Gifflard
: C'est plus prudent. |
Tulipe :
Tu n'as pas confiance en moi ? |
Gifflard
: Pas beaucoup. |
Tulipe,
faisant la moue : Aimez ces animaux !Voilà la récompense
! |
Gifflard
: Tu m'aimes donc ? |
Tulipe
: L'amour ne se commande pas. Si l'amour se commandait, je sais
bien que je ne t'aimerais pas ! |
Gifflard
: Pauvre petite ! |
Tulipe
: Tu ne comprends donc pas que je me péris d'ennui quand
tu n'es pas là, que les jours n'en finissent plus, que le
coeur me bat de te sentir au Mont-Noir ! |
Gifflard
: Elles me disent toutes comme ça ! |
Tulipe, feignant de larmoyer : Et quand
je te demande si la séparation sera longue ... |
Gifflard
: Pardonne-moi. |
Tulipe :
Où allez-vous ? |
Gifflard
: A Cressonières. |
Tulipe :
Et vous rentrez ? |
Gifflard
: Demain, dans la nuit, par la Croix de Pierre. |
Tulipe,
l'embrassant : Mon ami, tu viendras dîner après-demain
? |
Gifflard
: Sans doute. |
Tulipe
: Tu m'apporteras ce que tu m'as promis ? |
Gifflard,
vaguement inquiet : Qu'est ce que je t'ai promis ? |
Tulipe,
tirant un papier de sa poche : J'ai fait une note détaillée
pour que tu n'oublies rien (lisant). Une garniture de dentelles
pour ma robe et mon corsage... Une demi douzaine de mouchoirs de
poche brodés en batiste. C'est la fête de Foncine-le-haut
dans quinze jours ... Je voudrais faire bisquer les autres ! Une
livre de café, du bon .. |
Gifflard
: Arrête ! |
Tulipe
: Une livre de chocolat Suchard .. J'aime bien une tasse de chocolat
le matin, en me levant ... Une montre à remontoir. |
Gifflard,
effaré : Arrête ! Tu me ruines ! |
Tulipe
: Tu me promets toujours monts et merveilles, quand tu as
bu, et tu ne m'apportes jamais rien ! Je ne dirai "oui"
devant M. le Maire qu'à ce prix. C'est à prendre ou
à laisser ! |
Gifflard
: C'est bien. Tu auras la dentelle ! |
Tulipe :
Et les mouchoirs ? |
Gifflard
: Oui |
Tulipe :
La montre ? |
Gifflard
: Soit. |
Tulipe
: Je te fais grâce du café et du chocolat. |
Gifflard
: Enfin ! |
Tulipe,
à part : Ce sera pour la prochaine fois. |
Vincent
: A ta santé, Gifflard ! |
Gifflard
: A la tienne, Vincent ! (ils se rapprochent. Tulipe se retire).
|
Vincent
: Tu lui as parlé de notre voyage ? |
Gifflard,
embarrassé : J'ai dit seulement que nous partions
ce soir. |
Vincent
: Tu n'as pas dit où nous allions ? |
Gifflard
: Pas de danger ! |
Vincent
: J'ai cru entendre : Cressonnières ! |
Gifflard
: Elle me demandait si nous allions à Cressonnières
! |
Vincent
: Et tu as répondu ? |
Gifflard
: Que je ne savais rien. D'ailleurs sois tranquille ? Tulipe est
une personne de confiance. Je réponds d'elle comme de moi
! |
Vincent
: Prends garde, Gifflard. C'est toujours par les femmes que nous
sommes trahis. |
Scène
II |
Le brigader Straff
entre avec le préposé Jacquier. Ils s'assoient à
l'autre bout de la scène et demandent deux consommations.
Le dialogue qui suit à mi-voix, alternativement, dans chaque
groupe. |
Camouche
: Il est bien fier, ce brigadier. Quand on entre au café,
on salue. Nous sommes d'honnêtes gens. On nous doit le respect
! |
Gifflard
: Rien que de les voir, ça me retourne les sangs !
|
Cabuche,
se relevant : Attends, je vais leur parler ! |
Vincent
, le retient : Si tu bouges ! |
Gifflard
: Si je tenais le brigadier dans un coin ! |
Camouche,
à Vincent : Tu sais qu'il est venu tout exprès
au Maréchet pour te prendre. |
Jean : La
brigade est fourbue ! |
Vincent
: Et qui ont-ils pris ? |
Jean :
Personne ! (rires) |
Le brigadier
: Ces brutes se moquent de nous ! |
Jacquier
: C'est bien possible ! |
Le brigadier
: Et cela vous est égal ? |
Jacquier
: Ils sont dans leur rôle. |
Le brigadier
: Vous avez bien peu de coeur. C'est Vincent qui est en face ? |
Jacquier
: Oui. |
Le brigadier
: Et les autres ? |
Jacquier
: A droite, celui qui fume avec conviction un cigare de contrebande,
c'est Camouche; celui de gauche, qui vous regarde de travers s'appelle
Gifflard, la terreur de Foncine-le-bas; celui du coin, qui se ronge
les ongles, c'est Cabuche. Tous joueurs, ivrognes et batailleurs.
Un beau trio de coquins ! Si vous les rencontrez au Mont-Noir, tenez-vous
à distance, revolver au poing. |
Le brigadier
: Et le plus jeune ? |
Jacquier
: Un brave garçon du maréchet, qui vient sans doute
pour la première fois. |
Le brigadier
: C'est la bande à Vincent ? |
Jacquier
: Vincent marche seul d'habitude. Les a-t-il embauchés pour
une commande qui presse ? Je ne saurais vous le dire. |
Le brigadier
: Il faudrait nous en assurer. Il faudrait coûte que
coûte, connaître leurs intentions, leurs projets, leurs
résolutions. Il faudrait mettre fin à ce manège
honteux qui n'a que trop duré grâce à l'indolence
de mes prédécesseurs, pour ne pas dire grâce
à leur complicité ! Je jure qu'avant trois mois ces
gens-là seront sous les verrous et que je serai lieutenant
! Je jure ... |
Jacquier
: Il ne faut jurer de rien ... |
Le brigadier
: Je jure que Vincent. L'insaisissable, sera saisi corps et biens,
et qu'il paiera en bloc la rançon de tous ses méfaits
passés ! |
Camouche
: Ils parlent de toi, Vincent. J'ai entendu ton nom. |
Gifflard
: Il nous provoque. malheur à lui ! |
Le brigadier
: M'assommer ! Ils veulent m'assommer ? Qu'ils y viennent ! (il
tire son revolver) |
Jacquier
: Cachez cette arme. Vous seriez perdu ! |