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Le temps du Tacot

voir également :

extraits du "Progrès" des 26 février et 2 mars 2001

Gare de Foncine le Bas

Des écoles et des gares. Telle aurait pu être la profession de foi des républicains entre 1875 et 1914. Avec l'école laïque présente dans le moindre hameau et le train tirant de leur isolement les bourgades les plus reculées, la troisième République pariait sur le progrès intellectuel et économique, sur l'ouverture des esprits et des paysages. Les voies d'intérêt local (V.I.L) ont aujourd'hui disparu, poussées au rebut par la déferlante de l'automobile et de l'individualisme. Mais le tacot a marqué les paysages et les esprits. Il nous laisse des vestiges et la nostalgie d'une utopie.

Tacot, tramway, petit train, V.I.L

Le mot de "Tramway" évoque l'idée d'une voiture à voyageurs circulant sur rails et traînée par des chevaux. Pris dans ce sens, le "tramway" n'est qu'un "omnibus" sur rails. Il convient donc, avant d'aller plus loin dans l'étude de cette affaire, de bien comprendre que les tramways à vapeur sont de véritables chemins de fer destinés au transport non seulement des voyageurs, mais encore des marchandises même les plus pondéreuses, et que les trains remorqués par une locomotive peuvent se composer de 10 voitures. Ce sont de véritables chemins de fer, mais construits sur les routes nationales ou départementales, ce qui dispense des travaux d'art et des expropriations de terrains et permet d'établir la voie dans les conditions les plus économiques. Le tramway à vapeur n'est pas le concurrent des grandes lignes de chemin de fer : il en est l'affluent et l'auxiliaire. Son rôle est de relier deux gares de grandes lignes, avec économie de temps et de dépense. Ce programme est rempli par les Tramways à Vapeur du Jura destinés à relier Lons-le-Saunier et Saint-Claude, deux gares importantes du réseau de Paris-Lyon-Méditéranée. Pour établir un chemin de fer entre ces deux gares, l'Etat aurait dû s'imposer un sacrifice de 254000 francs par km. Le tramway à vapeur ne coûtera que 50400 francs par km dans sa partie la plus accidentée.

(Extrait de la notice de mise en vente d'actions de la société anonyme des Tramways à Vapeur du Jura, datée de 1893)

Viaduc de Revigny

A l'assaut de la montagne

La ligne Lons-le-Saunier - Saint-Claude par Clairvaux fut la première des Voies Ferrées d'Intérêt Local de la montagne jurassienne. Sa construction dura de 1895 à 1898 et nécessita l'édification d'ouvrages d'art importants : viaducs à arches de pierre de Meussia et Villard d'Héria, pont métallique sur l'Ain à Pont-de-Poitte, tunnel et viaduc de Rovigny. Ce dernier peut être encore admiré aujourd'hui, long de 90 mètres, dominant la vallée à 20 mètres au dessus du sol. La taille des pierres était confiée à une main-d'oeuvre italienne "sous-payée, exploitée, mais remuante, agitée sans cesse par des ferments d'anarchismes". L'animosité entre ouvriers italiens et français entraîna altercations, bagarres et incidents en grand nombre à tel point que les contremaîtres n'étaient plus maîtres de la situation. Les entreprises congédièrent les Italiens. Il s'en suivit un ralentissement notable du rendement et des prix de revient sérieusement augmentés. Un important glissement de terrain (9 mars 1898) retarda encore les travaux, comme la mise en place des piles du pont sur l'Ain qui mit près de deux ans. L'inauguration eut finalement lieu le 23 octobre 1898 mais durant plusieurs mois, de nombreux déraillements et incidents (heureusement sans gravité) se produisirent du fait de la précipitation avec laquelle avait été faits les derniers travaux.

Le tacot et l'espace du rêve

"Il existe depuis le néolithique "une longue et féconde complicité" entre le paysan et le paysage de la campagne française qui est au sens large, sa demeure. Ce qui fonde cette amitié, c'est la marche, le pas des hommes ou celui des bêtes. le tacot aurait pu être l'ultime figure de cette chronique de la vie rurale. car avec le tortillard commence un autre dialogue : l'espace s'ouvre, le paysage s'agrandit démesurément. Et s'agrandit en même temps tout ce qui nourrit le rêve ou la rêverie. Bien plus qu'un lieu, la gare devient un nom mythique où l'homme des campagnes accède à un privilège réservé jusque là aux gens des villes : le droit à l'aventure. Avec le tacot, c'est un peu le roman et la tentation de la vie romanesque qui poussent la porte des fermes et franchissent le seuil des auberges villageoises.

extrait de la préface "Les petits trains à l'assaut du Jura"

Coups durs et drames

Les Accidents n'étaient malheureusement pas rares. Au moindre retard, on redoutait un accident, un déraillement ... Ceux-ci pouvaient avoir d'innombrables causes : manoeuvres délicates, mauvais état des voies, mauvais état des machines ou tout simplement mauvais temps. La neige et le gel sont responsables de bien des tragédies. A toutes ces causes, disons matérielles, viennent s'ajouter, encore plus nombreuses, les causes humaines : imprudence d'un wattman trop pressé, imprudence des passagers qui n'hésitent pas à descendre du train en marche ...Et n'oublions pas que la plupart des lignes longeaient les routes nationales sur des kilomètres. Cette "cohabitation" était particulièrement dangereuse. Des morts, il y ena a eu beaucoup et le tacot connut des heures pénibles et tragiques qui frappaient beaucoup l'imagination des populations. Les accidents sans gravité, mais spectaculaires, comme certains deraillements, frappaient tout autant les imaginations et on se déplaçait de loin pour aller voir le "spectacle" du tacot renversé.

Pour une période de sept mois, de décembre 1907 à juin1908, les chiffres n'annoncent pas moins de 11 déraillements sur la ligne Clairvaux - Foncine le Haut. Souvent les voies sont mal entrenues, les rails mal fixés sur un sol insuffisamment ballasté, les traverses dégarnies. Les équipes chargées de leur entretien ont trop souvent fort affaire ailleurs et ne suffisent pas à couvrir l'ensemble d'une ligne. Cette insuffisance de personnel se fait plus particulièrement ressentir pendant la saison d'hiver. D'une manière générale régnait un certain laisser-aller dans l'entretien des voies. Certains chefs de train avaient leur part de responsabilité. Ils avaient tendance à aller un peu trop vite en cherchant à récupérer les retards pris au cours de manoeuvres ou de chargements.

Le petit train a connu des heures tragiques et pénibles. Combien de blessés, combien de morts par sa faute ?, mais malgré cela, personne ne lui en voulait, car la joie, la vie qu'il amenait partout avec lui étaient les plus fortes. Combien de petits bourgs isolés, combien de villes perdues sont, grâce à lui, sortis de leur isolement étouffant. car le petit train, c'est cela avant tout.

(Extrait de "Petits trains à l'assaut du Jura" de Monique et Jean-Luc Boivin. Editions Cenomane et La vie du rail)

Gare des Planches

Au temps du bon temps

Pour parcourir les 68 kilomètres qui séparaient Saint-Claude de Lons-le-Saunier, le voyageur s'embarquait en 1899 pour un voyage de 4 heures et demie. Le départ avait lieu à 4h35 et l'arrivée était prévue à 9h05, si tout allait bien. Pour rentrer, le San-Claudien avait le choix entre un départ de Lons à 11h33 (ce qui était un peu court pour faire ses affaires) ou à 18h15. Dans ce dernier cas, il était de retour à Saint-Claude vers 22h45. Longue journée ! En 1914, les horaires étaient déjà mieux adaptés avec les quatre départs de Saint-Claude et un retour possible vers 22h35. Imperfection des machines, difficultés du tracé, nombre important de stations (24 en dehors des terminus entre Lons et St Claude), certes, mais surtout un service de marchandise qui exigeait de longs temps de chargement, déchargement et manoeuvres.

Le journal "L'Echo des Montagnes" signale dans son édition du 2 novembre 1917 que les "plaintes du public sont nombreuses et de plus en plus amères". Il estime que "c'est le manque de personnel surtout qui entraîne des irrégularités dans le service, et que, par le fait qu'il n'y a pas de trains spéciaux de marchandises, il faut faire des manoeuvres ou charger de très nombreux colis et au lieu d'arrêts de quelques minutes prévus par l'horaire, on stationne diw, quinze, vingt minutes et souvent plus. Le temps du parcours s'en trouve allongé."

Le public mécontent réclame à la fois de nouvelles haltes et des trains spéciaux pour les marchandises. Il n'obtient ni les unes ni les autres et les retards sont longs, fréquents et fatiguants. Et c'était encore autre chose lors des rudes hivers où la neige tombait en abondance. Certes on adaptait un chasse-neige devant la locomotive, mais la vitesse en était diminuée. parfois, le chasse-neige lui même était impuissant. Des pelleteuses venaient le relayer et il arriva qu'il faille atteler les boeufs. Maurice Chavetnoir, dans son ouvrage "Le chemin de fer Nyon - St Cergue - Morez" raconte qu'à la Noël 1923, il fallut embaucher et réquisitionner des ouvriers dans les usines pour dégager les voies et les chasse-neige. La gare des Rousses disparaissait sous la neige. Mais le tram en hiver fut aussi un facteur non négligeable du développement des premiers sports d'hiver. Les trains du P.L.M amenaient jusqu'à Lons des cohortes de skieurs qui prenaient le tram pour Morez, puis les Rousses. On inventa même un wagon spécial muni de casiers pour charger les skis. D'extraordinaires week-ed de vacances à la montagne qui préfiguraient le destin du Haut-Jura.

Prospérité et déclin

Parfaitement adapté à l'économie artisanale de l'époque, le petit train était "le complément indispensable de l'entreprise familiale". Il connut une indéniable prospérité jusque dans les années 20. Le bilan de l'année 1910 fait état pour les C.F.V d'un bénéfice de 113971 Francs qui représente 23,8% du total des dépenses. Dès 1899, un article de "L'écho de la montagne" augurait d'un bel avenir : "Nous apprenons que les recettes de l'exploitation du chemin de fer de la montagne sont beaucoup plus importantes que la compagnie exploitante ne l'avait supposé et dépassent même sensiblement ce qui était prévu par l'administration. Le chiffre de 3000 francs par km sera sûrement dépassé. Si l'on considère que les services sont loin d'être encore sérieusement organisés, que la compagnie exploitante s'est trouvée absolument surprise et débordée et qu'une notable quantité des marchandises qui doivent fatalement lui revenir, lui échappent en ce moment par suite de l'absence d'installations complètes et de matériel suffisant, on peut prévoir que cette ligne ferrée, une fois arrivée à son état d'organisation définitive, donnera de bons résultats financiers.".

Mais les actionnaires ne touchèrent pas souvent les dividendes qu'ils étaient en droit d'attendre. Nouveaux investissements, "traitements et jetons de présence prohibitifs" (à en croire certains actionnaires) anéantirent les bénéfices escomptés, sans parler des dettes accumulées pendant la guerre de 1914-1918. Dès 1927, avec la concurrence de la route, les Chemins de Fer Vicinaux furent déficitaires. mauvaises gestion, perturbations à répétition, accidents, effectifs insuffisants, défaillance des équipements, laisser-aller dans l'entretien, indiscipline des employés et parfois incompétence précipitèrent la "mise au rencart" du tacot.

Le dernier voyage du dernier tram, celui de la ligne Morez - La Cure eut lieu le 4 octobre 1958.

Horaires pour aller de Lons à Foncine-le-Haut

Extrait de l'Horaire des Chemins de fer vicinaux du Jura en novembre 1916

Gares Aller Retour  
Lons PLM
5.54
8.56
Lons Bains
6.54
8.47
Bifurcation
7.01
8.01
embranchement vers Arinthod et Orgelet
Clairvaux (arrivée 7.58)
8.24
7.06
changement de train, la ligne va à St Claude
Crillat
8.49
6.46
St Maurice
8.58
6.39
Bonlieu
9.15
6.20
Ilay (halte)
9.25
6.12
Chaux du Dombief
9.37
6.02
Saint Laurent
10.00
5.20
correspondance avec PLM
La Savine (facultatif)      
Les Martins (facultatif)    
Lac des rouges truites
11.29
4.58
Maréchet (facultatif)
Foncine le bas
11.48
4.39
La Chevrie (facultatif)    
Foncine le haut
12.01
4.25

Aux arrêts facultatifs, les voyageurs font visiblement comprendre aux mécaniciens leur intention de monter; les trains ne s'y arrêtent pour déposer des voyageurs que lorsque ceux-ci ont prévenu à l'avance le chef de train de leur intention de descendre.

Gare de Conliège

Entre Foncine le bas et la Chevrie, le train s'arrête pour refaire son plein d'eau à un réservoir aménagé à cet effet.

Deux autres trains partaient :

L'un de Lons à 17h25 pour arriver à Foncine le haut à 22h21 et l'autre de Foncine le haut à 16h30 pour arriver à Lons à 21h11. Il était donc possible de faire un aller-retour dans la journée en passant 7 heures à Lons dans un sens et 4 heures à Foncine le haut dans l'autre sens, à condition qu'il n'ait pas fallu attendre trop longtemps les correspondances à la bifurcation, Clairvaux ou Saint Laurent, que les arrêts facultatifs n'aient pas été trop nombreux, et aussi que le ravitaillement en eau à la Chevrie n'ait pas été trop long.


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