui se noie à son tour dans le lac. En juin 1908, la même chose arrive à François Léon Monnier Benoit (43 ans). Et, bien plus pire, comme on disait, mais pas très certain : un couple avait adopté une règle de sélection génétique bien particulière. La femme était enceinte chaque année. Les garçons qui venaient au monde avaient droit à la vie. La première fille aussi; elle serait utile dès sa sixième année. Les filles suivantes étaient soumises à un simple exercice. Le père les portait à hauteur de la chéneau du toit. Celles qui faisaient le geste de s’accrocher à ce cheneau étaient sauvées; elles sauraient garder l'argent à la maison, les autres tombaient et étaient abandonnées aux renards. Maisles voisins avaient de si mauvaises langues.!!! Ne parlons pas de la Carcasse qui des Voigneurs descendait à Foncine le bas par la Grand-Vie, ni du Tord cou qui avait sa fouilla près de la Vie du Four. Auguste Bailly était un romancier et il écrivait si bien.
Le Lac à la Dame n’est tout de même pas aussi noir que ça. Rousset écrit, vers 1850 qu’il était très poissonneux. C’est donc qu’il y avait des pécheurs et ces pêcheurs ne se noyaient pas tous. Plus sérieusement, voici un souvenir lointain de mon père : Peut-être le champ baptisé la Campène est-il une empreinte de ce pied de Garguantua. Il est situé sur le flan du Mont à la Chèvre. François venait chaque année y faucher sa dernière voiture de foin. Un tout petit champ au milieu des bois et des noisetiers. La roche n’était pas loin de la surface et le foin était court et rare. On y accédait par la Grand-Vie et les Fumey puis par un chemin pentu et perdu sous des buissons d’épines. C’était bien loin pour une récolte bien pauvre. A l'arrivée, François jetait un oeil au terrain puis saisissait sa faux qu’il avait enchaplée (battue avec un marteau spécial pour l'aiguiser) la veille. Il faisait des andains bien droits, allait chercher l’herbe jusque sous les buissons. Les gamins étendaient, tournaient, puis retournaient le foin fauché. Et surtout courraient aux alentours à la recherche des fruits sauvages: noisettes, fraises des bois, framboises, ... ou taillaient des sifflets dans des branches de frêne ... Vers midi la Margot arrivait à pied. Elle avait attaché les vaches qui avaient fuit les tavins en bezillant. Elle apportait un gâteau, reste de la fête et une thermos de café. Aussitôt le repas terminé, elle faisait ses cinq minutes quotidiennes (un somme), puis en ratelant, distribuait conseils etreproches. Vers cinq heures on andainait, on râtelait encore puis on chargeait. François était sur la voiture; il rangeait le foin que la Margot lui tendait au bout de sa fourche. Il faisait ça "au carré", comme un paquetage à la caserne. Enfin on perchait, on peignait, pour que le foin ne se perde pas dans les épines du chemin de retour.
La Margot s’assurait que rien n’était oublié, que le champ était bien râtelé et la voiture bien peignée. Et elle pressait le départ car il fallait, en arrivant à la ferme, boire le jus et traire les vaches. Tout le monde grimpait sur le foin bien rangé. Les gamins avaient ramassé quelques fleurs des champs et ils fixaient ce bouquet au haut du fréti. Françoisrestait à pied, près du cheval jusqu’à une petite pente du chemin, car là il fallait serrer la mécanique pour que la voiture ne s’emballe pas. Puis il reprenait sa place les guides en mains. Les foins étaient finis ... Les gamins avaient respiré l’air pur et avaient passé une bien belle journée. Tout cela se passait au siècle dernier, à une époque où même la Kiwa n'existait pas. Il y avait bien la galère; ce lourd râteau en fer de deux mètres de large qu’il fallait tirer. Mais on ne l’amenait pas à la Campène. Heureusement ! Les petits râteaux étaient plus légers et la Margot les maniait adroitement. (les gamins cassaient trop souvent des dents !). Françoise Desbief, dans sa "Balade ferroviaire à travers le Jura",passe au pays des lacs, pays des fées et des chevaliers où les sorcières dansent, cherchent les imprudents à partager leurs fêtes et les poussent, sans compassion, jusqu’à l’épuisement. Grandvalliere qu’elle est, elle ajoute que "du côté de Foncine, vers le Lac à la Dame, les sorciers ont les mêmes travers" et elle cite ce cas : Le mystérieux cavalier qui errait au dessus des lacs de Bonlieu, des Maclu ou de Narlay se montrait aussi du côté des Foncine. Il était plutôt serviable, ne refusait jamais de mettre en lieu sûr les malheureux fuyards, se montrait compatissant aux contrebandiers et aux amoureux séparés et prenait toujours le partis des pauvres et des hors la loi. Mais contre le diable, rien ne vaut un bon signe de croix ... On raconte q’une femme, dont il était amoureux, lui avait demandé de creuser le lac qu’on appelle de la "Grange à la dame". En échange, bien sûr, elle se donnerait à lui corps et âme, c’était promis. Le diable, pas feignant, se mit en devoir de creuser un lac, petit mais joli, tout bleu dans sa campagne verte. Une fois la besogne achevée, il réclama son dû, comme de juste. Mais la belle était rusée et, sachant que son soupirant détestait les signes de croix, elle ne se priva de lui en faire. Cela mit le malheureux dans un tel état qu’il dut fuir au plus vite, toutes affaires cessantes. On ne le revit jamais. Rabelais se trompait donc. Ce n’est pas Gargantua qui a fait le Lac à la Dame!!!. |